Bien qu’il ait soigné la forme en ménageant au plus haut point son puissant partenaire chiite, le Hezbollah, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil n’a pas hésité à placer la barre haut lors de son discours dimanche dernier. En multipliant ses revendications visant, selon lui, à défendre les « droits des chrétiens », il a voulu en même temps provoquer une réaction du Hezbollah, accusé de rester passif depuis le début de la crise de la formation du gouvernement. En annonçant frontalement la cassure avec le chef du Parlement, Nabih Berry, ainsi que son refus de la répartition par tiers (chrétiens, chiites et sunnites) des ministres qu’il considère être une atteinte aux prérogatives du chef de l’État Michel Aoun, le CPL cherche clairement à faire pression sur le Hezbollah pour l’amener à trancher définitivement le nœud de ses alliances contradictoires. En dents de scie depuis un certain temps, la relation du camp aouniste avec le parti chiite risque de se compliquer un peu plus après ce discours qui place ce dernier dans l’embarras. Car ce qu’attend Gebran Bassil, c’est que le Hezbollah prenne son parti contre son allié stratégique Nabih Berry et son partenaire obligé Saad Hariri, à un moment où le parti de Dieu considère qu’il n’a aucun intérêt à le faire. « Le message est limpide. Le Hezbollah ne peut plus rester les bras croisés », a commenté pour L’Orient-Le Jour le député CPL Eddy Maalouf (Metn).
Ayant accusé Nabih Berry de partialité en faveur de Saad Hariri, Gebran Bassil a appelé le patron du Hezbollah, en qui il dit avoir davantage confiance, à se substituer au leader du mouvement Amal et à arbitrer le conflit qui l’oppose au Premier ministre désigné. Le chef du CPL dit espérer ainsi que Hassan Nasrallah lui rendra justice et mettra un terme à ce que le gendre du président considère comme une atteinte aux droits des chrétiens. Un leitmotiv populiste que le leader aouniste, qui se sent aujourd’hui encerclé dans les rapports de forces en présence, ne cesse de brandir depuis le début de la crise gouvernementale. Le duo Aoun-Bassil estime que la parité islamo-chrétienne est mise en danger par une volonté des autres acteurs de la remplacer par une séparation en trois tiers. Le camp aouniste considère en outre qu’il a donné tout ce qu’il pouvait au Hezbollah et que celui-ci ne lui a pas assez donné en retour. Autrement dit, que le parti chiite n’accorde pas suffisamment d’importance à son alliance avec le CPL, alors que le Hezbollah préfère se placer au-dessus de la mêlée et ne pas renoncer à ses autres alliés et partenaires.
Pour le parti chrétien, l’heure n’est plus aux compromis et le Hezbollah est invité à jouer cartes sur table comme l’a fait Gebran Bassil dimanche dernier. « Que ce soit clair pour tout le monde : nous n’accepterons pas un système masqué de répartition du pouvoir par tiers », dit M. Maalouf. M. Bassil rejette par là l’initiative de sauvetage que M. Berry tentait de mettre en place. Celle-ci consiste en un gouvernement de 24 répartis à égalité (3 x 8) entre le camp haririen et ses alliés, le camp aouniste et le camp chiite. Une formule que le CPL avait pourtant avalisée au départ. Dans la logique aujourd’hui soutenue par le CPL, si le président concède les deux ministres chrétiens qu’il souhaite ajouter aux huit ministres initialement octroyés à son camp, il créera un précédent. Désormais, c’est la parité appliquée au gouvernement que réclame le CPL. « Si nous n’avons pas un gouvernement composé de manière équitable, et par équitable je veux dire 12 ministres chrétiens nommés par le CPL face aux douze ministres musulmans, il ne peut y avoir des réformes », affirme, sans rire, le député aouniste Amal Abou Zeid, qui fait ainsi hâtivement abstraction des autres parties prenantes chrétiennes. Gebran Bassil continue pourtant de dire qu’il ne souhaite pas disposer du tiers de blocage et le chef de l’État avait assuré la même chose au patriarche maronite.
« Le Hezb fera tout pour éviter l’explosion »
« Il s’agit d’un repositionnement du CPL en faveur de la parité contre la répartition par tiers et contre la rotation des portefeuilles appliquée de manière arbitraire », commente prosaïquement un analyste proche du Hezbollah. Ce dernier avait réussi dès le départ, conjointement avec le mouvement Amal, à obtenir de Saad Hariri l’attribution du portefeuille des Finances à un chiite. En toile de fond également, les prérogatives du président que le CPL affirme défendre par tous les moyens. « Le chef de l’État n’est pas la reine d’Angleterre ni un président fantoche, même si la Constitution a revu ses prérogatives à la baisse », commente encore Amal Abou Zeid. Pour le CPL, il est hors de question de retourner au cas de figure qui prévalait en 2005, c’est-à-dire du temps où « l’occupant syrien et ses alliés libanais, sunnite, chiite et druze gouvernaient le pays ». Ce sont des points sensibles sur lesquels Gebran Bassil a été aussi frontal que provocateur, espérant faire sortir le Hezbollah de sa torpeur. Pour l’instant, le parti chiite observe un mutisme absolu comme il a l’habitude de le faire dans des moments aussi délicats. « Gebran Bassil a essayé de refiler la patate chaude à Hassan Nasrallah. Je doute fort qu’il y ait une réponse publique de sa part », confie une source proche du parti.
Dans la mesure du possible, ce dernier tentera donc d’arrondir les angles, et de trouver un règlement en coulisses. Même si le chef du CPL s’est adressé au patron du Hezb en le qualifiant d’« ami » et de « juste », le parti de Dieu ne manquera probablement pas de faire des reproches à son allié chrétien qui a publiquement interpellé Hassan Nasrallah, provoquant un profond malaise dans les milieux proches du parti. Pour le Hezbollah, le linge sale ne peut être lavé sur la place publique.
« Le Hezb fera tout pour éviter l’explosion. Mais sa situation est extrêmement problématique », conclut l’analyste. En soirée, on apprenait de source proche du parti de Dieu que des efforts ont été entamés dès hier matin pour calmer le jeu entre MM. Bassil et Berry.
commentaires (22)
Il veut HB pour lui tout seul? Ben, qu’il le prenne et qu’il le garde bien enfermé chez lui on le lui fait cadeau. Le problème c’est que HB ne veut plus de lui. Sa mission a été accomplie, le pays est en enfer et dans les griffes de ses alliés d’hier et il refuse de le comprendre. Il a essayé la méthode forte des menaces en l’air et des vociférations à la HN, mais ça n’a pas pris, alors il passe au mode supplication et pleurnicherie de celui qui a été berné, utilisé et jeté alors que c’était son propre choix. Il faut assumer ses choix dans la vie, ne lui a t-on pas appris cela dès sa plus tendre enfance?
Sissi zayyat
13 h 35, le 23 juin 2021