Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a encouragé hier, dans une conférence de presse, le Premier ministre Hassane Diab à aller de l’avant dans sa volonté de demander des comptes à la classe politique et au gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, mis en cause vendredi par M. Diab pour son manque de transparence et l’effondrement monétaire en cours. Ces positions ont valu à M. Diab une violente riposte de la part du courant du Futur, qui compare cette attaque contre M. Salamé à « un coup d’État » contre la politique économique instaurée par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri au début des années 90.
Cette situation a poussé le chef de l’Église maronite, le cardinal Béchara Raï, à s’étonner de la campagne de déstabilisation visant directement le gouverneur. « Alors que nous attendions du Premier ministre qu’il annonce son plan de réformes (…), nous avons été surpris par la condamnation irrévocable prononcée contre le gouverneur de la BDL, sans qu’on ne l’ait entendu ou qu’on ne lui ait accordé le droit de se défendre en toute objectivité ; sans qu’un jugement équitable ne soit prononcé par les voies constitutionnelles », a déclaré le patriarche Raï dans son homélie dominicale. « Ce type d’attaque directe qui porte atteinte à la dignité du gouverneur et de la Banque du Liban, et qui est sans précédent depuis la fondation de cette institution sous le mandat de Fouad Chéhab, est inacceptable », a-t-il ajouté. « À qui profite la déstabilisation de la gouvernance de la BDL ? (…). Cette façon de faire (…) fait-elle partie d’un plan pour modifier le visage du Liban ? Il semble que oui ! » Vendredi, à l’issue du Conseil des ministres, M. Diab a pointé du doigt « une faille au sein de la banque centrale et dans ses stratégies » et indiqué qu’un cabinet d’audit international, demandé notamment par le Groupe international de soutien (GIS), allait vérifier les comptes de la BDL et des banques.
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« Une mentalité malade »
Deux heures après les déclarations du patriarche, le chef du CPL prenait le contrepied. « Nous sommes en présence d’une mentalité politique malade qui a non seulement entravé les projets sérieux pour le pays, mais aussi pillé le Liban depuis les années 90 et mis en place des politiques monétaires, financières et économiques qui ont appauvri l’État et les Libanais », a déclaré Gebran Bassil. Estimant que « certains sont prêts à voir s’effondrer le pays pour que le système ne change pas », le chef du CPL s’en est pris à « ceux qui ont menacé d’une guerre et parlé de coup d’État lorsque le gouvernement a commencé à chercher où était passé l’argent qu’ils ont pillé et transféré à l’étranger ». « Les responsables de ces pertes abyssales sont les corrompus, les voleurs, les profiteurs cupides, les banques, leurs propriétaires, leurs actionnaires, la Banque du Liban et les responsables au sein de l’État qui ont conduit ces politiques », a-t-il ajouté.
« La banque centrale a une grande responsabilité dans les pertes qu’elle subit et le manque de transparence des chiffres, mais il est déraisonnable de dire que la BDL est seule responsable, a pourtant nuancé M. Bassil. Le Parlement et le gouvernement sont également responsables d’avoir laissé faire ces erreurs sans les corriger. » Dans une version intermédiaire du plan de redressement du Liban préparé par le gouvernement, était évoqué le niveau devenu « inquiétant » des réserves en devises de la BDL et un bilan marqué par des pertes nettes de 54,9 milliards de dollars. Insistant sur l’importance d’examiner les comptes « de ceux ayant exercé des responsabilités publiques », le chef du CPL a indiqué que sa formation allait présenter une proposition de loi obligeant les actionnaires des banques et les responsables publics à rapatrier leurs fonds transférés à l’étranger dépassant les 50 000 dollars.
Répondant du tac au tac au patriarche maronite, M. Bassil a affirmé aussi que ce serait « une grave erreur d’offrir aujourd’hui aux personnes fautives ou corrompues la couverture politique de leur communauté ». « Cette erreur vaut aussi bien pour les chrétiens que pour les musulmans », a-t-il ajouté.
Enfin, il a demandé au gouvernement de présenter son plan de réformes au plus tard cette semaine, puis d’entamer des négociations avec le Fonds monétaire international, « avant qu’il ne soit trop tard et que la pause-parenthèse offerte par la pandémie ne se referme, et que ne nous soit enlevée la possibilité de négocier au mieux de nos intérêts ».
M. Bassil n’a cependant pas évoqué un limogeage de Riad Salamé, une question qui avait été soulevée vendredi en Conseil des ministres.
La ministre du Travail, Lamia Yammine (Marada), a, pour sa part, affirmé qu’un fonctionnaire ayant échoué dans sa mission devrait être remplacé.
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Levée de boucliers
Dans les rangs du courant du Futur, les déclarations de M. Bassil ont provoqué une levée de boucliers. « Hassane Diab a recopié mot pour mot les propos de Gebran Bassil. On voit aujourd’hui qui écrit ce que le chef du gouvernement pense », a posté le secrétaire général du courant du Futur Ahmad Hariri sur son compte Twitter, qualifiant M. Bassil de « président de l’ombre ».
Samedi, les anciens Premiers ministres Fouad Siniora (courant du Futur) et Tammam Salam, ainsi que Nouhad Machnouk, ancien ministre de l’Intérieur, avaient critiqué Hassane Diab lors d’une réunion à Dar el-Fatwa sous la houlette du mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, dans le cadre d’une collecte de fonds pour venir en aide aux familles défavorisées.
Fouad Siniora avait estimé que « les solutions se trouvent à travers les usages et les institutions, et non par le biais de décisions populistes ». « Le discours sur le passé et les rancœurs ne servent à rien », avait regretté de son côté M. Machnouk, estimant qu’une seule « personne sage peut actuellement calmer la situation, il s’agit du président du Parlement Nabih Berry ». Et de claironner aussi qu’il y avait un « complot contre le sunnisme politique auquel nous ferons face ».
Geagea nuancé
Pour sa part, le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt a affirmé, dans des déclarations incendiaires hier soir à la chaîne al-Arabiya, que « ceux qui sont accusés de corruption n’ont pas le droit de nous viser par des accusations ». « Hassane Diab n’est rien, c’est le Hezbollah et le CPL qui dirigent le gouvernement », a-t-il dit. Intervenant de loin dans la polémique, le chef des Forces libanaises Samir Geagea a estimé pour sa part que le contrôle des comptes publics est essentiel, mais que celui-ci devrait englober tous les responsables et les administrations. « Les résultats de ces contrôles s’avéreront nocifs s’ils sont exploités de manière discrétionnaire pour faire du tort à certaines personnes seulement », a toutefois prévenu M. Geagea.
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commentaires (10)
Et pourtant, souvenez vous que Riad Salame avait ete nomme comme meilleur responsable de Banque Centrale du Monde entier. Ainsi donc, les corrompus veulent l'éliminer pour continuer leur oeuvre?
IMB a SPO
14 h 34, le 27 avril 2020