Tarek Bitar
C’est sans doute l’homme de l’année au Liban. Celui qui a redonné à la justice ses lettres de noblesse en affrontant une large partie de la classe politique qui a tout fait pour enterrer l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth. Pas un jour ne passe sans que le juge de 46 ans, originaire du Akkar, ne soit critiqué par des responsables politiques, en particulier par le duo chiite, le Hezbollah et le mouvement Amal. Le parti pro-iranien lui a même envoyé une lettre menaçant de le « déboulonner ».
Parce qu’il a inculpé plusieurs responsables de haut rang, qui avaient tous eu connaissance de l’existence du nitrate d’ammonium dans le port, tout a été fait pour l’écarter et pour paralyser son enquête. Si celle-ci a souffert des multiples recours contre le juge d’instruction, ce dernier tient bon pour le moment. Comme l’un des derniers symboles d’un pays qui refuse que le drame du port reste impuni, qui refuse aussi de jouer selon les règles de responsables sans foi ni loi impliqués jusqu’au cou dans cette tragédie.
Rasha Slim
Quelques heures après l’annonce de l’assassinat de son frère, Lokman Slim, le 4 février 2021, elle dira : « Nous savons qui sont les tueurs. » Malgré le choc et la douleur, celle qui est plus connue sous le pseudonyme de Rasha al-Ameer a trouvé la force de continuer l’œuvre d’une vie, ou de deux, la sienne et celle de Lokman Slim.
Alors qu’elle est installée à Paris, il la convainc de rentrer à Beyrouth pour fonder la maison d’édition Dar al-Jadeed en 1990. Durant une dizaine d’années, la maison va connaître une ascension fulgurante et s’imposer dans le paysage de l’édition arabe. Rasha el-Ameer, éditrice, auteure de plusieurs ouvrages et journaliste, s’impose par son flair infaillible des titres et des talents. Au côté de Monika Borgmann, la femme de Lokman, elle se bat pour que l’assassinat de son frère ne reste pas impuni. Tout en restant toujours digne, tout en refusant l’invective, la haine, le repli, qui sont la marque de fabrique des assassins de son frère, coupable à leurs yeux d’être un esprit (trop) libre.
Tarek Mansour
À seulement 25 ans, Tarek Mansour a levé, en 2021, 30 millions de dollars, auprès notamment du fonds d’investissement américain Sequoia Capital, pour financer la start-up qu’il a cofondée en 2018. Kalshi, signifiant « tout » en arabe, permet aux investisseurs de parier sur la survenue d’événements divers ou sur leurs résultats. Depuis son lancement en juillet 2021, ce sont 10 millions de dollars de transactions qui y ont été effectuées. Après avoir été approuvée en novembre 2020 par l’Autorité de tutelle des marchés à terme aux États-Unis (Commodity Futures Trading Commission – CFTC), cette start-up est devenue la première plateforme financière réglementée, dédiée à l’échange de contrats liés à la survenue d’événements. Ce n’était pas facile. « En une journée, nous avons appelé 65 avocats qui ont tous dit que les gens essaient de faire cela depuis les années 80, et que ça ne fonctionne pas. » Mais sa persévérance a payé. Tarek Mansour fait partie des 30 jeunes retenus dans la catégorie « finance » des palmarès 30 under 30, compilés chaque année par le magazine Forbes. Oui, tout cela à seulement 25 ans. Corneille avait raison : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. »
Ardem Patapoutian
Il ne s’attendait tellement pas à recevoir le prix Nobel de physiologie et de médecine qu’il avait pris le soin de garder son téléphone en mode « Ne pas déranger » le soir de la cérémonie. C’est son père, Sarkis Patapoutian, 94 ans, qui lui annonce la nouvelle en plein milieu de la nuit. L’histoire d’Ardem Patapoutian, c’est celle d’un Libanais de la diaspora qui a atteint des sommets dont il n’aurait même pas pu rêver s’il était resté au pays. Le Dr Patapoutian, 54 ans, est né à Beyrouth et y a grandi au sein d’une famille d’origine arménienne. Son père était comptable, sa mère directrice d’école, et lui un « élève moyen ».
