… Et de quatre. Nagib Mikati n’a eu besoin que de 54 voix – un des scores les plus faibles enregistrés par un Premier ministre désigné depuis trente ans – pour être reconduit à son poste de Premier ministre. Sans surprise, car le milliardaire tripolitain a été maintenu au Sérail grâce à l’appui apporté par le tandem chiite Amal-Hezbollah, ses alliés, mais aussi des députés ex-haririens et quelques indépendants. Il devra donc former un gouvernement qui sera chargé de gérer le pays durant les prochains mois, jusqu’à la fin du sexennat du chef de l’État Michel Aoun le 31 octobre.
La reconduction de Nagib Mikati n’est cependant pas la seule conclusion à tirer de la longue journée de consultations parlementaires contraignantes hier à Baabda. Il y a aussi et surtout le fait que le camp hostile au Hezbollah et au mandat demeure noyé dans ses profondes contradictions, facilitant au parti chiite la tâche d’imposer ses choix au reste des parties. C’est principalement Nawaf Salam, ex-ambassadeur du Liban à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice, qui en a payé le prix, ratant une fois de plus l’occasion de diriger un cabinet. En face, les consultations parlementaires ont abouti à la nomination d’un Nagib Mikati affaibli avec une majorité étriquée, faute de concurrence sérieuse et sans véritable bataille.
Un peu plus d’un mois après les législatives, les députés avaient répondu à la convocation du chef de l’État pour nommer un Premier ministre. La bataille opposait principalement Nagib Mikati, chef du gouvernement sortant, au… vote blanc de 46 députés. Il s’agissait principalement d’ex-haririens ayant opté pour ce choix dans un contexte de perturbation de la rue sunnite. Il y avait aussi des parlementaires indépendants, notamment ceux hostiles au tandem chiite à l’instar de Michel Daher (Zahlé), Fouad Makhzoumi (Beyrouth) et Jamil Sayed (Baalbeck-Hermel). De même, les deux parlementaires de Saïda Oussama Saad et Abdel Rahman Bizri, ainsi que leur collègue Charbel Massaad, ont choisi le vote blanc, dans une réédition du scénario de l’élection des président et vice-président de la Chambre.
Le vote blanc a semble-t-il pris de l’ampleur à la suite de la décision des Forces libanaises de ne nommer aucune personnalité pour mettre en place la future équipe ministérielle, comme l’avait annoncé le chef du parti Samir Geagea. Il avait déclaré que sa formation ne nommera ni le Premier ministre sortant ni Nawaf Salam. Une décision qui a fait couler beaucoup d’encre quant à ses motifs. D’autant que les arguments présentés par les FL semblent être peu convaincants. Emboîtant naturellement le pas à Samir Geagea, Georges Adwan, numéro 2 des FL, a implicitement reproché à l’ex-diplomate de ne pas avoir défini un programme de travail. « Le programme (du gouvernement) n’a pas été discuté (entre les FL et Nawaf Salam) », a déploré le député du Chouf, avant d’ajouter : « Il n’a même pas pris l’initiative de venir nous voir pour en discuter. »
La prise de position des FL a anéanti les chances de M. Salam d’être nommé à la présidence du Conseil. Elle visait clairement à ôter au Courant patriotique libre la carte de faiseur de Premier ministre. Elle a quand même libéré Nagib Mikati du joug des conditions imposées par le leader du CPL à tout Premier ministre désigné au lendemain du scrutin du 15 mai.
Quoi qu’il en soit, le choix des FL a rendu encore plus audibles les mésententes dans les rangs de l’opposition. « Il faut blâmer les FL. » C’est ainsi qu’un député hostile au Hezbollah a répondu à une question de L’Orient-Le Jour sur les raisons de l’échec des opposants à souder leurs rangs lors de cette échéance. Il faut toutefois reconnaître que dans certains cas, des divergences surprenantes ont secoué un même groupe parlementaire. Tel est le cas de Neemat Frem, député du Kesrouan, qui s’est exprimé au palais présidentiel conjointement avec son collègue tripolitain Jamil Abboud. « Je n’ai nommé personne, alors que Jamil Abboud a accordé sa voix à M. Mikati », a lancé le député. Comment expliquer ce schisme ?
« M. Frem estime que le nom de Nagib Mikati devait faire l’unanimité pour lui permettre de poursuivre son travail. Et les opposants ne sont pas parvenus à s’entendre », répond un proche du député du Kesrouan, dans ce qui sonne comme une critique tant du camp du pouvoir que de celui des opposants.
