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Société - Pandémie

Dans les hôpitaux universitaires privés, branle-bas de combat contre le coronavirus

Cinq grands établissements multiplient les tests de dépistage et traitent déjà des malades après avoir créé des unités spécifiques pour le Covid-19.

À l’HDF, auprès d’un patient. Photo DR

Face à un système hospitalier public déficient et alors que l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri se chargeait, seul, de la prise en charge des patients contaminés par le coronavirus, les hôpitaux privés du Liban n’ont d’autre choix que de se mobiliser dans la lutte contre la pandémie et de préparer leurs structures à l’accueil des patients. Les cinq grands hôpitaux universitaires multiplient les tests de dépistage et traitent déjà des malades après avoir créé des unités dédiées pour l’accueil des malades du Covid-19. Ces unités sont isolées de la structure hospitalière classique, et les urgences, les chambres des patients, les soins intensifs et réanimation sont à pression négative pour éviter toute contamination. La situation est gérable pour l’instant, avec une trentaine de nouveaux cas quotidiens, mais les structures actuelles risquent d’être rapidement débordées si ce chiffre grimpait de manière exponentielle, comme en Italie ou aux États-Unis. Pour parer à ce scénario éventuel, l’Hôtel-Dieu de France (HDF), le Centre médical de l’Université américaine de Beyrouth (AUBMC), l’Hôpital Rizk-Centre médical de l’Université libano-américaine (UMC-RH), le Centre médical universitaire de l’Hôpital Saint-Georges (SGHUMC), et le Centre hospitalier universitaire Notre-Dame des Secours-Jbeil (NDS) se préparent au pire. Ils envisagent déjà d’élargir leurs capacités en cas de propagation plus vaste du coronavirus et leurs protocoles de prise en charge et de traitement sont régulièrement réajustés, pour plus d’efficacité. Ils espèrent toutefois que le nombre de patients à soigner sera suffisamment étalé dans le temps pour éviter toute saturation. Pour ce faire, la population doit se conformer aux directives et rester confinée chez elle. Ce qui évitera aux équipes soignantes d’être confrontées à un afflux de cas d’extrême gravité au même moment et aussi de limiter les décès. Le secteur hospitalier fait face à un autre défi de taille, avec le manque criant d’équipements de protection contre le coronavirus, masques, gants, visières, combinaisons… Une pénurie qui touche certes le monde entier, mais qui doit être rapidement réglée, pour protéger au mieux le personnel soignant.


La hantise des médecins : l’afflux massif de patients infectés

L’HDF est entré de plain-pied dans la prise en charge des patients atteints de coronavirus depuis la mi-mars, après qu’une de ses infirmières et deux pères jésuites ont été contaminés. L’institution liée à l’Université Saint-Joseph répondait aussi à l’appel du ministère de la Santé au secteur privé, après saturation de l’hôpital public Rafic Hariri. « Contraints de nous organiser rapidement, nous avons d’abord constitué un service d’urgences isolé, ainsi qu’un centre de grippe externe pour les cas suspects mobiles qui se présentaient, explique le directeur des opérations Covid-19 à l’HDF, le professeur Moussa Riachy, chef du service de pneumologie et de réanimation médicale. Un service de coronavirus a été aussitôt créé. Il traite aujourd’hui une cinquantaine de patients. » Son circuit est totalement indépendant du reste de l’établissement. Une première unité de 16 chambres à l’étage a vu le jour, suivie d’une deuxième de 15 autres chambres, équipées d’unités d’isolement respiratoire. Dix médecins spécialistes, pneumologues, infectiologues, internistes, y travaillent exclusivement, accompagnés de leurs équipes infirmières et soignantes. « Notre force d’intervention fonctionne selon un protocole bien établi que nous révisons tous les 7 à 10 jours », précise le médecin. Pour les cas les plus sévères, 15 chambres de soins intensifs sont à présent disponibles, avec ventilation mécanique, position ventrale et poumon artificiel au besoin. « Nous équipons progressivement ces pièces de sas, pour mieux les isoler. Ce service aura bientôt la capacité d’accueillir 28 patients », ajoute-t-il. L’HDF prépare même un plan catastrophe et étudie les possibilités, en cas d’afflux massif de patients, d’optimiser l’utilisation de ses 52 respirateurs artificiels. « C’est notre hantise », avoue le Pr Riachy. « Restez chez vous et respectez les mesures de distanciation sociale », martèle-t-il, dans un message à la population. « Plus les gens se confinent, plus ils éviteront aux hôpitaux d’être dépassés par la situation, et plus le personnel soignant pourra sauver des vies. »

