« Nous voulons venir à bout du mandat de Michel Aoun. » C’est ainsi qu’un proche conseiller de Samir Geagea tente de justifier pour L’Orient-Le Jour la surprise créée par les Forces libanaises à la veille des consultations parlementaires contraignantes. Contrairement aux attentes, le parti de Samir Geagea n’a pas voulu donner, comme en 2019 et 2020, un appui essentiel à la candidature de Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies et juge à la Cour internationale de justice, soutenu par l’opposition et la contestation. Il a, en revanche, opté pour le vote blanc, accentuant un peu plus les divisions dans les rangs des protagonistes hostiles au Hezbollah. Pire encore : les arguments du directoire et des parlementaires du parti ne semblent pas convaincants. Pourquoi les FL n’ont-ils pas souhaité mener cette bataille ? Quels sont donc les véritables motifs de leur décision ?
Ces questions sont sur toutes les lèvres depuis le 16 mai dernier. Au lendemain des législatives, le chef des FL a en effet défini ses priorités en appelant à la formation d’un gouvernement de majorité. L’objectif ? Tenter de refléter les résultats des législatives au sein du gouvernement. Un peu plus tard, il a plaidé pour une unification des opposants au Hezbollah et à son allié chrétien, le Courant patriotique libre. Sauf que les FL ont opté pour des choix qui ont creusé davantage le fossé entre les composantes d’une opposition hétérogène. Cela s’est fait sentir au moment de la nomination du Premier ministre.
Dans une volonté manifeste d’éviter une défaite semblable à celle subie lors de l’élection du vice-président de la Chambre, divers partis et députés relevant de l’opposition politique et les treize représentants de la contestation se sont lancés dans une dynamique visant à s’unir derrière un même candidat, à savoir Nawaf Salam. Un député impliqué dans ces contacts confie à L’Orient-Le Jour que plusieurs de ses collègues députés ont fini par appuyer cette option. « Même les FL ont émis des signes de potentiel soutien, dans un souci de préserver l’unité des opposants. Mais tout a changé lorsque certains parlementaires de la thaoura ont changé d’avis », déplore-t-il. C’est d’ailleurs cet argument qu’un responsable FL présente pour justifier le refus de voter Salam jeudi à Baabda. « Nous avons œuvré pour l’unification de l’opposition. Mais cet objectif n’a pas été atteint », dit-il à L’OLJ.
Il n’en demeure pas moins que les Kataëb, le Parti socialiste progressiste ainsi que dix des treize députés de la contestation et des indépendants comme Michel Moawad (Zghorta) ont soutenu Nawaf Salam. Pourquoi les FL n’ont-elles pas surfé sur cette vague ? « Parce que M. Salam ne se rend que rarement au Liban (…) », a justifié Samir Geagea, lors d’un point de presse tenu mercredi à Meerab. Ce même Nawaf Salam avait pourtant séduit les FL, qui l’avaient nommé à deux reprises pour former un cabinet, en décembre 2019 puis en août 2020. Ces derniers jours, une vidéo de la déclaration prononcée par Georges Adwan, député FL du Chouf, à cette date, a fait le buzz sur les réseaux sociaux. On y voit le numéro deux du parti faire l’éloge de Nawaf Salam et louer son indépendance politique et son parcours diplomatique. Comment expliquer ce changement de position, alors que l’ancien diplomate pouvait, pour la première fois, espérer être nommé ?
« Il n’y a pas eu de contact entre M. Salam et le parti », déplore un parlementaire FL, rappelant que son parti est doté du plus grand bloc parlementaire à la Chambre. Des propos qui pourraient être interprétés comme un reproche à M. Salam de ne pas être entré en contact avec Samir Geagea. Si Meerab reconnaît que l’ancien ambassadeur du Liban à l’ONU est « plus proche de (ses) orientations que le Premier ministre désigné Nagib Mikati, les FL paraissent convaincues de l’impossibilité pour le juge international de remporter le duel et former un gouvernement. C’est pour cela que nous n’avons pas voté pour lui, ni nommé un autre candidat », affirme un député sous couvert d’anonymat.
À tout cela s’ajoute un facteur important : l’Arabie saoudite, dont Samir Geagea est le principal allié sur la scène locale, n’a déployé aucun effort pour soutenir la candidature de Nawaf Salam. Riyad a préféré rester à l’écart, considérant que « la véritable bataille sera celle de la présidentielle », dit un opposant rejoignant ainsi la rhétorique FL sur ce plan.
Le duel « présidentiel » Geagea-Bassil
Plus que le royaume ou les reproches adressés à Nawaf Salam, le choix de Samir Geagea semble avoir été dicté par sa rivalité avec Gebran Bassil. Car en privant Nawaf Salam de son appui, Samir Geagea a retiré le diplomate de la compétition face à Nagib Mikati. Une démarche dont a largement profité le milliardaire tripolitain qui s’est trouvé ainsi libéré du soutien de Gebran Bassil. Ce dernier avait conditionné son appui à la mise en place d’un cabinet politique et le limogeage du gouverneur de la BDL, Riad Salamé, devenu persona non grata pour le camp de la présidence. « En ne nommant personne, nous avons libéré M. Mikati du joug de Gebran Bassil, car nous voulons en finir avec le mandat Aoun », déclare sans ambages un député FL. « Il était question d’une sorte de troc conclu dans les coulisses entre M. Mikati et le CPL, selon lequel le Premier ministre bénéficierait de quelques voix aounistes. En échange, le courant aouniste obtiendrait quelques portefeuilles bien définis au sein de la future équipe. Nous avons donc fait barrage à la mise en application d’un tel accord », confie-t-il encore.
Comprendre : Samir Geagea cherche surtout à assiéger Gebran Bassil à quelques mois seulement de l’expiration du sexennat de Michel Aoun, fin octobre. Les calculs sur la présidentielle battent donc leur plein. « Samir Geagea est conscient qu’il ne sera pas élu à la présidence de la République. Mais il veut s’affirmer comme l’homme fort des chrétiens, et faire le contrepoids à M. Bassil », croit savoir une personnalité de l’ex-14-Mars.
Là encore, la stratégie des FL interroge. Car le parti ne compte pas prendre part au prochain cabinet laissant ainsi une nouvelle fois le champ libre à Gebran Bassil pour occuper la quasi-totalité de « l’espace chrétien ». En cas de vacance présidentielle, le prochain cabinet pourrait exercer les prérogatives du locataire de Baabda. Dans un tel scénario, M. Bassil pourrait mener une bataille acharnée pour monopoliser la représentation chrétienne au sein du gouvernement. « Tel ne sera pas nécessairement le cas, parce que tout le monde sait que Mikati ne va pas former un gouvernement avant la fin du mandat », croit savoir un parlementaire FL. Il est rejoint par un député Kataëb. « Tout le monde a le regard rivé sur la présidentielle », souligne-t-il. « Le véritable défi, c’est de tenter d’unifier les opposants autour d’un présidentiable », ajoute-t-il. Mais l’unité se construit. Elle ne se décrète pas. Samir Geagea pourrait bien l’apprendre à ses dépens.
commentaires (15)
C'est pas le moment de faire des caprices Mr Geagea. Finalement vous n'êtes pas mieux que les autres, même gabarit! Il vous manque tant de maturité et de sagesse politique, vous restez un chef de tribu... pauvre Liban
CW
19 h 38, le 26 juin 2022