La contestation accorde ses violons
Il n’en demeure pas moins que Nawaf Salam a pu obtenir 25 voix, dont celles des 8 députés joumblattistes, de leurs quatre collègues Kataëb, ainsi que celles de Michel Moawad, député de Zghorta, et de son colistier du Koura Adib Abdel Massih, mais aussi celle de Ghassan Skaff (Békaa-Ouest-Rachaya). C’est surtout le lot de voix des députés de la contestation qui a contribué au score remarquable de M. Salam. Car à la surprise générale, dix des treize députés sont parvenus à accorder leurs violons et appuyer la nomination du juge international. De source informée, on apprend dans ce cadre qu’Ibrahim Mneimné et Paula Yacoubian (Beyrouth) ont fini par se rallier à la majorité et appuyer l’option Salam. A contrario, Halimé Kaakour (Chouf), Élias Jaradé (Marjeyoun) et Cynthia Zarazir (Beyrouth) s’y sont opposés, pour des motifs divers, à en croire un proche de ces députés. « Il n’était pas question de voter Mikati qui fait partie de la classe dirigeante. Et l’heure est à la désignation d’un chef de gouvernement qui sait résoudre les crises du pays », explique à L’Orient-Le Jour la députée beyrouthine. « Nous avons véhiculé un message d’unité à tous ceux qui doutaient de notre harmonie », souligne Waddah Sadek, député de Beyrouth.
Le Hezbollah et ses alliés
Face à cette opposition secouée par ses divisions se dresse un camp adverse en rangs presque soudés derrière le Hezbollah. Sans surprise, le parti pro-iranien a assuré à M. Mikati l’écrasante majorité de son score grâce aux trente voix des députés du tandem chiite, ainsi que de leurs collègues relevant du groupe rassemblant Tony Frangié (Marada, Zghorta), Farid el-Khazen (Kesrouan) et... Michel Murr (Metn), le nouveau-venu qui a rejoint ce groupe. « Nous étions en contact avec Michel Murr depuis plusieurs semaines. Et nous avons officialisé sa présence au sein du bloc à la veille des consultations », confie Tony Frangié à L’OLJ. Si le Hezbollah est parvenu à convaincre ces protagonistes et certains députés indépendants de l’option Mikati, d’autres, tels que le CPL n’ont pas surfé sur cette vague. Ainsi, le bloc aouniste, qui s’était déjà clairement opposé à une reconduction du milliardaire tripolitain, n’a nommé personne pour former la future équipe. En revanche, les trois députés Tachnag se sont démarqués de leurs alliés traditionnels et ont appuyé le Premier ministre.
Nagib Mikati formera donc la future équipe… sans appui chrétien significatif, ce qui réduit sa marge de manœuvre. D’autant plus qu’il a été privé de quelques voix sunnites, dont celle d’Achraf Rifi (Tripoli) qui a boudé les consultations, et de Jihad el-Samad (Denniyé) qui a nommé… Saad Hariri, pourtant en retrait de la vie politique depuis janvier dernier.
« Coopérer pour sauver le pays »
Après la traditionnelle réunion avec le président de la République Michel Aoun et le président du Parlement Nabih Berry, Nagib Mikati a accepté hier sa désignation pour former un nouveau gouvernement. Il a d’emblée souligné la nécessité de « coopérer afin de sauver le pays et la population face à la crise actuelle », notant que « le sauvetage est une responsabilité collective ». « Nous pouvons, ensemble, sauver le pays (...) en mettant de côté les différends personnels », a-t-il affirmé, assurant « tendre la main à tout le monde sans exception ». « Nous avons perdu assez de temps et perdu des chances de soutien de la part de pays étrangers », a-t-il souligné, notant que le Liban est désormais face à une alternative : « Un effondrement total ou un sauvetage graduel. » Revenant sur l’accord préliminaire signé avec le FMI pour un plan d’aide de 3 milliards de dollars, le Premier ministre désigné souligne l’importance de « coopérer avec le Parlement pour voter les lois liées aux réformes avant de poursuivre les négociations et de signer un accord final avec l’institution monétaire ». « Le FMI est un passage obligé vers le salut », a-t-il insisté. Dans une pique implicite à l’adresse de Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre qui a dirigé sans discontinuer le ministère de l’Énergie au cours des 14 dernières années, M. Mikati a déclaré que son gouvernement « va lancer les étapes nécessaires pour trouver une solution à la crise de l’électricité, qui épuise le Trésor », appelant tout le monde à participer à ce chantier « sans conditions préalables ». Le plan de l’électricité avait provoqué des tensions entre Nagib Mikati et le ministre sortant Walid Fayad, lors de la dernière réunion du gouvernement précédent.
commentaires (5)
Quitte a mecontenter certains, Mikati n'est pas necessairement le premier ministre du Hezb. Mais il est certainement le premier ministre de la corruption, des dessous de table, du vol, des detournements de fonds etc.... Il faut le dire et le redire !
Michel Trad
12 h 23, le 24 juin 2022