Le président libanais, Michel Aoun, qui entretient des relations tendues avec le Hezbollah ces derniers temps, a appelé lundi à un dialogue "national urgent", notamment autour de la stratégie de défense de l'Etat. Par "stratégie de défense", le président Aoun entend parler des armes du Hezbollah et de la manière de les intégrer à l'Etat. À la suite de son élection en 2016 à la présidence de la République, Michel Aoun, allié du parti chiite depuis 2006, avait promis de discuter de cette question, avant de faire marche arrière. Cet appel marque donc un revirement notable dans sa politique. Lors d'un message télévisé adressé aux Libanais et retransmis à 20h, le chef de l'Etat a affirmé que "seul l'Etat" définit sa stratégie de défense et applique celle-ci, une pique claire au Hezbollah qui est le seul parti à avoir conservé ses armes après la fin de la guerre civile en 1990.
Michel Aoun a, en outre, plaidé pour un dialogue autour d'une "décentralisation administrative et financière élargie (...) et un plan de relance financière et économique, comprenant les réformes nécessaires et une juste répartition des pertes". Il a également appelé à une reprise rapide des réunions du Conseil des ministres. Il n'a toutefois à aucun moment évoqué le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, cible habituelle du chef de l'Etat qui l'accuse d'être responsable de la crise économique. Le président n'a pas non plus parlé de la question du tracé de la frontière maritime avec Israël sur fond d'exploitation d'hydrocarbures offshore, un dossier sensible bloqué depuis des mois en raison des revendications de part et d'autres.
"Beaucoup de questionnements et de reproches me parviennent quant à mon silence concernant les événements qui se produisent. Je n’ai pas voulu entrer dans les détails pour ne pas compliquer encore davantage la situation. Mais aujourd'hui, il est devenu nécessaire de parler ouvertement et de façon très détaillée, car les dangers augmentent et menacent l'unité de la nation", a estimé le président de la République. "Au cours de mon mandat, j'ai préféré gérer les crises en silence. J’ai réussi dans certains cas mais pas dans d’autres. J'ai essayé d'empêcher l'effondrement, j'ai convoqué plus d'une fois à des réunions et à des tables rondes, j’ai proposé plusieurs solutions… Malheureusement, la composante du système actuel a refusé de renoncer à ses privilèges, ne tenant pas compte de la situation du peuple", a affirmé le fondateur du Courant patriotique libre (CPL). "Lorsque l'effondrement s'est produit, j'ai appelé les manifestants au dialogue, ils ont également refusé de répondre à l’appel au nom du slogan « Tous, c’est-à-dire tous ! ». Aujourd'hui, je renouvelle une fois de plus cet appel à chaque Libanaise et Libanais qui désire le salut du pays", a déclaré M. Aoun, en s'adressant aux manifestants issus de la révolte populaire du 17 octobre 2019.
Stratégie de défense
Mais le point le plus marquant de son discours reste son appel à discuter des armes du Hezbollah. "Il est vrai que la défense de la patrie nécessite une coopération entre l'armée, le peuple et la Résistance (le Hezbollah, NDLR), mais la responsabilité première en revient à l'État. Seul l'État fixe la stratégie de défense et veille à sa mise en œuvre. Cependant, avant d'en arriver là, il faudrait commencer par mettre un terme au blocage délibéré, systématique et injustifié qui nous mène au démantèlement des institutions et à la dissolution de l'État", a souligné le président.
Le CPL et le Hezbollah avaient signé en février 2006 l'entente de Mar Mikhaël, scellant leur partenariat. Si depuis les relations entre les deux partis ont connu des tensions au fil des ans, concernant notamment l'implication du parti pro-iranien dans le conflit en Syrie, c'est la première fois que cet accord se voit réellement remis en question par le courant aouniste.