Il quitte le Liban en pleine guerre civile, cumule les petits boulots en écrivant des horoscopes et en livrant des pizzas avant de poursuivre ses études. Des années plus tard, il devient professeur de neurosciences à l’institut de recherche Scripps en Californie, et chercheur au Howard Hughes Medical Institute. C’est le toucher qui aiguise sa curiosité. Ses découvertes concernant des récepteurs cutanés de la température et du toucher seront décrites comme étant « révolutionnaires » par le jury Nobel. Oui, vous avez bien lu, « révolutionnaires ». De quoi rêver.
La sélection féminine libanaise de basket-ball
Elles s’appellent Rebecca Akl, Aïda Bakhos, Chirine el-Charif, Brittany Denson, Layla Fares, Daniella Fayad, Narine Gyokchyan, Amar Mansour, Miramar el-Mokdad, Lama Moukaddem, Meghry Toros et Yasha Zeinoun. Elles ont entre 17 et 37 ans. Elles sont étudiantes ou ont un emploi à plein temps. Avec elles, après 10 ans d’absence, la sélection féminine libanaise de basket-ball, qui avait été reléguée en division B en 2011, a retrouvé l’élite continentale. Elles se sont entraînées de manière intensive durant un mois avant la Coupe asiatique féminine de division B de la Fédération internationale de basket-ball (FIBA) et ont réussi à rester invaincues tout au long du tournoi. Résultat : le sacre final de la sélection féminine lors de la Coupe d’Asie de division B et la promotion en division A asiatique. Et pas n’importe quelle victoire ! L’équipe libanaise a atomisé le pays hôte, la Jordanie, avec une différence de 40 points (80-40). Rendez-vous en 2023, aux championnats d’Asie de basket-ball féminin de division A.
Zeina Daccache
Depuis qu’elle a introduit la dramathérapie dans les geôles libanaises en 2008, et à travers son organisation Catharsis, Zeina Daccache défend les droits des détenus, fait entendre leur voix et brise des tabous. Le 28 novembre 2021, c’est un nouveau film de la réalisatrice, The Blue Inmates (2021, 75’), qui a été projeté pour la première fois en salle à Beyrouth, dans le cadre de la VIIe édition du Beirut Art Film Festival, durant lequel elle a reçu le prix des Lucioles d’or. The Blue Inmates met en lumière les détenus du bâtiment bleu de la prison de Roumié, souffrant de maladies mentales et qui, du fait d’une aberration judiciaire, sont incarcérés à perpétuité.
Ce documentaire de Zeina Daccache fait partie de son combat permanent pour la défense des droits de l’Homme. Avec un grand H. Un combat qui a commencé à Roumié avec la production de la pièce et du film 12 Libanais en colère (2009) et qui ne s’est jamais arrêté depuis. Non, la boucle n’est pas encore bouclée. Et Zeina Daccache n’a pas fini de cicatriser les plaies du Liban.
Les blouses blanches (médecins et infirmiers)
Alors qu’on aurait pu penser que la double explosion du 4 août 2020 allait donner le coup de grâce au secteur médical et hospitalier, celui-ci a tenu, et continue de tenir malgré tout. Malgré le Covid, malgré la dévaluation de la livre, malgré la pénurie de médicaments, malgré l’exode de nombreux médecins et infirmiers, malgré le manque de matériel, les blouses blanches continuent de se battre au quotidien pour soigner autant de Libanais que possible. Ils sont nombreux à ne pas avoir abandonné, à tout faire pour exercer leur profession avec le plus de dignité possible dans des conditions devenues dantesques. L’ancien hôpital du Moyen-Orient n’est plus ce qu’il était. Et il a urgemment besoin d’aides financières s’il veut espérer ne serait-ce que colmater les nombreuses brèches qui menacent tout le navire de couler. Mais l’équipage restant tient bon dans la tempête.
