Les ports le long du littoral libanais ont symbolisé la volonté d’ouverture sur le monde, l’un des traits de la « personnalité » libanaise. Joseph Eid/AFP
Les principaux ouvrages académiques de référence et la plupart des historiens de renommée qui ont planché sur l’évolution de ce qui constitue aujourd’hui le Proche-Orient s’accordent à relever que le Liban, en tant qu’entité politique et administrative dans ses limites géographiques actuelles, n’a commencé à émerger et à prendre forme qu’au XVIe siècle, au début de l’époque ottomane. Cela n’a pas empêché cependant une lente émergence au fil des siècles d’une certaine « personnalité » libanaise qui s’appuyait, dans un cadre général, sur la spécificité géographique qui distingue le Liban des autres régions de cette partie du monde. Cette spécificité géographique est représentée principalement par la présence de cités parsemées le long du littoral et adossées à la chaîne de hautes montagnes du Mont-Liban, lequel s’étend sur toute la longueur du pays, sur près de 200 kilomètres environ. Le lien de cause à effet entre le relief géographique du Liban et le profil sociologique des populations qui l’habitaient a été mis en évidence par le grand historien Arnold Toynbee qui a souligné, lors d’une conférence donnée à Beyrouth en mai 1957 au Cénacle libanais (forum lancé par Michel Asmar en 1946), que « les traits physiques (géographiques) du Liban sont à la base de ses fortunes humaines ». Toynbee avait relevé que ces attributs physiques (mer, montagnes, forêts) sont certes communs à d’autres côtes de la Méditerranée, comme en Grèce, en Italie ou en Catalogne, mais dans notre cas précis ils distinguent bel et bien le Liban, dans sa forme actuelle, des autres pays de la région.
Géographie et histoire
C’est cette configuration géographique qui a contribué dans une large mesure à forger ce qu’Henry Laurens a appelé (dans un spécial de la revue Historia de décembre 2016) « la personnalité spécifique libanaise », laquelle s’est formée, précise-t-il, « à travers la longue durée historique » et qui est « évidemment liée à la géographie physique ». Concrètement, les hautes montagnes permettent l’attachement ancestral des Libanais à la liberté et le littoral assure l’ouverture sur le monde, notamment occidental.
L’impact de la géographie sur l’histoire d’un peuple a été longuement exposé par l’historien libanais de renom Jawad Boulos dans ses œuvres, notamment l’ouvrage en cinq tomes Les peuples et les civilisations du Proche-Orient. Lors d’une conférence donnée au Cénacle en novembre 1955, Jawad Boulos devait noter que le Liban « constitue une individualité géographique réelle ». Il relevait à cet égard que « le rôle, la mission et le caractère particulier du Liban sont les effets de sa situation et de sa configuration géographique ».
De fait, les hautes montagnes qui longent parallèlement, à pic, le littoral ont constitué une sorte de barrière géographique qui a permis aux populations du territoire libanais de préserver, autant que faire se peut, une certaine liberté et une autonomie, ou tout au moins de résister farouchement aux armées d’occupation.
L’on retrouve même l’impact de ce facteur géographique à l’époque des Phéniciens, les cités phéniciennes présentes sur le littoral ayant réussi à préserver leur autonomie en profitant du fait que la montagne à laquelle elles étaient adossées constituait un rempart entre elles et les vagues d’occupants venant de l’hinterland arabe, comme le souligne Edmond Rabbath qui qualifie sur ce plan la montagne libanaise de « digue puissante contre laquelle se brisèrent les invasions » diverses.
La Vallée sainte de la Qadisha et les crêtes de Bécharré sont, entre autres, un exemple significatif de ce rôle de refuge face aux invasions étrangères qu’ont joué les hautes montagnes.
Une constante historique
L’attachement à la liberté et à l’indépendance ainsi que l’ouverture sur le monde constituent l’une des constantes historiques qui a de tout temps caractérisé la personnalité libanaise au fil des siècles et jusqu’à nos jours. Il s’agit là, certes, d’un penchant naturel que tout peuple dans le monde manifeste à travers son histoire, mais ce qui caractérise la spécificité libanaise sur ce plan, en comparaison avec cette partie du monde que constitue le Moyen-Orient, c’est qu’elle puise sa source dans ce relief particulier du pays : un littoral offrant une ouverture sur le monde et une double chaîne de montagne (le Mont-Liban et l’Anti-Liban) faisant barrière et permettant ainsi aux populations de résister aux déferlements de forces étrangères.
Jawad Boulos a parfaitement formulé en ces termes cette causalité entre géographie et histoire, dans le cas spécifique du Liban : « C’est à son individualité géographique bien caractérisée que le Liban doit ce qu’il est et ce qu’il a toujours été. La montagne, qui le protège, a développé chez ses habitants l’attachement à l’indépendance et le besoin de liberté. L’activité maritime a favorisé le développement d’un esprit libéral, ouvert et accueillant. La combinaison de ces facteurs a façonné le caractère original des Libanais et commandé le rôle historique du Liban. »
Mais ce rôle historique du Liban et l’émergence du pays du Cèdre en tant qu’entité politique et administrative plus ou moins autonome, dans sa forme actuelle, n’apparaîtront qu’avec l’émirat de la montagne, au XVIe siècle, sous la forte impulsion de l’émir Fakhreddine II, puis, plus tard, de l’émir Bachir Chehab…
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commentaires (6)
En comparaison , les montagnes de Lycie et de Cilycie , qui abritaient de vastes populations armeniennes , et qui sont bien plus géantes et impénétrables que le Mont Liban , n'ont pas protégé les anciens habitants de l'invasion turque venant de l'hinterland . On se demande pourquoi et qu'est ce qui a donc différencié les deux pays en ce sens
Chucri Abboud
16 h 12, le 01 juin 2020