L’hôpital NDS de Jbeil a également été confronté au coronavirus avant d’y avoir été préparé, par un patient qui l’a transmis à un nombre d’infirmières. Il était aussi à court de tests de dépistage. Mais aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre, et avec « 12 patients admis, dont un dans un état critique », l’établissement a retrouvé une certaine « routine ». L’hôpital, qui est rattaché à l’Université Saint-Esprit-Kaslik, a développé depuis une dizaine de jours un service spécifique pour le Covid-19, séparé des services hospitaliers traditionnels, avec son entrée, sa clinique, ses urgences, ses lits et ses soins intensifs. « À leur arrivée, les patients qui présentent des symptômes sont dirigés vers un premier centre de tri, où ils sont testés, renvoyés chez eux ou hospitalisés au besoin », explique le chef de l’unité des soins intensifs, le Dr Pierre Eddé, pneumologue-réanimateur. « Le service dispose de 30 lits réguliers, de 8 chambres de soins intensifs, d’une capacité de deux lits chacune, et d’urgences d’une capacité de 19 patients », détaille-t-il. S’il n’a pas encore atteint sa capacité maximale, NDS n’en reste pas moins « un centre de référence pour la région depuis Jounieh jusqu’au Nord », fait-il remarquer. D’où la nécessité d’être « fins prêts » en cas de vague déferlante de malades. Or la pénurie d’équipements se fait déjà sentir. « Nous souffrons du manque d’équipements de protection », révèle le Dr Eddé.


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Ménager le personnel soignant

Au-delà des capacités de chaque centre hospitalier, la prise en charge des cas de coronavirus nécessite une « préparation progressive », basée sur le souci de protéger l’institution et le personnel soignant, au même titre que les malades. Et si le protocole à suivre est « relativement simple lorsqu’il s’agit d’un seul patient, la logistique devient lourde dès qu’affluent les patients, car cette maladie exige de la discipline ». L’objectif étant d’éviter le cas de figure italien. C’est ce qu’explique le Dr Eid Azar, chef de service des maladies infectieuses à l’Hôpital Saint-Georges, rattaché à l’Université de Balamand. Ce spécialiste collabore étroitement avec l’infectiologue français le Pr Didier Raoult, dont il a adopté le traitement à la chloroquine. Son service Covid-19 fraîchement inauguré a admis ses premiers patients il y a une dizaine de jours. « Un étage entier de 24 lits est consacré aux patients sous investigation, un autre aux cas déclarés tandis qu’une unité de soins intensifs séparée accueille les patients plus graves », précise-t-il. « Huit patients diagnostiqués se trouvent pour l’instant en isolement, un seul est aux soins intensifs », affirme le médecin. Chaque jour, trois ou quatre personnes sont placées sous investigation. Pour ménager son personnel et limiter les risques, « le service fonctionne avec la moitié de ses effectifs, sur base de roulements ». Pour faire face à la pénurie d’équipements, l’institution n’hésite pas à investir, quitte à s’équiper au marché parallèle. « Nous sommes prêts. Mais c’est le virus qui décidera de la dynamique », assure le Dr Azar.


