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La tyrannie du vide

Si, comme on nous l’a appris en classe, la nature a horreur du vide, alors elle est bien la seule à s’y vouer dans notre pauvre pays. Il faut dire qu’elle a amplement de quoi s’occuper, s’évertuant à faire pousser buissons et mauvaises herbes dans les ornières et autres pièges qui criblent nos routes et trottoirs laissés sans le moindre entretien. Mais pour ce qui est du reste…


Non contente d’avoir fait le vide intégral dans le Trésor public, c’est dans une sommaire gestion du néant que la classe dirigeante s’est trouvé un style de pouvoir. Même le terrible cataclysme du port de Beyrouth n’a pas réussi à bousculer les vieilles habitudes, à secouer l’indolence ambiante, à implanter dans les cervelles figées le sens de l’urgence. Déjà encombré d’une cascade de crises d’une gravité sans précédent, brillant par son absence dans les quartiers dévastés, le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab trouve ainsi moyen d’appeler à des élections partielles destinées à pourvoir les sièges laissés vacants par une demi-douzaine de députés qui ont claqué la porte de l’Assemblée : des élections, oui, en pleine épidémie de coronavirus, et alors que l’État failli n’a même plus de quoi fournir en paperasse et stylobilles les fonctionnaires assignés aux bureaux de vote ! Tout aussi insensé est le bouclage imposé au pays, les autorités n’étant en mesure ni de sévir contre les foules compactes de contrevenants ni de nourrir les chômeurs : d’où la fronde des commerçants et la consigne de désobéissance touristique décrétée par les restaurateurs, cinglante paire de claques assénée à un pouvoir nageant dans la confusion. Et qui, dès ce matin, devra trancher le dilemme dans lequel il s’est lui-même enferré.


Toujours est-il que plus de deux semaines après la démission du gouvernement, les responsables prennent tout leur temps pour assurer une quelconque relève. En dépit de la furieuse cascade d’échéances et en violation de la Loi fondamentale, on se préoccupe de se répartir les tranches du gâteau avant même de s’entendre sur le nom du maître pâtissier qui le présentera à la salle. Pas de consultations parlementaires donc, en dépit du caractère contraignant de celles-ci, mais des concertations en coulisses requérant, une fois de plus, les bons offices du directeur de la Sûreté générale, promu homme à tout faire d’une république en miettes. Peine perdue que tout cela ; avec la décision de l’ancien Premier ministre Saad Hariri de se retirer de la course, c’est une part substantielle de l’establishment sunnite qui dénonce désormais les manœuvres dilatoires de la présidence de la République et le peu de cas qui est fait du prestige du Sérail.


Tout cela n’est évidemment pas fait pour préserver le mythe d’une présidence forte, slogan d’un régime qui n’est guère au meilleur de sa forme et qui croit trouver un allié dans la crainte du vide que créerait son éventuelle démission, comme il l’affirmait dans une toute récente interview télévisée. Singulière, imprudente assertion que celle-ci, venant d’un homme qui doit son élection au blocage du scrutin présidentiel délibérément pratiqué, deux ans et demi durant, par ses alliés. C’est toutefois avec les exigences du dauphin présumé (il n’est pas interdit de rêver) que sont enfoncées toutes les frontières du surréel. Le chef du parti présidentiel – ne sursautez pas ! – insiste en effet pour conserver, au sein de tout cabinet qui verrait le jour, le contrôle des deux départements où il s’est précisément illustré par sa ruineuse mal gouvernance : l’électricité, car le brave homme, il y va de son honneur, tient à remplir sa vieille promesse de livrer le courant 24 heures sur 24 ; et les Affaires étrangères, où il s’estime également seul apte à réparer tout le gâchis diplomatique qui a conduit à l’isolement du Liban.


Une question pour finir : par quel phénomène cosmique peut-on en venir à un tel vide sidéral ?


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Si, comme on nous l’a appris en classe, la nature a horreur du vide, alors elle est bien la seule à s’y vouer dans notre pauvre pays. Il faut dire qu’elle a amplement de quoi s’occuper, s’évertuant à faire pousser buissons et mauvaises herbes dans les ornières et autres pièges qui criblent nos routes et trottoirs laissés sans le moindre entretien. Mais pour ce qui est du...