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Politique - Éclairage

Comment lire l’assassinat de Lokman Slim

Pourquoi maintenant ? Pourquoi renouer – si le Hezbollah est effectivement derrière son assassinat – avec ce type de méthodes dans un contexte où le parti chiite domine la scène politique libanaise ?

Comment lire l’assassinat de Lokman Slim

Des membres des forces de sécurité autour de la voiture dans laquelle a été retrouvé le corps sans vie de Lokman Slim, le 4 février 2020, à Aaddoussiyé, au Liban-Sud. AFP / Mahmoud ZAYYAT

L’assassinat de Lokman Slim, retrouvé mort jeudi matin, sonne comme un terrible rappel à la réalité à un moment où le Liban est confronté à plusieurs problématiques existentielles qui se greffent les unes sur les autres.

L’élimination de toute parole critique contre l’axe irano-syrien a marqué toute une décennie politique au Liban et a largement contribué à polariser le débat autour des forces du 14 et du 8 Mars. Assassiné le 27 décembre 2013, l’ancien ministre Mohammad Chatah était jusqu’à maintenant le dernier d’une longue liste de martyrs ciblés par des attentats attribués à l’autoproclamé axe de la résistance. Si la méthode n’est pas comparable, tant en termes de logistiques que de signature politique – et qu’il faut rester prudent en l’absence de davantage d’éléments factuels –, le meurtre de Lokman Slim pourrait toutefois s’inscrire dans cette même logique tant tous les éléments pointent du doigt la responsabilité du Hezbollah : le lieu de l’assassinat, le mobile et le contexte général qui l’entoure. L’intellectuel chiite, connu pour ses critiques acerbes contre le parti de Dieu et menacé à plusieurs reprises, a été retrouvé tué de cinq balles, quatre à la tête et une au dos, dans sa voiture dans la localité de Touffahta, dans le Sud.

Pourquoi maintenant ? Pourquoi renouer – si le Hezbollah est effectivement derrière son assassinat – avec ce type de méthodes dans un contexte où le parti chiite domine la scène politique libanaise ? Les assassinats politiques sont généralement à la fois le signe d’un sentiment de toute puissance et en même temps de fragilité. L’objectif est toujours le même : éliminer une parole gênante et envoyer de cette façon un message à tous ceux qui seraient tentés d’en faire de même. Le meurtre de Lokman Slim peut ainsi être lu dans un triple contexte : celui de la rue chiite, celui du Liban et celui de la région.

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S’il ne faut pas en exagérer l’ampleur, le Hezbollah est confronté à de plus en plus de critiques au sein de la rue chiite depuis la révolution du 17 octobre. Ces critiques n’émanent plus seulement de voix dissidentes ou des cercles libéraux au sein de la communauté – dont faisait partie Lokman Slim – qui étaient assimilées par le Hezbollah et ses partisans à des agents à la solde de l’ennemi américain. Elles proviennent également de milieux traditionnellement favorables à la rhétorique du parti. On lui reproche son alliance avec le mouvement Amal, de n’avoir rien fait pour lutter contre la corruption, mais aussi le fait d’être devenu une milice régionale depuis ses interventions en Syrie, en Irak et même, dans une très moindre mesure, au Yémen. La personnalité du secrétaire général Hassan Nasrallah et les armes du parti demeurent toutefois deux lignes rouges pour la grande majorité des partisans. L’affaire « Kassem Kassir » qui a éclaté au courant du mois de janvier donne une idée de la tension qui anime actuellement la rue chiite. Cet intellectuel proche du Hezbollah, et dont le frère occupe un poste de prestige au sein de l’appareil de la République islamique iranienne, avait été l’objet d’une vague de critiques de la part des partisans de la formation chiite après avoir estimé dans une interview à la télévision que le parti devait prendre ses distances avec l’Iran. Sous la pression populaire, il avait été contraint de se rétracter.

Contexte régional

Compte tenu de la pression qu’il subit sur les scènes locale et régionale, le Hezbollah peut avoir voulu envoyer un message qu’il n’est plus en mesure de tolérer la moindre parole dissidente au sein de sa rue. Non seulement Lokman Slim contestait virulemment la mainmise du parti sur la communauté, mais il le faisait en plus depuis la banlieue sud. En septembre dernier, le secrétaire d’État adjoint américain chargé du Proche-Orient, David Schenker, partisan d’une ligne ferme contre le Hezbollah, s’était entretenu avec une dizaine de personnalités chiites hostiles au parti de Dieu, à l’initiative de Lokman Slim.