Multiplier les tests à l’échelle nationale

Depuis que le secteur hospitalier privé s’investit dans la lutte contre le coronavirus, ses médecins spécialistes tentent de faire pression sur les autorités pour qu’un leadership national chargé de gérer la crise de manière transparente soit créé. Le directeur médical de l’institution hospitalière LAUMC-RH rattachée à la LAU, le Dr Georges Ghanem, est depuis trois semaines au cœur de la coopération entre les secteurs public et privé. Il insiste sur la nécessité « de multiplier les tests de diagnostic sur l’ensemble du territoire, afin de contenir la courbe de propagation ». Tout le monde n’est pas confiné et nombre de porteurs du virus sont asymptomatiques. Mais le processus demeure restreint dans le pays et concentré sur les cinq grands hôpitaux universitaires et l’hôpital Hariri. « Nous avons pris du retard », déplore-t-il. Le cardiologue s’inquiète aussi « du manque de stock national d’équipements médicaux, car il est essentiel de protéger le personnel soignant ». L’UMC-RH a investi un demi-million de dollars pour développer son infrastructure face au Covid-19. Le Dr Ghanem en vante « les standards élevés, pour ne prendre aucun risque » : structure isolée disposant de ses propres urgences, de ses chambres à pression négative, de ses soins intensifs, de ses respirateurs avec possibilité de les brancher sur deux patients… L’institution commence d’ailleurs à prendre en charge des patients infectés et atteindra bientôt sa vitesse de croisière. Elle multiplie aussi les tests de diagnostic et « se prépare à envoyer une unité mobile à travers le pays, pour effectuer des tests gratuits ». Comme l’ensemble du secteur médical, elle se heurte à un défi majeur, celui de continuer à traiter les patients nécessitant d’autres formes d’intervention, parallèlement aux malades du Covid-19.


(Lire aussi : Raymond Sayegh, convalescent, raconte la grande solitude des malades du coronavirus)



Possibilité d’extension, en cas de nécessité

L’AUBMC est le dernier hôpital privé de première catégorie à avoir ouvert ses portes aux patients atteints de coronavirus. Rattaché à l’Université américaine de Beyrouth, il n’enregistre pour l’instant que quelques malades. Mais pour ce faire, un nouveau service situé dans un immeuble indépendant du bâtiment principal a été créé, avec sa clinique externe, ses urgences, son étage de soins intermédiaires de 21 lits, son unité de soins intensifs et de réanimation de 11 lits. Avec possibilité d’extension en cas de nécessité. « La sécurité du personnel est primordiale », souligne le chef de service de pneumologie, le Professeur Pierre Bou Khalil, responsable de l’unité des soins intensifs de Covid-19. Il a fallu aussi organiser le recrutement du corps médical, du personnel infirmier et des équipes de nettoyage. « Ils sont tous volontaires, fonctionnent par tours de garde et se consacrent exclusivement aux patients du Covid-19 », précise le spécialiste, saluant « le personnel de bonne volonté qui est nombreux, heureusement ». Au programme de cette nouvelle structure figure aussi l’élaboration du protocole de traitement. « Nous l’ajustons régulièrement en fonction des données scientifiques et des nouveaux traitements », souligne le chef de service. L’expérience des pays qui ont enregistré des succès dans le traitement du coronavirus est primordiale. Elle a démontré la nécessité de multiplier les tests de diagnostic pour identifier les porteurs et leurs proches afin de les isoler. « Nous nous inspirons de ces réussites et avons déjà testé 1 477 personnes, parmi lesquelles 67 se sont avérées positives », affirme le Professeur Bou Khalil.

Malgré cette mobilisation générale des hôpitaux privés, deux questions demeurent en suspens. L’État prendra-t-il en charge les personnes contaminées soignées dans le secteur privé ? Sinon, quelle est la réponse des compagnies d’assurances dont une grande partie semble aux abonnés absents, sachant que chaque patient « coûte » à l’établissement qui le soigne quelque 1 200 dollars par jour?


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commentaires (4)

IL LE FALLAIT BIEN N'EST CE PAS !

Gaby SIOUFI

10 h 58, le 31 mars 2020

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Commentaires (4)

  • IL LE FALLAIT BIEN N'EST CE PAS !

    Gaby SIOUFI

    10 h 58, le 31 mars 2020

  • ALLEZ, BON COURAGE ET INCHALLAH REUSSITE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 54, le 31 mars 2020

  • UN BON PAS EN AVANT DANS LA LUTTE CONTRE LE FLEAU.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 49, le 31 mars 2020

  • Dans un pays en faillite espérons finir du Covid 19 et voir les gens obéir plus au confinement pour finir au plus vite de ces maux.

    Antoine Sabbagha

    08 h 23, le 31 mars 2020

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