
Hassan Nasrallah et Michel Aoun le jour de la signature de l’entente de Mar Mikhaël en 2006. Photo Mahmoud Tawil
« (Mar) Mikhaël est mort. » C’est par ce tweet que l’humoriste Charbel Khalil, connu pour ses positions radicales en faveur du Courant patriotique libre et de Michel Aoun, a commenté la non-décision émise mardi par le Conseil constitutionnel au sujet du recours en invalidation des amendements apportés à la loi électorale présentée par le CPL. Ce tweet ne saurait être interprété comme la simple expression d’un avis de son auteur. Il semble refléter l’état d’esprit des aounistes. « L’atmosphère avec le Hezbollah n’est pas bonne », affirme à L’Orient-Le Jour un député aouniste sous couvert d’anonymat.
Charbel Khalil faisait référence à l’entente liant les deux partis depuis le 6 février 2006, signée en l’église Saint-Michel à Chiyah. Partant, « la mort de Mar Mikhaël » serait donc une façon d’agiter le spectre d’une éventuelle fin de cette alliance. Cette option paraît comme un piège dans lequel pourrait tomber le chef du CPL, Gebran Bassil, à quelques mois des élections législatives, mais surtout de la très attendue présidentielle, programmée pour octobre 2022. Car pour lui, l’enjeu est de taille : d’une part, il s’agit d’user de tous les moyens pour attirer le plus large électorat chrétien, dont une bonne partie devient de plus en plus hostile au Hezbollah depuis la tragédie du 4 août 2020 ; d’autre part, Gebran Bassil est conscient du fait qu’il a besoin de l’appui du parti chiite, tant pour remporter les élections dans certaines circonscriptions que pour satisfaire ses ambitions présidentielles. Parviendra-t-il à ménager la chèvre et le chou ?
La question s’est surtout posée hier, après la conférence de presse que le chef du CPL a tenue quelques heures après la non-décision du Conseil constitutionnel. Gebran Bassil avait alors accusé ouvertement le tandem chiite (incluant son allié, le Hezbollah, mais aussi le mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry) de se tenir derrière l’attitude du Conseil constitutionnel et le blocage du gouvernement. « Le Hezbollah est excellent dans la libération de la terre. Mais il n’est pas aussi excellent sur le plan local », souligne Hikmat Dib, député CPL de Baabda. « Il y a eu plusieurs divergences, la dernière étant celle suscitée par la non-décision du Conseil constitutionnel », ajoute-t-il.
L’attitude de cette instance est donc la goutte qui a fait déborder le vase. D’autant que les mésententes entre les deux camps sont audibles sur plusieurs sujets d’ordre strictement local, telles que la lutte contre la corruption, les aounistes reprochant au parti pro-iranien de ne pas s’allier à eux dans cette bataille qui viserait à édifier un État, comme le stipule l’entente de Mar Mikhaël.
Entre Berry et Bassil…
Plus récemment, et dans la foulée du bras de fer opposant le tandem Baabda-CPL au président de la Chambre autour de la loi électorale et ses amendements, le Hezbollah a pris le soin de ne contrarier aucun de ses deux alliés. Il a ainsi voté en faveur d’un avancement des législatives au 27 mars (au lieu du 8 ou du 15 mai) comme le veut le chef du mouvement Amal. Il s’est en outre abstenu de se prononcer sur l’amendement qui autoriserait les Libanais de la diaspora à voter pour les candidats en lice dans les 15 circonscriptions de la métropole, au lieu d’élire les six députés représentant les continents dans le cadre d’une circonscription spécialement dédiée aux Libanais de l’étranger comme le veut M. Bassil.
« Gebran Bassil veut que le Hezbollah le soutienne aux dépens de Nabih Berry, ce que le parti ne fera pas », commente pour L’Orient-Le Jour une personnalité proche des cercles du Hezbollah, ayant requis l’anonymat. Preuve en est, le parti chiite, tout comme le président de la Chambre, ne semble nullement pressé de sauver ce qui peut encore l’être du mandat de Michel Aoun, allié historique du Hezbollah.