Le parti chiite est dans un moment paradoxal. Jamais il n’a été aussi puissant à la fois au Liban et dans la région, mais jamais non plus cette domination n’a été aussi contestée. Il est en train de perdre le soutien d’une grande partie de la rue chrétienne, qui le tient pour responsable de la crise économique qui frappe le pays et de la double explosion du port de Beyrouth. Le parti est sur la défensive : le risque pour lui, c’est de perdre une alliance à caractère national qui lui permettait de dépasser le cadre strictement chiite. Dans cette logique, l’élimination de Lokman Slim pourrait être un moyen pour le Hezbollah de rappeler à tous ses adversaires, mais aussi à ses alliés, de quoi il est capable pour préserver ses acquis.

Cet événement tragique intervient en plus dans un contexte régional où les milices pro-iraniennes multiplient les assassinats contre tous ceux qui osent les défier en Irak. Le spécialiste du jihadisme Hicham al-Hachémi avait été tué devant son domicile à Bagdad le 6 juillet dernier. Depuis l’élimination par les États-Unis le 3 janvier 2020 du général iranien Kassem Soleimani, Téhéran semble avoir baissé le ton vis-à-vis de Washington, mais augmenter au contraire la pression par rapport aux populations locales qu’il veut soumettre à sa domination.

Après des années à subir la politique de pression maximale de Donald Trump, et les frappes israéliennes contre ses positions en Irak et en Syrie, Téhéran peut espérer un répit avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden qui souhaite ressusciter l’accord nucléaire. Mais alors que les négociations risquent déjà d’être extrêmement difficiles, compte tenu des exigences de part et d’autre, les signes d’un durcissement de la mainmise iranienne au Liban et en Irak ne devraient pas faire l’affaire des défenseurs de l’approche diplomatique au sein de la République islamique, alors que des élections législatives doivent se dérouler en juin prochain.

Au Liban, le meurtre de Lokman Slim risque de polariser un peu plus les positions, notamment au sein de la société civile, elle-même très divisée sur la politique à adopter par rapport au Hezbollah. Il risque de conforter tous ceux qui considèrent, dans l’esprit du 14 Mars, que les réformes relèvent de la cosmétique tant que le pays sera dominé par une milice armée dont l’agenda est en grande partie lié aux desiderata de Téhéran. Mais le pays du Cèdre est confronté à tellement de malheurs en même temps qu’une autre actualité dramatique pourrait vite reprendre le devant de la scène.

L’assassinat de Lokman Slim, retrouvé mort jeudi matin, sonne comme un terrible rappel à la réalité à un moment où le Liban est confronté à plusieurs problématiques existentielles qui se greffent les unes sur les autres.L’élimination de toute parole critique contre l’axe irano-syrien a marqué toute une décennie politique au Liban et a largement contribué à polariser le débat...

commentaires (11)

Pour chaque crime on cherche le motif et l’intérêt de quelqu’un à voir la victime réduite au silence. Hors dans le cas de M Slim il n’y a pas trois cent mille pistes à explorer. Les seuls et uniques à qui profite le crime sont ceux qui l’ont assassiné justement dans leur fief pour semer le trouble dans la tête des demeurés qui croient qu’il faut être débité pour exécuter un ennemi sur leur propre territoire. Alors que tout le monde sait que même un bourdon doit avoir l’autorisation de ces mafieux pour planter son dard dans la peau d’un promeneur. Il ne faut pas être Colombo pour arriver à trouver le coupable, ce crime est signé puisque c’est la tête de la victime qui a été visée pour son contenu et le dos, signe de trahison et de lâcheté.

Sissi zayyat

14 h 41, le 05 février 2021

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Commentaires (11)

  • Pour chaque crime on cherche le motif et l’intérêt de quelqu’un à voir la victime réduite au silence. Hors dans le cas de M Slim il n’y a pas trois cent mille pistes à explorer. Les seuls et uniques à qui profite le crime sont ceux qui l’ont assassiné justement dans leur fief pour semer le trouble dans la tête des demeurés qui croient qu’il faut être débité pour exécuter un ennemi sur leur propre territoire. Alors que tout le monde sait que même un bourdon doit avoir l’autorisation de ces mafieux pour planter son dard dans la peau d’un promeneur. Il ne faut pas être Colombo pour arriver à trouver le coupable, ce crime est signé puisque c’est la tête de la victime qui a été visée pour son contenu et le dos, signe de trahison et de lâcheté.

