On parle beaucoup de la suspension – certains s’avancent à prévoir une potentielle future annulation – du projet du barrage de Bisri, prévu dans cette belle vallée entre les cazas de Jezzine et du Chouf. Mais alors quelles alternatives pour l’approvisionnement en eau de Beyrouth ? Dans une étude consacrée au sujet et étayée par maints chiffres et analyses, Raja Noujaim, activiste spécialisé dans les questions relatives au contrôle de qualité au sein du comité des habitants de la zone, affirme que les alternatives existent et qu’elles sont plus économiques et efficaces que le mégabarrage.
Rappelons que selon ses concepteurs, le barrage de Bisri, qui fait partie du projet d’augmentation de l’alimentation en eau du Grand Beyrouth, est réalisé par le Conseil du développement et de la reconstruction et principalement financé par un prêt de la Banque mondiale. Il a été question dernièrement d’un possible gel de ce prêt, mais rien n’a été confirmé par le gouvernement, auquel revient la décision d’annuler ce projet suite à la vive contestation civile.
Pour en revenir au barrage, force est de constater qu’un décryptage de son budget n’est pas une mince affaire. Selon l’étude de Raja Noujaim, fondée sur les sources officielles disponibles, il est prévu que le barrage proprement dit, avec les travaux attenants, coûtent 707 millions de dollars, dont 474 assurés par le prêt de la Banque mondiale auxquels il faut ajouter un supplément de 90 millions, 128 millions par un prêt de la Banque islamique et 15 millions par le gouvernement libanais. Le budget prévu pour le tunnel d’acheminement de l’eau et les canalisations se monte à 290 millions de dollars (dont 200 millions octroyés par la BM). Le total est donc de 997 millions de dollars de fonds déjà réservés.
À ce budget de près d’un milliard de dollars, il faut ajouter 203 millions de dollars supplémentaires repartis sur les projets du barrage et du tunnel (expropriations, réseaux d’égout…), ce qui donne un total de 1,2 milliard de dollars. Tel est par conséquent le coût effectif et direct du projet de barrage de Bisri et des infrastructures qui l’accompagnent, sans même compter les intérêts bancaires et financiers ni la valeur des dégâts sur l’écosystème.
(Lire aussi : Le projet de barrage à Bisri serait-il compromis ?)
Des économies de 600 millions de dollars
Dans son étude, Raja Noujaim tient compte des dépenses déjà engagées et du budget qui pourrait être consacré à une alternative au barrage. Il calcule ainsi qu’en annulant les travaux de l’ouvrage, le gouvernement pourrait économiser environ 600 millions de dollars, sachant que le coût des travaux à effectuer ou à compléter et pouvant être intégrés dans une alternative serait également d’environ 600 millions de dollars. Parmi ces dépenses qui restent utiles, notamment en cas de classement de la vallée comme parc naturel agroécologique et culturel, il faut compter entre autres les expropriations déjà faites (estimées à 145 millions de dollars, un prix avantageux pour le Trésor), les réseaux d’égout pour les villages environnants et ceux qui surplombent le tunnel (qui devraient s’élever à 80 millions en tout), le tunnel d’acheminement de l’eau, une station d’épuration des eaux usées à Wardaniyé, des études écologiques, des fouilles archéologiques, des puits et des réseaux pour l’Iqlim…
Toutefois, la capitale aura toujours besoin d’eau, et les gouvernements successifs ont souvent dit compter sur deux mégabarrages, Janné (Jbeil) et Bisri, pour approvisionner la capitale. Or, les détracteurs de ces barrages, qui considèrent que ces ouvrages ne tiendront pas leurs promesses au niveau du stockage d’eau, sans compter les dégâts environnementaux prévus, ont réfléchi aux alternatives.
Pour commencer, il faut quantifier le problème à Beyrouth, en calculant le déficit actuel et futur de l’approvisionnement en eau de la capitale durant la période sèche. Dans une lettre envoyée à Dar el-Handasa en 2013, dans le cadre de la préparation par ce bureau d’une étude d’impact environnemental du projet d’augmentation de l’alimentation en eau du Grand Beyrouth (qui comprend le barrage de Bisri), l’Office des eaux de Beyrouth estime que le déficit annuel d’eau de la capitale sera de 162 millions de mètres cubes en 2040, sachant que les besoins s’élèveront à 297 millions de mètres cubes et le volume d’eau disponible à 165 millions. Ces chiffres tiennent compte d’une augmentation de la demande dans la capitale de 1,5 % par an et d’un gaspillage dans les canalisations de l’ordre de 25 %.
(Lire aussi : Bisri : arrêter les travaux constituerait un gaspillage de fonds publics, se justifie le ministre de l'Energie)
Assurer plus de 200 millions de mètres cubes pour Beyrouth
Comment donc pallier ce déficit et par quelles alternatives aux barrages? Raja Noujaim en évoque plusieurs. Il rappelle les recommandations du bureau allemand BGR, qui a effectué des études sur la source de Jeïta (principale source d’eau alimentant Beyrouth actuellement) et qui permettraient d’augmenter le débit de 85 millions de mètres cubes au moins par an, pour un budget global d’environ 250 millions de dollars, notamment par des travaux d’agrandissement de la capacité de la station de traitement des eaux à Dbayé.
L’autre alternative serait de creuser des puits dans la vallée de Bisri et ses environs (où l’eau souterraine est abondante), puisque le tunnel d’acheminement est déjà achevé : un minimum de 40 puits seraient requis, pour un supplément d’alimentation de 41 millions de mètres cubes par an et un budget moyen de 12 millions de dollars. Il serait possible d’assurer la même quantité au même budget environ par l’exploitation des nappes souterraines à l’est du Grand Beyrouth. Sans compter le règlement du problème de gaspillage d’eau dans les canalisations, qui est de l’ordre de 35 % entre la station de Dbayé et les domiciles à Beyrouth (selon certaines études) : cette mesure à elle seule peut assurer 50 millions de mètres cubes d’eau supplémentaires par an pour Beyrouth, surtout si l’on installe des détecteurs de fuites, pour un budget d’environ 100 millions de dollars.
En d’autres termes, tous ces projets au bénéfice de la capitale peuvent être réalisés pour moins de 400 millions de dollars, ce qui est largement couvert par les économies réalisées si le barrage est abandonné. Ils permettront d’assurer 217 millions de mètres cubes en plus pour le Grand Beyrouth, ce qui est supérieur au déficit prévu en 2040, qui est de 162 millions (voir plus haut). Et, ajoute le militant, ces sources sont jusque-là inexploitées.
L’expert cite enfin d’autres sources d’approvisionnement en eau pouvant être envisagées, telles que l’exploitation des sources côtières d’eau douce par le biais de puits d'eau dans les zones côtières adjacentes, ou de petites stations de désalinisation au bénéfice de quartiers particuliers, ou encore de petites stations d’hydroélectricité sur les fleuves.
Lire aussi
Le barrage de Bisri s’invite de façon suspecte dans les décisions gouvernementales
Pourquoi la reprise des travaux à Bisri est-elle devenue soudain prioritaire ?
A ce prix (1.2milliards de dollars US) on aurait pu remettre en service le train entre Beyrouth et Saïda. A méditer.
07 h 43, le 06 mai 2020