« La guerre de Bisri n’aura pas lieu », annonce d’emblée à L’OLJ le député Marwan Hamadé, président de la commission de l’Environnement. Cette « guerre » était engagée entre défenseurs et détracteurs de ce barrage controversé dans une vallée verte entre les cazas de Jezzine et du Chouf, un projet exécuté par le Conseil du développement et de la reconstruction. Depuis des années et surtout depuis le début du mouvement de contestation populaire le 17 octobre, les militants de la société civile, appuyés par les habitants de la région, ont multiplié les mouvements de protestation contre ce barrage qu’ils jugent inutile, nuisible à l’environnement et dangereux car situé sur une faille géologique majeure. Et cela fait plusieurs jours que des informations circulent via les réseaux sociaux sur une possible suspension de l’ouvrage controversé, qui devra coûter au Liban plus de 600 millions de dollars, voire même plus d’un milliard selon certaines sources.
Selon M. Hamadé, « la Banque mondiale – dont le prêt a fourni l’essentiel du budget de ce projet – a d’ores et déjà signifié aux dirigeants libanais, dans l’exécutif et le législatif, qu’elle ne poursuivrait pas le projet s’il n’y a pas de consensus national à ce sujet, basé sur de nouvelles études ». « Et pour faciliter les choses, la BM est prête à ré-allouer le solde des crédits affectés pour le barrage de Bisri à des projets à caractère social essentiellement pour soutenir des hôpitaux, des écoles, des dispensaires…», poursuit-il. « Par conséquent, la décision du gouvernement de charger le ministère de l’Énergie de procéder à de nouvelles adjudications (NDLR : lors du Conseil des ministres du 2 avril lorsque le cabinet a réaffirmé que le projet du barrage de Bisri se poursuivrait) devient sans objectif. Et je m’emploierai, au sein de la commission parlementaire de l’Environnement que je préside, à ne laisser aucun doute planer à ce sujet. » « De son côté, la BM renvoie dos à dos tout le monde et gèle ce projet de barrage, tout en ne privant pas le Liban des crédits et en le laissant décider de ce qui doit être fait des travaux déjà accomplis (canalisations ou autres) », ajoute le député, qui fait partie du bloc de Walid Joumblatt, ouvertement hostile au projet car « convaincu par les arguments de ses détracteurs », comme il l’avait lui-même expliqué.
Sollicité par L’OLJ, le bureau de la Banque mondiale à Beyrouth indique que « la BM s’est engagée à consulter les parties prenantes dans le cadre de tous les projets qu’elle finance. En conséquence, elle a demandé au gouvernement libanais d’ouvrir un dialogue public, ouvert et transparent, afin de répondre aux préoccupations des citoyens et de la société civile concernant le projet d’augmentation de l’approvisionnement en eau (projet du barrage de Bisri). Nous attendons avec intérêt le lancement de ce dialogue et ses résultats. »
Interrogé par L’OLJ sur la position du gouvernement, le ministre de l’Environnement, Damien Kattar, rappelle avoir demandé, lors de la réunion du 2 avril, au cours de laquelle la décision sur le barrage avait été prise, la formation d’une commission ministérielle qui suive la gestion environnementale et la compensation écologique, qui a fait l’objet d’une étude commandée par le CDR à un consultant. « Ce point a été ajouté à la décision du Conseil des ministres, ce qui a rassuré certains militants, mais laissé indifférents les détracteurs du barrage et de la politique de l’eau en général », a-t-il ajouté. Pour ce qui est de la BM, M. Kattar souligne que « cette organisation a déclaré globalement qu’elle était prête à ré-allouer certains budgets si les pays déclarent que leurs priorités ont changé suite à la crise du coronavirus ». « Mais pour ce qui est du barrage de Bisri, je n’ai reçu aucun document en ce sens de la part de la BM et l’affaire serait dans tous les cas au centre d’un débat en Conseil des ministres », a-t-il poursuivi.
(Lire aussi : Bisri : arrêter les travaux constituerait un gaspillage de fonds publics, se justifie le ministre de l'Energie)
« Une avancée significative »
Pour sa part, la Campagne nationale pour la préservation de la vallée de Bisri a noté, dans un communiqué publié mercredi, « une nette avancée dans la lutte contre ce barrage », faisant état « d’un changement clair dans la position de la BM vers une annulation du budget alloué à ce projet ». La campagne rappelle une lettre récente, signée par des centaines d’organisations et envoyée aux différents pays donateurs, mettant en avant la situation économique désastreuse du pays. « Toutefois, cette nette avancée ne signifie pas que la bataille est gagnée. Il faut que l’État libanais annule ce projet officiellement et décide de ré-allouer le budget qui lui était consacré dans des projets qui serviraient l’intérêt des citoyens », poursuit le communiqué. La Campagne a également plaidé pour un classement de cette zone comme réserve naturelle et appelé le peuple libanais à poursuivre sa pression sur les autorités en vue d’une annulation pure et simple du projet.
M. Hamadé confirme la volonté de classer ce site, estimant que les joyaux du patrimoine dans la vallée, les espaces verts, tout sera préservé, si l’on excepte l’abattage de centaines d’arbres par l’entrepreneur en septembre dernier. « Nous, les députés de la région, nous engagerons à œuvrer pour qu’une loi qui transformerait cette vallée en réserve naturelle soit votée », affirme-t-il. Il ajoute par ailleurs que toute la politique de gestion de l’eau mise en place depuis quelques années est appelée à être modifiée.
Des activistes opposés au projet controversé de construction du barrage de Bisri s’étaient rassemblés lundi sur le site et certains s’étaient symboliquement attachés aux arbres sur le site.
Le projet du barrage de Bisri est conçu pour alimenter Beyrouth en eau avec un stockage estimé à 125 millions de mètres cubes (une estimation que contestent de nombreux experts). Le projet avait été estimé à un coût d’un peu plus de 600 millions de dollars, mais selon une source qui suit de près le dossier, le budget réel atteindrait pas moins de 1,2 milliard de dollars, et 997 millions seraient d’ores et déjà réservés à cet effet.
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Spending 1.2 billion $ to build the Bisri dam while there are cheaper solutions to improve the water supply in Beirut is unjustified while the Lebanese government is defaulting on its external and internal debts, including 1.2 billion $ and counting to hospitals, the Social Security fund, and Lebanese are out of work and going hungry. The mismanagement of Lebanon's finances has to stop. The Lebanese state has to set its priorities by providing affordable healthcare and education, electricity and garbage collection instead of spending billions on the failing dam projects.
Mireille Kang
03 h 34, le 17 avril 2020