
Le Parlement réuni le 28 octobre 2021 pour discuter des amendements apportés à la loi électorale. Hassan Ibrahim/Parlement libanais
Ces dernières 48 heures, le pays a échappé de justesse à un véritable deal de la honte visant, principalement, à déboulonner le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion meurtrière survenue le 4 août 2020 au port de Beyrouth, comme le veut le Hezbollah. Mais ce qui en a résulté n’est pas pour autant glorieux.
Réuni hier pour la septième fois pour discuter du recours en invalidation des amendements récemment apportés à la loi électorale présenté par le Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, le Conseil constitutionnel a échoué à prendre une décision finale à ce sujet. Cela signifie que les amendements à la loi électorale faisant l’objet du recours entrent de facto en vigueur. Mais il se trouve que cette défaite du CPL est le résultat d’un défaut du Conseil constitutionnel, puisqu’il n’a pris aucune décision, plutôt que d’un rejet en bonne et due forme du recours. Le recours aouniste portait sur plusieurs points, dont les plus importants sont les modalités du vote des Libanais de l’étranger et le calcul de la majorité à la faveur de laquelle la loi faisant l’objet du recours a été votée.
Les coulisses…
Lors de la séance parlementaire du 28 octobre dernier, consacrée à l’étude des modifications apportées à la loi après leur renvoi à la Chambre – pour un nouvel examen – par le président de la République Michel Aoun, le chef du législatif Nabih Berry s’était livré à une interprétation personnelle de l’article 57 de la Constitution. Ce texte est pourtant très clair. Il stipule que le Parlement devrait voter la loi renvoyée par le chef de l’État, à la majorité absolue (la moitié plus un) du nombre total de députés qui « composent légalement la Chambre ». La majorité requise est donc de 65 députés sur 128. Sauf que M. Berry ne l’avait pas entendu de cette oreille. Il avait fixé à 59 députés sur 117 la majorité requise pour voter la loi modifiant la législation électorale. C’est à la faveur de cette logique que la tenue du scrutin le 27 mars au lieu de début mai a été approuvée à la majorité de 77 voix (dont celles des parlementaires du Hezbollah), alors que le vote des émigrés dans les quinze circonscriptions de la métropole (au lieu d’élire six députés qui formeraient une 16e circonscription) a été approuvé à une majorité de 61 voix.
De toute évidence, les membres du CC ont évité de se noyer dans les dédales des calculs électoraux et politiciens. Mais il reste que l’interprétation de l’article 57 de la Constitution était au cœur des débats entre les dix magistrats formant l’instance, et qui dans leur écrasante majorité sont soutenus par les principaux protagonistes locaux. Une source judiciaire confie dans ce cadre à L’Orient-Le Jour que les membres du CC ont présenté diverses interprétations de l’article en question, notamment pour ce qui est du calcul de la majorité requise pour faire adopter un texte de loi. Dans ces cas, le CC ne prend généralement pas de décision, précise la source, assurant que les divisions observées en son sein n’étaient pas à caractère confessionnel ou politique.
L’argument ne paraît toutefois pas très convaincant. C’est d’ailleurs ce qui transparaît dans des informations que L’OLJ a pu obtenir auprès de sources concordantes. Un juriste ayant suivi le dossier de près laissait ainsi entendre que les juges gravitant dans l’orbite du tandem chiite ne dérogent que très rarement au mot d’ordre lancé par les partis politiques en question. Ils se seraient ainsi opposés au recours du CPL. De source judiciaire, on croit savoir aussi que les deux juges sunnites se seraient en revanche montrés favorables au recours aouniste, en dépit des rapports complètement gelés entre le CPL et le courant du Futur. De même, quatre juges chrétiens se seraient prononcés pour l’acceptation du recours, le cinquième, indépendant, s’y étant opposé, au même titre que le juge druze. Les six avis favorables n’étaient pas suffisants pour faire pencher la balance, les décisions du CC étant prises à la majorité de sept voix (sur 10).
« Pas de compromis en gestation »
La non-décision du Conseil constitutionnel est intervenue alors que plusieurs médias locaux faisaient état d’un package deal en gestation afin de sortir le cabinet Mikati du coma artificiel dans lequel il est placé depuis plus de deux mois, du fait du boycottage des ministres du tandem chiite. Le Hezbollah conditionne la relance des réunions gouvernementales à un limogeage de Tarek Bitar. Quant à Nabih Berry et son camp, ils disent accepter de se contenter de dessaisir le juge du volet politique de l’enquête. Les personnalités politiques poursuivies seraient donc jugées devant la Haute Cour établie à cet effet.
Dans ses grandes lignes, le compromis prévoyait, selon les informations ayant circulé, l’acceptation par le CC du recours présenté par le CPL. En contrepartie, le camp aouniste et la présidence de la République auraient accepté le limogeage de Tarek Bitar. Une démarche à laquelle paverait la voie une réunion du Conseil des ministres durant laquelle seraient nommés un nouveau président du Conseil supérieur de la magistrature (maronite), plus haute instance judiciaire, mais aussi un nouveau procureur général (sunnite) et un nouveau procureur financier (chiite).
Ce compromis a été catégoriquement rejeté par le Premier ministre Nagib Mikati. « La décision du CC prouve qu’il n’y avait aucun package deal en gestation », commente toutefois un proche de M. Berry. « Il revient aujourd’hui au chef de l’État de convoquer le collège électoral à un scrutin qui se tiendrait le 27 mars prochain », affirme-t-il, sachant que Michel Aoun était clair sur le fait qu’il n’acceptera que les dates du 8 ou du 15 mai pour la tenue des législatives.
Ces dernières 48 heures, le pays a échappé de justesse à un véritable deal de la honte visant, principalement, à déboulonner le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion meurtrière survenue le 4 août 2020 au port de Beyrouth, comme le veut le Hezbollah. Mais ce qui en a résulté n’est pas pour autant glorieux. L'éditorial de Issa Goraïeb Bien vu, monsieur...
commentaires (7)
Depuis son accession à la présidence, Michel Aoun a relégué aux oubliettes ses promesses de réforme pour accorder une priorité absolue à l'avenir politique de son gendre préféré, Gébran Bassil. Il a fait de ce dernier, qui a l'étoffe d'une crapule mais pas celle d'un leader, un président du CPL. Chose facile pour le fondateur du CPL. Mais Aoun a dû faire des pieds et des mains pour convaincre le Hezb d'accepter de propulser Bassil au poste de président. Or, le parti fondamentaliste pro-iranien n'a rien promis à Aoun, le laissant lui et son gendre à sa merci. Le résultat est qu'avec un arriviste sans valeurs ni principes à sa tête, le CPL est devenu l'ombre de ce qu'il était, et qu'à l'extérieur du parti fondé par Aoun, la popularité de Bassil, vu ses échecs, surtout dans le dossier de l'énergie, est proche du point de congélation. Si Michel Aoun avait choisi comme successeur quelqu'un comme Alain Aoun, Ibrahim Kanaan ou Chamel Roukoz, le CPL n'en serait pas arrivé là et le mandat présidentiel ne serait pas dans cet état lamentable.
Youssef Najjar
21 h 09, le 22 décembre 2021