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Environnement - Ressources hydrauliques

Le barrage de Bisri s’invite de façon suspecte dans les décisions gouvernementales

En pleines crises sanitaire, économique, financière... le cabinet de Hassane Diab ressuscite un projet qui a de plus en plus de détracteurs, suscitant un tollé.

Des manifestants portant une banderole sur laquelle on peut lire « Sauvez la vallée de Bisri », en septembre 2019. Photo d’archives ANI

L’annonce a pris de court personnalités politiques et membres de la société civile : dans le cadre des décisions prises à l’issue de sa réunion jeudi, le gouvernement de Hassane Diab a « réaffirmé que le projet du barrage de Bisri se poursuivrait ». Ce barrage, conçu en principe pour alimenter la capitale en eau dans l’une des plus belles vallées du Liban, entre Jezzine et le Chouf, suscite une vaste polémique depuis que les travaux ont été annoncés, pour des raisons d’ordre écologique, purement hydraulique (des experts contestent, documents à l’appui, que les réserves d’eau soient adéquates pour un barrage) ou encore culturel (étant donné la richesse du patrimoine).

Plus que la décision elle-même, c’est le timing qui a laissé les divers observateurs bouche bée : comment, en pleine crise de propagation du coronavirus au Liban et dans le monde, alors qu’une proportion grandissante de la population vit désormais grâce aux dons, que le gouvernement est en défaut de paiement de ses dettes et que la crise économique et financière continue de sévir… pense-t-on relancer un projet à plus de 600 millions de dollars à la moindre estimation ?

Le ministre de l’Énergie Raymond Ghajar était injoignable hier. Selon le communiqué du gouvernement publié jeudi, « le Conseil des ministres a écouté l’exposé du ministre de l’Énergie et de l’Eau concernant la progression des travaux au niveau du barrage de Bisri ». « Il a été décidé de poursuivre la réalisation de ce projet conformément aux décisions gouvernementales, décrets et lois précédents, ainsi qu’aux contrats déjà signés, au regard de l’importance stratégique (de ce barrage) pour l’approvisionnement en eau du Grand Beyrouth », poursuit le texte. Le communiqué annonce également la création d’une commission ministérielle avec pour mission de « s’assurer de la conformité des indemnités écologiques aux normes internationales ».

Le projet du barrage de Bisri est principalement financé par un prêt de la Banque mondiale (BM) et conçu pour alimenter la capitale en eau avec un stockage estimé à 125 millions de mètres cubes (une probabilité que contestent de nombreux experts). Le projet avait été annoncé comme devant coûter un peu plus de 600 millions de dollars, mais, suivant une source qui suit de près le dossier, le budget réel atteindra non moins de 1,2 milliard, et 997 millions seraient d’ores et déjà réservés à cet effet.


(Lire aussi : Pourquoi la reprise des travaux à Bisri est-elle devenue soudain prioritaire ?)



Un timing qui interpelle
Sitôt la décision annoncée, elle a suscité un tollé notamment dans les milieux de la société civile. Le timing est spécialement pointé du doigt et plusieurs observateurs le lient à la BM, le principal financeur du projet. Selon la source précitée, la décision du gouvernement aurait été prise en réponse à des éclaircissements demandés par la BM au Conseil du développement et de la reconstruction sur le sort du projet si controversé, et l’embarras expliquerait cette annonce qui, somme toute, n’apporte rien de nouveau.

De son côté, Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, se demande lui aussi s’il n’y a pas eu des pressions venant de la BM. « Dans tous les cas, les intentions de ce gouvernement sont désormais claires », dit-il à L’OLJ. Il se demande également si les responsables ne cherchent pas à profiter du confinement et de l’incapacité des militants à manifester. « Mais nous allons contourner cette difficulté, affirme-t-il. Ce soir (hier), nous allons tous chanter pour Bisri de nos domiciles et montrer l’ampleur de la contestation. »

L’autre raison qui pousse Paul Abi Rached à l’optimisme est le revirement de nombreuses forces politiques, aujourd’hui clairement hostiles au projet. Notamment le Parti socialiste progressiste et son chef, Walid Joumblatt. D’ailleurs, dans un communiqué, le PSP trouve que le gouvernement « aurait mieux fait d’utiliser le budget prévu pour le barrage afin d’aider les familles nécessiteuses ». « Il semble cependant que la volonté des entrepreneurs est plus forte que les souhaits des membres du gouvernement, surtout que l’entrepreneur en charge de ce projet est un spécialiste de la destruction et de la pollution, de Nahr el-Kalb à Bourj Hammoud, à Costa Brava et jusqu’à Bisri », poursuit le communiqué.


