
Photo d’illustration : Un manifestant agite le drapeau libanais devant le siège de la Banque centrale le 28 avril 2020. Anwar Amro/AFP
Le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a récemment déclaré qu’il est proche d’atteindre ce niveau et qu’il ne peut donc pas poursuivre le programme de subventions. Le rôle des réserves obligatoires est principalement de protéger le secteur bancaire d’un risque systémique, comme par exemple la faillite de la Banque Intra en 1966. Aujourd’hui, presque toutes les banques libanaises étant potentiellement des banques Intra, ces réserves ne sont donc plus suffisantes pour renflouer le système. Du coup, elles servent à autre chose : elles permettent littéralement au pays de continuer à fonctionner, en finançant l’importation de biens essentiels comme le carburant qui nous permet de nous éclairer, de chauffer nos maisons ou de nous déplacer.
Pour mieux comprendre la situation actuelle du secteur bancaire, revenons à nos cours d’arithmétique de neuvième, lorsque nous avons été initiés au concept de « soustraction » : si Riad Salamé dit qu’il refuse de dépenser les derniers 15 % qu’il lui reste, que pouvons-nous en déduire par soustraction ? C’est bien cela : 85 % des devises ont été dépensées.
On peut faire une analyse analogue sur la circulaire 154 d’août dernier, dont l’un des articles exige des banques qu’elles rapatrient en dollars « frais » l’équivalent de 3 % de leurs dépôts : par soustraction, cela implique nécessairement que même si elles y parviennent (ce qui, à ce jour, n’est toujours pas le cas…), il leur manque encore 97 % de ces devises… Selon le rapport sur la balance des paiements, publié chaque mois sur le site internet de la BDL, près d’un milliard de dollars en moyenne quittent le pays chaque mois. Selon divers rapports officiels – souvent contradictoires –, la moitié de cette somme serait dédiée aux subventions (principalement pour le carburant), toujours par soustraction cela signifie que le reste sort du pays pour des raisons « inexpliquées » (un indice : regardez du côté des membres du très sélect « Super Wasta Club » ).
Bref, nous sommes à la croisée des chemins. Si nous continuons de suivre le premier, sans changer radicalement nos politiques monétaires et nos pratiques sociétales, les réserves de la BDL seront consommées dans 16 mois au rythme actuel. À ce moment-là, nous devrons être contraints de vendre notre or. Et même en supposant que les détenteurs d’eurobonds ne profitent pas de ce moment de vulnérabilité parfaite pour faire valoir une créance dessus, cela nous permettrait encore de gagner, disons, 17 mois (en se basant sur le montant des avoirs en or déclarés dans le dernier bilan public de la BDL). En d’autres termes, nous disposons d’une durée de vie de 3 ans, nous la consommons à raison de 3 % par mois et regardons le train s’écraser au ralenti.
Mais que va-t-il se passer au bout de ces 2 ou 3 ans ? Fondamentalement, toutes les preuves d’une vie civilisée au XXIe siècle cessent d’exister : les quelques heures de courant électrique que le gouvernement nous fournit encore sont coupées, les hôpitaux sont à court de fournitures de base, les importations de nourriture deviennent l’apanage des riches, des quelques veinards qui gagnent un salaire en vrais dollars (en travaillant pour l’ONU ou des ONG étrangères), ou de ceux qui ont des parents expatriés...
Mais il y a un deuxième chemin : celui du salut. Une distribution équitable des pertes libérerait les liquidités et l’or qui nous restent pour reconstruire l’économie sur des bases productives, plutôt qu’un système rentier et paresseux basé sur la consommation, et périodiquement maintenu en vie par des aumônes travesties en conférences d’investissement.
Très concrètement, en quoi consisterait ce salut ? Malgré toutes nos errances et tergiversations criminelles, nous avons encore les moyens de faire en sorte que 85 % des déposants soient remboursés, intégralement – souvenez-vous, il y a un an, on aurait même pu en sauver 98 %, mais contrairement au bon vin, ça ne s’améliore pas avec le temps…
Mais cela suppose d’abord que ceux qui ont gagné des taux d’intérêt obscènes et factices sur leurs dollars (15 %, 20 %, 25 % voire 31 %) voient leurs créances réduites à un montant raisonnable. Par exemple, si vous avez gagné 26 % sur un million de dollars entre 2016 et 2019 (doublant ainsi votre mise sur la période), seul 1,1 million de dollars de votre créance serait reconnu – et non les 2 millions de dollars que vous pensiez avoir obtenu à travers le schéma de Ponzi de notre Disneyland bancaire. Pour être clair, on parle ici de ceux qui ont doublé leur mise, ont gardé leur argent ici et se sont retrouvés avec des « Lollars » (ou des billets de Monopoly). Pour les « futés » qui ont profité des taux obscènes et se sont échappés avant octobre 2019, un rapatriement forcé des fonds ( « clawback ») serait imposé.
Ensuite, qu’une loi soit votée pour rapatrier les fonds de tous ceux qui se sont échappés de manière frauduleuse à travers leur « Super Wasta » (par exemple les 3-4 milliards de dollars qui se sont échappés lors de la fermeture des banques après le 17 octobre 2019), afin de les remettre dans le même bateau que la majorité de la population lésée. Les cadres supérieurs, les propriétaires et les membres du conseil d’administration des banques devraient également voir leurs avoirs gelés ; pour qu’ils partagent enfin le sort leurs clients – c’est d’ailleurs prévu par la loi libanaise (loi n° 2/67, article 13).
Troisièmement, ceux qui ne peuvent pas être remboursés seraient dédommagés à travers des actions de la banque qui a perdu leur argent (c’est ce qu’on appelle un « bail-in », comme l’a fait Chypre). Autrement dit, c’est l’inverse de la saisie de votre maison hypothéquée par la banque : ici, c’est vous qui prenez possession de la banque qui ne vous a pas payé sa créance (votre dépôt).
Si nous ne prêtons pas ce second chemin, nous nous dirigeons tout droit vers l’apocalypse, une sorte de Mogadiscio en 1993. Si vous voulez avoir un aperçu de ce futur morbide, mais évitable, regardez La Chute du faucon noir, ou bien Mad Max…
Dan Azzi est un ancien directeur de banque et chroniqueur à L'Orient-Le Jour.
commentaires (11)
Pas d'issue sans un grand changement politique et militaire car le Hezb et Amal en particulier feront tout pour bloquer les réformes qui consistent sur tout à réduire la taille de l'État où sont placés leurs hommes. Cette réforme de traduira immédiatement par un regain de confiance vital pour tout redressement. Le Liban est un petit pays qui a besoin de quelques milliards pour se redresser SI réformes il y a. Le tandem craint ses réformes et la d'évaluation fera de sorte à ce que leurs hommes se rebellent contre eux, dont l'initiative du brillant Ali Hassan Khalil...
Onaissi Antoine
05 h 50, le 11 mars 2021