Depuis l’annonce de la campagne qu’il parraine en faveur de la « neutralité active » du Liban, le patriarche maronite Béchara Raï ne semble plus dans les faveurs du Hezbollah, hautement secoué par cette proposition qui remet foncièrement en cause son arsenal militaire. Les choses se sont gâtées un peu plus depuis que Mgr Raï a évoqué dans son homélie dimanche dernier « des caches d’armes installées illégalement au cœur des quartiers résidentiels » et qui selon lui doivent être perquisitionnées après le signal d’alarme donné par l’explosion du 4 août au port de Beyrouth. Une position considérée comme étant encore plus avancée que la question de la neutralité dans la mesure où elle cible encore plus directement les armes du parti chiite.
La déclaration du patriarche maronite n’est pas passée inaperçue dans le quotidien al-Akhbar considéré comme proche du Hezbollah. Le journal arabophone ne s’est pas privé de répondre en lieu et place du parti pro-iranien, diront certains, accusant le dignitaire maronite de « faire la promotion de la paix avec l’ennemi israélien ». Une accusation qui a valu au journal une réponse cinglante de la part de la Commission épiscopale pour les communications sociales relevant de Bkerké, qui non seulement confirme les informations sécuritaires révélées par Béchara Raï, mais invite le quotidien à se livrer aux investigations nécessaires « au lieu d’accuser abusivement le patriarche ».
L’échange tendu de part et d’autre ne s’est pas arrêté à ce stade. Hier c’était au tour de l’ancien ministre Mahmoud Qmati, proche du Hezbollah, de revenir sur la question. Dans une déclaration qui a été perçue comme une réaction sarcastique à Bkerké, l’ancien ministre, qui est également membre du comité de médiation entre Bkerké et la banlieue sud, a salué l’appel du patriarche à perquisitionner les caches d’armes, soulignant que cela contribuerait en effet à « rassurer les citoyens qui se sentiront plus en sécurité ».
Selon des sources proches du dossier, cette déclaration « foncièrement ironique et qui n’a pu être que dictée par le haut commandement du parti » n’est pas à prendre à la lettre. Comprendre : « Qu’ils aillent donc perquisitionner. On verra bien s’ils trouveront des armes. » C’est également une manière de décrédibiliser les informations sur les caches d’armes présumées, véhiculées par le patriarche, et qui selon plusieurs sources concordantes « sont fondées sur des informations vérifiées obtenues auprès de sources fiables ».
Divorce ?
Bref autant de signaux envoyés depuis quelques semaines de part et d’autre qui laissent croire que les ponts sont désormais coupés entre Bkerké et le parti chiite.
« Le Hezbollah considère que le patriarche a été trop loin », commente notre correspondant Mounir Rabih. « Ça ne passe plus. Ça ne doit plus passer. Le Hezbollah se présente comme un enfant de chœur mais cela ne marche plus », confie par ailleurs à L’Orient-Le Jour une source épiscopale ayant requis l’anonymat.
C’est une image encore plus puissante que livre à notre quotidien une source proche du dossier qui, à la question de savoir si l’abcès a enfin été crevé après l’appel de Bkerké à la neutralité, répond : « Ce n’est plus un abcès qu’il faut crever mais une plaie béante qu’il faut soigner. »
Nombreux sont ceux qui estiment d’ailleurs que les canaux de communication ont été gelés entre le chef de l’Église maronite et le commandement du Hezbollah qui, chacun de son côté, semblent camper sur leurs positions. C’est ce qui fera dire à une source qui suit de près cette affaire que les deux parties « se prévalent d’une position de principe qui ne tolère aucun compromis ni manœuvre destinée à arrondir les angles. Pour Bkerké c’est la foi dans les principes de liberté, de démocratie et de souveraineté ». Une grille de lecture que ne partage vraisemblablement pas le parti chiite, qui refuse de jeter du lest et de faire un pas en direction de la sortie de crise suggérée par le patriarche qui, dit-on, ne fera pas marche arrière non plus.
Le Hezbollah, qui n’a cependant pas bronché depuis l’appel à la neutralité, se mure dans un silence tactique dans lequel il trouve son intérêt, notamment pour ne pas embarrasser ses alliés chrétiens aounistes, mais aussi pour préserver ses arrières et ne pas se mettre à dos l’Église maronite à un moment aussi critique pour lui. D’ailleurs dans les milieux proches du parti, on refuse de parler de canaux de communication interrompus ou de divorce et l’on préfère recourir aux euphémismes.
« Le Hezbollah reste très attaché à préserver la relation solide avec le patriarcat. La communication ne sera jamais interrompue », assure l’analyste proche du Hezbollah Kassem Kassir. D’ailleurs, dit-il, les propos de M. Qmati, qui affirme « approuver la position du patriarche, ne sont autre qu’une main tendue du parti en direction de Bkerké ».
Un constat qu’approuve, à quelques nuances près, le vicaire patriarcal de Jebbé et de Zghorta-Ehden, Mgr Joseph Naffah, qui suit de près cette question. Selon lui, on ne peut parler ni d’impasse ni de divorce, mais d’un processus qui prend le temps de mûrir. « On ne peut pas dire qu’on a avancé ni qu’on a reculé », dit-il en réponse aux informations liées à la suspension des réunions du comité islamo-chrétien de médiation. Pour le vicaire, Bkerké n’est aucunement dérangé par le Hezbollah qui, dit-il, « n’a publié aucun communiqué qui nous dérange à ce jour ». Ce que Mgr Naffah ne dit pas, c’est que le parti pro-iranien a chargé ses affidés d’orchestrer une campagne contre le patriarche maronite.
Le vicaire patriarcal tient d’ailleurs à rectifier une terminologie largement usitée dans les milieux politiques et médiatiques où l’on considère Béchara Raï comme le parrain par excellence de la proposition de neutralité, ce qui selon Mgr Naffah n’est pas tout à fait correct. « Il s’agit d’une revendication qui est celle d’une large majorité de Libanais venus exprimer leurs doléances au patriarche dont la porte est ouverte à tout le monde. C’est la voix des gens qu’il a cherché à répercuter », dit encore Mgr Naffah. Avant de revenir à la charge pour souligner avec insistance que la question de la neutralité n’a jamais été évoquée comme une arme brandie contre le Hezbollah.
« Le patriarche maronite a même dit à l’ambassadeur iranien qu’il a récemment rencontré que la position de neutralité est la seule issue honorable pour le Hezbollah et pour le Liban », poursuit Mgr Naffah. Avant de conclure : « Que ceux qui ne sont pas d’accord avec ce concept en proposent un autre. Il nous faut une solution. Il faut cesser les surenchères. »
Chou Aoun ? Baadak haoun?
06 h 10, le 27 août 2020