(Lire aussi : À Msaylha, nouveau barrage, nouveau parfum de scandale)


« Nous n’avons pas décidé de nous opposer à ce projet à la légère, explique à L’OLJ Rami Rayess, conseiller de M. Joumblatt. Nous avons longuement étudié la question sous tous ses angles et avons été convaincus du fait que les dégâts que causerait ce barrage dépassent de loin ses éventuels bénéfices. » Interrogé sur le timing de cette décision, il affirme qu’« il faut plutôt s’enquérir auprès des membres du gouvernement, mais cette décision est quand même surprenante, à un moment où le reste des projets est à l’arrêt dans le pays ». « Nous allons effectuer des contacts politiques en début de semaine prochaine », ajoute-t-il.

D’autres forces politiques se sont manifestées hier. Le député Nadim Gemayel (parti Kataëb) a déclaré, sur son compte Twitter, qu’« alors que le pays est au bord de la faillite, le gouvernement libanais décide de poursuivre le projet de Bisri dont le coût dépasse les 600 millions de dollars », le qualifiant de « marché douteux ».

De son côté, le parti des Verts a déploré « une décision gouvernementale qui ne fait aucun cas des avis d’experts et des revendications du peuple et des militants écologistes ». Le parti rappelle que la contestation de ce projet a poussé des parlementaires allemands à demander au gouvernement de leur pays, l’un des principaux bailleurs de fonds de ce projet, de retirer le budget qui lui était alloué.

Pour sa part, le Bloc national a déploré la décision gouvernementale, estimant que le gouvernement « a obtempéré aux désirs des partis-communautés qui comptent se diviser le budget », mais assure que « l’obstacle à ce projet sera l’intifada populaire ».


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L’annonce a pris de court personnalités politiques et membres de la société civile : dans le cadre des décisions prises à l’issue de sa réunion jeudi, le gouvernement de Hassane Diab a « réaffirmé que le projet du barrage de Bisri se poursuivrait ». Ce barrage, conçu en principe pour alimenter la capitale en eau dans l’une des plus belles vallées du Liban, entre...

commentaires (6)

La Banque Mondiale, qui vient de débloquer une cinquantaine de millions de dollars pour nous aider à lutter contre le corona , est en train d'insister de plus en plus pour financer ce projet et de nous pressionner afin qu'il soit remis sur les rails . Pour quelles raisons la Banque Mondiale , donc les américains, tiennent à ce projet ? Les réponses sont fumeuses , c'est le gros mystère !!

Chucri Abboud

14 h 23, le 04 avril 2020

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Commentaires (6)

  • La Banque Mondiale, qui vient de débloquer une cinquantaine de millions de dollars pour nous aider à lutter contre le corona , est en train d'insister de plus en plus pour financer ce projet et de nous pressionner afin qu'il soit remis sur les rails . Pour quelles raisons la Banque Mondiale , donc les américains, tiennent à ce projet ? Les réponses sont fumeuses , c'est le gros mystère !!

    Chucri Abboud

    14 h 23, le 04 avril 2020

  • Encore une combine pour "se faire" des petits millions pour certains de nos "irresponsables" ? Quelle honte et quel crime abominable de sacrifier ainsi inutilement nos paysages magnifiques...pour quelques dollars. Nous constatons aussi tristement que rien ne changera jamais chez nous ! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 29, le 04 avril 2020

  • MAZEL FI LATTA... COMMENT L,ABANDONNER ?

    JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA

    10 h 18, le 04 avril 2020

  • Et il faut faire confiance à ce gouvernement ? Laissez-moi rire ! Et pendant ce temps les gens meurent de tout !!!

    Brunet Odile

    10 h 00, le 04 avril 2020

  • Des technocrates ???

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 19, le 04 avril 2020

  • "Cherche à qui le crime profite". Le PSP a donné la réponse.

    Yves Prevost

    07 h 04, le 04 avril 2020

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