Hussein Kaouk
Le comédien Hussein Kaouk, 28 ans, a fait l’objet, en novembre dernier, d’une virulente campagne d’intimidation de la part du Hezbollah et de ses partisans. Mais en réponse, les fans du jeune homme et militant pour la liberté d’expression se sont mobilisés et ont posté sur les réseaux sociaux des centaines de sketchs de l’humoriste. Hussein Kaouk, lui-même issu de la communauté chiite et résidant dans la banlieue sud de Beyrouth, critique tous les partis politiques, y compris le tandem Hezbollah-Amal. Celui qui s’est surtout fait connaître sur les planches d’awk.word dénonce dans ses sketchs les conditions de vie des habitants de la banlieue sud de la capitale libanaise. Avec près de 50 000 followers sur Instagram, il commence à toucher un public plus large lorsqu’il devient la vedette d’un programme télévisé sur la chaîne al-Jadeed baptisé Chou el-Wadeh (Que se passe-t-il). Il y joue le rôle d’un jeune chiite de la banlieue sud, Ali Alawiyé. C’est après un sketch diffusé dans ce cadre que le comédien de stand-up est accusé par al-Akhbar, quotidien pro-Hezbollah, de viser directement le parti chiite dans ses sketchs. La résistance par l’humour.
Nabil Bukhalid
Fondateur du réseau internet «.lb » il y a près de trente ans, Nabil Bukhalid en est devenu le sauveur en 2020, avant d’en être le créancier en 2021, au terme d’une histoire abracadabrantesque illustrant un fiasco administratif « à la libanaise ». Mis au pied du mur par les autorités libanaises, incapables de gérer et de financer l’infrastructure du réseau national, l’ancien directeur du réseau informatique interne de l’Université américaine de Beyrouth, où il a créé le premier site internet de domaine «.lb » en 1993, a pris sur lui d’assumer les responsabilités de ces dernières, pour ne pas voir sombrer le réseau, incluant l’ensemble des sites gouvernementaux, dans le néant informatique.
Après des décennies d’un capharnaüm politico-administratif, une course contre la montre est ainsi lancée en juin 2020 pour empêcher la disparition du réseau «.lb », faute d’hébergeur pour le système. En plein marasme économique, et suite à la démission du gouvernement de Hassane Diab après la tragédie du 4 août, aucune solution ni aucun budget venant des autorités n’aboutit. Nabil Bukhalid est alors face à un dilemme : laisser le système s’effondrer ou sauver le fruit d’un travail de plusieurs décennies. La suite, on la connaît.
Impact.gov
La plateforme numérique impact.gov est le fruit d’une alliance entre une administration publique libanaise, l’Inspection centrale et des talents libanais de l’entreprise de conseil Siren. Si le projet impact.gov a été lancé il y a deux ans, c’est surtout en 2021, avec la plateforme de vaccination https://covax.moph.gov.lb, qu’il se fait connaître.
Lancée en mars 2020 grâce à un financement anglais, la plateforme numérique Impact a pour objectif premier la numérisation interne de l’Inspection centrale, présidée par le magistrat Georges Attié. Avec l’arrivée de la pandémie, les équipes de Siren décident de mettre en place un module pour connecter les municipalités et les ministères. À partir de là, tout s’accélère. Avec le couvre-feu, la présidence du Conseil décide d’utiliser la plateforme pour que les citoyens puissent obtenir des autorisations de sortie. Des millions d’autorisations seront octroyées à travers la plateforme. Et avec l’arrivée des vaccins anti-Covid au Liban, les équipes de Siren n’ont qu’une petite semaine pour mettre en place la plateforme d’inscription pour la vaccination. Le tout sera fait pro bono pour un gouvernement déjà en faillite. Les équipes de Siren ne chôment pas et parfois ne dorment pas. « Un ingénieur m’a appelée un jour pour une permission de rentrer dormir 30 minutes, il y a eu des moments vraiment très durs », se souvient Carole Charabati, directrice de Siren Associates. « Nous avons l’État le plus défaillant au monde, mais aussi les jeunes les plus talentueux au monde », dit Mme Charabati, à la tête d’une équipe d’une quarantaine de jeunes. Comment mieux résumer la situation ?
commentaires (9)
J ai beaucoup aimé Zeina Daccache
Eleni Caridopoulou
18 h 31, le 31 décembre 2021