Pour le parti pro-iranien, la priorité est ailleurs, c’est celle de dessaisir le juge Tarek Bitar de l’enquête sur le drame du 4 août 2020 au port de Beyrouth. À ce sujet, il est important de souligner une légère nuance : alors que le Hezbollah veut carrément déboulonner M. Bitar, le mouvement Amal affirme se contenter de le dessaisir du volet politique de l’enquête. Quoi qu’il en soit, ce qui est sûr, c’est le résultat de cette impasse : la léthargie gouvernementale est appelée à durer, alors que le pays poursuit sa descente aux enfers et que Michel Aoun joue le tout pour le tout, à dix mois de l’expiration de son sexennat. S’exprimant à ce sujet hier, le chef de l’État a été jusqu’à dénoncer « un acte délibéré », en référence au blocage gouvernemental qui dure depuis le 12 octobre dernier. « Le Hezbollah comprend ce genre de prise de position de la part du président Aoun », croit savoir Fayçal Abdel Sater, un analyste politique connu pour sa proximité des cercles de la formation dirigée par Hassan Nasrallah. « Il est normal que Michel Aoun et Gebran Bassil soient en colère et expriment des positions fermes, au vu des pressions populaires et politiques qu’ils subissent depuis le début du mandat », dit-il, assurant que le Hezbollah tient à préserver « une bonne relation avec le binôme Baabda-CPL, en dépit de quelques épisodes qui pourraient perturber l’atmosphère, comme celui du Conseil constitutionnel ». Et M. Abdel Sater de confier que le Hezbollah « veut que le cabinet Mikati reprenne ses réunions. Mais le problème réside dans les mesures prises par le juge Bitar, qui pourraient mener le pays au chaos ». Une allusion aux poursuites lancées par le magistrat contre plusieurs figures de proue du camp chapeauté par le Hezbollah, ce qui suscite la colère du parti.
L’affaire Bitar
C’est justement l’affaire Bitar qui paraît être la plus grande pomme de discorde entre les deux alliés. Et c’est là que pourraient se mesurer les pertes populaires du CPL qui se feraient sentir dans les urnes. Contrairement au Hezbollah, le CPL ne s’est jamais prononcé en faveur d’un limogeage du juge en charge de l’enquête sur un drame qui a frappé la rue chrétienne de plein fouet. Une rue qui ne semble plus en mesure de tolérer l’entente entre les formations de Gebran Bassil et Hassan Nasrallah, notamment après les affrontements de Tayouné du 14 octobre dernier. Ce jour-là, des accrochages avaient opposé des miliciens relevant du tandem chiite à des éléments chrétiens présumés proches des Forces libanaises de Samir Geagea, qui a vu sa popularité augmenter dans les rangs chrétiens. « Nous sommes contre toutes les provocations à caractère confessionnel. Et les deux parties sont fautives », commente Hikmat Dib, excluant la possibilité de voir l’entente de Mar Mikhaël tomber à l’eau dans un avenir proche. Une position qui reflète le fait que les aounistes sont conscients de leur besoin de tendre la main au Hezbollah, pour gagner les batailles électorales, notamment dans les régions où l’électorat chiite est massivement présent, tel que Baabda, ou constitue un élément décisif, comme à Jbeil. Lors du scrutin de 2018, les deux partis avaient échoué à tisser une alliance électorale dans la région, ce qui a causé l’échec de Hussein Zeaïter, candidat du Hezbollah pour le seul siège chiite du caza.
« L’entente de 2006 a été conclue sur la base d’un accord national qui dépasse les intérêts partisans et électoraux », affirme Hikmat Dib. Il converge sur ce point avec Fayçal Abdel Sater qui estime qu’il n’est pas dans l’intérêt des deux formations de mettre un terme à leur alliance avant le scrutin de 2022… Gebran Bassil devra lui-même donner le ton lors d’une conférence de presse qu’il tiendra le 2 janvier 2022, apprend-on de source informée.
commentaires (17)
Il a voulu souper avec le diable mais il a oublié d'amener une grande cuillère.
Yves Prevost
07 h 54, le 24 décembre 2021