    Sissi zayyat

    14 h 41, le 05 février 2021

  • Comme toujours, immédiatement après un évènement malheureux les accusations pleuvent. Au Liban tout le monde a une explication à tout surtout quand il s’agit d’accuser le Hezbollah et l’Iran : aucune mention d’Israël ? des Etats Unis ? Avec ces deux pays voyous/ proxénète du terrorisme mondial, c’est le catéchisme n’est-ce pas ?

    aliosha

    10 h 43, le 05 février 2021

  • Mais le message est clair, net et précis, Mr Samrani: c'est ainsi que fonctionnent les régimes totalitaires, théocratiques et dictatoriaux....On ne tolère aucune opposition, on vous menace et, quand vous ne rentrez pas dans l'ordre, on vous élimine tout simplement.... on régne par la terreur et la soumission....C,est ce qu'ont fait le régime syrien puis le Hezbollah depuis plus de 20 ans et, en toute impunité....Sans vouloir nommer la multitude des assasinats et tentatives d'assasinats politiques qui ont eu lieu depuis ce temps-là.... Résultat clair: tout notre beau monde de politiciens véreux n'osaient plus défier ouvertement le parti de Dieu, ils faisaient leurs petites magouilles personnelles, au détriment de l'état et de sa souveraineté, et, après moi le déluge... Pensez-vous qu'un parti comme le CPL et le gendrissime ne réalisent pas les conséquences désastreuses de leur alliance diabolique avec la milice chiite?... C'est fort probable que eux aussi ont le couteau sur la gorge et n'oseraient jamais confronter directement leur allié chiite, craignant aussi l'élimination physique... C'est la réalité toute crue et ce qui explique le délitement total du pays sans que personne n'ose prendre l'initiative de quoi que soit... Et, malheureusement la situation ne va pas s'améliorer de sitôt!

    Saliba Nouhad

    21 h 25, le 04 février 2021

  • Il faudrait aller voir bien plus loin que le bout de son nez.

    DRAGHI Umberto

    20 h 58, le 04 février 2021

  • Contrairement à ce que pensent ceux qui sont derrière cet assassinat, il pourrait provoquer une vraie opposition au parti, au sein de la communauté chiite, opposition qui était jusque là latente.

    Esber

    17 h 42, le 04 février 2021

  • Les criminels sont déjà en Iran .......

    Eleni Caridopoulou

    17 h 27, le 04 février 2021

  • Malgré le drame, je suis curieux de lire l’article de Scarlet Haddad à propos de cet assassinat

    Lecteur excédé par la censure

    17 h 19, le 04 février 2021

  • C,EST POUR FAIRE TAIRE D,AUTRES VOIX CONTESTATAIRES, EN EXEMPLE CELLE DE KASSIR QUI S,EST RETRACTE APRES DES INTIMIDATIONS VOIRE DES MENACES, QU,ON REVIENT AUX VIEILLES METHODES DE FAIRE TAIRE CES VOIX INTESTINES UNE FOIS POUR TOUTE. METHODE AYANT PAYE DANS LE PASSE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 17, le 04 février 2021

  • A la place des martyrs, où Lokman avait si éloquemment prit souvent la parole on devrait bâtir un muret sur lequel sont gravées les noms de tous nos martyrs, incluant Lokman, assassinés alors qu'ils proclamaient, défendaient et nous enseignaient le sens de la liberté, de la démocratie et du courage pour combattre l'obscurantisme qui envahit notre société, notre Patrie et l'avenir de nos nouvelles générations!!!

    Wlek Sanferlou

    15 h 43, le 04 février 2021

  • Quand est ce que le peuple libanais vas se réveiller ?!?!?

    Bery tus

    15 h 36, le 04 février 2021

  • Scène de crime... avec toutes ces personnes qui piétinent les lieux??? Soit «on» sait qui a perpétré ce crime, et donc tout ce tralala est bidon; soit que les forces policières devraient montrer à Hollywood comment entreprendre une enquête bidon... Et au-delà de cette ridicule mise en scène, se poser cette question: À QUI PROFITE CE CRIME? Certes pas à la Thaoura... ALORS?

    Christian Samman

    15 h 24, le 04 février 2021

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