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Idées - Finances publiques

Une crise peut en cacher une autre


Une crise peut en cacher une autre

Illustration : bigstockphotos

Depuis près de deux ans, le Liban fait face à de multiples crises (économique, financière, sociale, et sanitaire) qui compromettent gravement son avenir, sans voir de réponse claire des autorités pour remédier à cette situation.

Si, s’agissant des volets économiques et financiers de la crise, l’attention médiatique s’est principalement focalisée sur certains aspects, tels que la dégradation brutale du taux de change et l’apparition d’un marché parallèle, l’asphyxie provoquée par la crise bancaire ou encore la déliquescence des réserves de la Banques centrale (BDL) ; l’évolution des grands déséquilibres qui caractérisent pourtant le pays du Cèdre depuis des années, les fameux « déficits jumeaux » (déficit budgétaire et de balance des paiements) semblent en quelque sorte avoir été relégués au second plan.

Et cela est particulièrement préoccupant s’agissant de l’état actuel des finances publiques, qui constitue à bien des égards aussi bien un révélateur des conséquences de l’inaction politique qu’un signal d’alarme sur la réduction en peau de chagrin des marges de manœuvre pour redresser la situation.

Cette inaction politique est notamment perceptible dans l’avant-projet de budget 2021, actuellement examiné en Conseil des ministres, qui ne comporte, contrairement à toute logique, aucune donnée macroéconomique actualisée (PIB, inflation) et se contente de transposer les niveaux relatifs de dépenses et recettes budgétées de l’année précédente.

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Pour mieux comprendre l’état réel de la situation économique, on est donc contraint de se contenter des derniers chiffres disponibles publiés par le Trésor public, relatifs au huit premiers mois de 2020. Or si selon ces données le déficit public a connu une baisse de 14 % en glissement annuel sur cette période, à 3 821 milliards de livres libanaises, cette baisse purement comptable est en grande partie illusoire. Elle ne résulte en effet que de la conjonction de facteurs conjoncturels qui créent un effet trompe-l’œil.

Dépenses masquées

Cela est d’abord perceptible du côté des dépenses, principalement en raison des subventions appliquées par la BDL sur certaines dépenses en devises (qui compensent la différence entre le taux officiel et celui du marché) et des arriérés de paiements, en particulier, des intérêts de la dette.

Ces derniers affichent une baisse de 59 %, due notamment au défaut de paiement en mars 2020. N’ayant été suivi par une stratégie de restructuration, le montant de ces coupons n’apparaissent donc pas dans le déficit mais seulement dans la dette publique.

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Quant aux transferts effectués à EDL, qui représentaient toujours le troisième plus grand poste de dépenses budgétaires sur la période (après les salaires et les intérêts), ils ont enregistré une baisse de 37 %, principalement du fait de la baisse des prix de pétrole. Toutefois cette baisse masque en effet deux réalités. D’abord, l’achat de fuel pour EDL est subventionné par la BDL au taux de change officiel de 1 507,5 LL/USD. Calculé au taux du marché, ce transfert s’avère 4 fois plus élevé que le montant rapporté dans les comptes publics, avoisinant les 3 600 milliards de livres libanaises. Cette subvention du taux de change par la BDL (qui concerne aussi d’autres postes de dépenses publiques en devises) engendre un fardeau conséquent sur les réserves de la BDL, aggravant son propre déficit en lieu et place de celui de l’État.

Ensuite, les dépenses publiques dissimulent d’autres formes d’arriérés de paiements. C’est surtout le cas au niveau d’EDL, notamment en ce qui concerne les charges opérationnelles dues aux sociétés de gestion. Et cela n’a pas que des conséquences financières, compte tenu du risque de black-out partiel ou total que cela implique pour les Libanais.

Revenus minés

Plus grave encore que la baisse artificielle des dépenses, les revenus sont également très affectés, et pour les années à venir, par la conjonction des crises multiples et les distorsions causées par les taux de changes multiples.