Conseil constitutionnel
Les amendements apportés à la loi électorale pour les législatives du printemps 2022 figurent également parmi les sujets de discorde entre le camp de Michel Aoun et le Hezbollah mais surtout son allié, le chef du mouvement Amal et président du Parlement, Nabih Berry. Des amendements ont en effet été adoptés en octobre par le Parlement, prévoyant notamment d'avancer le scrutin de mai à mars et d'accorder aux Libanais émigrés le droit de voter pour les 128 députés de l'hémicycle et non pour six députés supplémentaires, formant une circonscription à part. Arguant de l'illégalité du quorum retenu pour ce vote par le président de la Chambre, le CPL avait présenté un recours en invalidation de ces amendements devant le Conseil constitutionnel mais celui-ci n'a pas pris de décision sur ce recours faute de majorité, les rendant exécutoires. Dans un discours prononcé après cette "non-décision" du CC, le chef du CPL, Gebran Bassil, avait accusé le duo chiite d'être derrière ce verdict. Cette question et l'affaire du juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth, faisaient en effet partie d'un "deal" en discussions entre les différentes parties, qui impliquait une acceptation du recours en contrepartie du dessaisissement du juge, de permutations et nominations judiciaires de haut niveau et d'une reprise des réunions gouvernementales. Ces tractations ont toutefois échoué en dernière minute.
Quelques heures avant le discours du président Aoun, le ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a signé le décret de convocation du collège électoral pour les législatives, fixant la date du scrutin au 15 mai 2022, prenant donc le contre-pied de la Chambre. Pour avoir force exécutoire, le décret doit encore être signé par le chef du gouvernement, Nagib Mikati, et le président Aoun.
Paralysie du gouvernement
Les tensions entre le CPL et le parti chiite se sont cristallisées autour de plusieurs dossiers, notamment l'attitude du Hezbollah vis-à-vis de l'enquête du juge Tarek Bitar sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Le parti de Hassan Nasrallah et son allié Amal accusent en effet le magistrat d'être politisé dans ses investigations. Le Hezbollah est même allé jusqu'à réclamer le "déboulonnement" du juge Bitar. Cette prise de position s'est durcie en octobre lorsque les ministres chiites ont décidé de ne pas assister à tout Conseil des ministres que pourrait convoquer Nagib Mikati tant que le sort de M. Bitar n'y est pas tranché. Le président Aoun réclame de son côté la reprise des réunions du Conseil, afin de tenter de sauver la dernière année de son mandat, qualifié de catastrophique par ses détracteurs. En attendant une solution à cette crise politique, le Premier ministre, Nagib Mikati, refuse de convoquer une nouvelle réunion de son cabinet, de crainte qu'il n'implose.
"Le blocage du gouvernement provoque la paralysie de l'administration. Les salariés attendent leurs dus, les hôpitaux leurs rémunérations et les patients leurs soins", a rappelé Michel Aoun. Qui est responsable du non établissement du budget de l'année dernière et qu’en est-il du sort de celui de cette année ? Qui fait obstruction à l'audit financier ? Est-ce que l'objectif de cette procrastination est de cacher et de couvrir les noms des propriétaires des milliards égarés et gaspillés ?", a-t-il lancé, sans fournir de réponses. "Il est nécessaire que le gouvernement se réunisse aujourd'hui, avant demain, pour régler les problèmes au sein du Conseil des ministres", a plaidé M. Aoun.
Crise avec les monarchies du Golfe
Enfin, les tensions entre le camp du président Aoun et le Hezbollah interviennent alors qu'une crise diplomatique a éclaté avec plusieurs monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête, qui critiquent la mainmise du parti chiite sur la politique libanaise. Avant les élections prévues en 2022, le CPL veut également s'assurer du soutien de sa base chrétienne devenue de plus en plus critique envers le Hezbollah. Mais cela risque de compliquer la donne pour le chef du CPL, le député Gebran Bassil, qui ambitionne de succéder à Michel Aoun à la présidence. Une ambition qui risque d'être sérieusement compromise sans le soutien du Hezbollah.
"Je souhaite de meilleures relations avec les pays arabes, en particulier avec les pays du Golfe, et je demande : qu’est-ce qui justifie aujourd’hui la tension avec ces pays et l'ingérence dans leurs affaires qui ne nous concernent pas ?", a encore demandé le chef de l'Etat, dans une troisième critique claire à son allié chiite.
Sur le plan financier, le président Aoun s'est contenté de dresser un constat de la situation déplorable du pays, appelant à une "modification du mode de gouvernance ainsi qu'à la réalisation des audits de la BDL et des institutions publiques". Et de conclure en s'adressant aux Libanais : "J'ai voulu m'adresser à vous en toute franchise, et j’espère ne pas devoir en dire plus".
commentaires (17)
C‘est maintenant qu‘il s‘est rappelé? Pourquoi il n‘a rien fait pendant tout le mandat après tout c‘est lui le président ou pas?
Staub Grace
11 h 23, le 29 décembre 2021