En ce qui concerne les recettes budgétaires, les chiffres publiés indiquent une baisse de 27 % sur les huit premiers mois de 2020. En effet, la contraction de l’activité économique – estimée à 25 % en 2020 par le FMI –, de même que la crise financière et bancaire, expliquent en partie l’effondrement des revenus, en particulier du côté des impôts perçus sur les profits (-74 %) et sur les capitaux (-72 %).

Par ailleurs, l’effondrement de plus de 50 % du volume des importations sur la même période a entraîné un affaissement de moitié des recettes liées à l’import, notamment celles de la TVA et des droits de douane. En effet, ces taxes sont perçues sur des importations évaluées aux taux de change officiel : en appliquant celui du marché, l’augmentation des revenus de la TVA et des droits de douane à l’import devraient avoisiner les 300 %. Au total, le Trésor subit donc un « manque à gagner » en termes de revenus concernant les impôts et charges perçus sur une base d’imposition évaluée aux taux de change officiel.

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En bref, prenant en considérations tous ces paramètres, le déficit sur la période étudiée aurait dû être de 20 % supérieur aux chiffres publiés. De toute évidence, même sans chiffres disponibles, cette situation est encore bien plus gave aujourd’hui.

Par ailleurs, le contexte actuel rend impossible l’accès aux marchés de capitaux pour lever des financements et les crises successives que traverse le pays ont sérieusement érodé la base d’imposition, ce qui empêche toute possibilité d’accroissement des revenus de l’État. Par conséquent, un plus grand déficit budgétaire ne peut se traduire donc que par une plus grande création monétaire, et finalement un surcroît d’inflation. Ce qui aggravera au final l’appauvrissement des Libanais…

Aujourd’hui le Trésor se trouve donc dans une impasse, les options de redressement budgétaire à la disposition des autorités s’amenuisent avec le temps d’où l’urgence accrue d’entreprendre les réformes qui s’imposent. Le Liban ne peut vraiment plus se permettre de continuer à perde du temps.

Zeina KASSEM Économiste, experte en finances publiques, Cabinet Inventis.

 Rola RIZK-AZOUR Économiste et ancienne conseillère économique senior au PNUD.

Depuis près de deux ans, le Liban fait face à de multiples crises (économique, financière, sociale, et sanitaire) qui compromettent gravement son avenir, sans voir de réponse claire des autorités pour remédier à cette situation.
Si, s’agissant des volets économiques et financiers de la crise, l’attention médiatique s’est principalement focalisée sur certains aspects, tels que la...

commentaires (3)

Et pour empêcher que la boite à Pandore ne soit ouverte par les mandataires internationaux, ils préfèrent bloquer le pays et menacer sa population de guerre s’ils ne consentent pas à les garder au pouvoir pour achever le pays mais légalement et d’une façon légitime, comme ça personne n’oserait les attaquer, ni condamner ni surtout les juger et les coffrer, car protégés par leur immunité alors que leur seule place est la prison jusqu’à leur dernier souffle. TOUS SANS EXCEPTION. Car les quelques rares qui n’ont pas volé ont assisté à l’élaboration de ces crimes et ça s’appelle de la complicité.

Sissi zayyat

16 h 03, le 20 mars 2021

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Commentaires (3)

  • Et pour empêcher que la boite à Pandore ne soit ouverte par les mandataires internationaux, ils préfèrent bloquer le pays et menacer sa population de guerre s’ils ne consentent pas à les garder au pouvoir pour achever le pays mais légalement et d’une façon légitime, comme ça personne n’oserait les attaquer, ni condamner ni surtout les juger et les coffrer, car protégés par leur immunité alors que leur seule place est la prison jusqu’à leur dernier souffle. TOUS SANS EXCEPTION. Car les quelques rares qui n’ont pas volé ont assisté à l’élaboration de ces crimes et ça s’appelle de la complicité.

    Sissi zayyat

    16 h 03, le 20 mars 2021

  • Cette intervention pourrait être qualifiée de ce qu'on appelle: 1-avoir inventé le fil à couper le beurre ou 2-avoir inventé la poudre.

    Emile Antonios

    10 h 19, le 14 mars 2021

  • Ça sent mauvais tout ça, très très mauvais... pourvu que les armes ne ressortent pas...

    Gros Gnon

    06 h 03, le 14 mars 2021

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