Les manifestants à Tripoli. Photo DR
Le scénario d’un mouvement d’émeutes rampant anticipé par plusieurs analystes avant même l’avènement du Covid-19 deviendrait-il une réalité ? Déjà confrontées à une crise socio-économique sans précédent, les classes les plus défavorisées ont été frappées de plein fouet par la fermeture imposée dans le cadre de la mobilisation générale pour endiguer l’épidémie de coronavirus.
Si certains parvenaient encore à survivre en cumulant de petits emplois journaliers, cette dernière soupape de sécurité vient de leur être retirée, avec la fermeture de la plupart des commerces et services.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les manifestations qui se sont produites dimanche soir à Hay el-Sellom, dans la banlieue sud de Beyrouth, ainsi que dans plusieurs quartiers populaires et pauvres de Tripoli, en violation du couvre-feu.
Dans la capitale du Nord, des dizaines de personnes des quartiers défavorisés de Jabal Mohsen, Bab el-Tebbané et Nahr Bou Ali sont descendues dans la rue en criant : « Nous voulons manger, nous avons faim. Ne nous confinez pas, nourrissez-nous. » Dans des vidéos qui ont largement circulé sur les réseaux sociaux, certains d’entre eux sont allés jusqu’à affirmer qu’il était « plus acceptable de mourir du coronavirus qu’à cause de la faim ».
Un slogan dont les échos ont également retenti dans le quartier chiite de Hay el-Sellom, à la différence notable qu’ici des dizaines de jeunes ont sillonné les rues à moto, un procédé étrangement devenu courant dans les zones d’influence du tandem chiite Amal-Hezbollah. Le mouvement de protestation a eu lieu dans la rue commerçante al-Husseiniyé, où la densité de la population est très élevée à cause notamment du grand marché de légumes et de fruits qui s’y trouve. Hay el-Sellom est considéré comme l’un des quartiers les plus pauvres de la banlieue sud. Le cri de désespoir poussé hier soir visait l’État, certes, mais également ces deux formations politiques qui ne parviennent plus à répondre aux doléances et besoins urgents de leurs bases populaires respectives, ni à contenir leur mécontentement. « Le Hezbollah se démène pour aider autant que possible les plus démunis. Mais il ne peut pas nourrir tout le monde », commente l’analyste Ghassan Jawad, proche des milieux du parti de Dieu.
Annoncé il y a quelques jours par le ministère des Affaires sociales, le plan d’aide aux plus pauvres sur lequel planche actuellement le gouvernement ne verra pas le jour avant au moins deux semaines, un délai extrêmement long pour les Libanais qui n’ont plus rien.
Dans la rue al-Husseiniyé, les manifestants ont tenté de rouvrir certains commerces par la force. L’armée est aussitôt intervenue pour les en empêcher sans qu’il n’y ait de dérapage.
Pour de nombreux observateurs, les manifestations de dimanche soir apparaissent comme un premier signal d’alarme à prendre au sérieux, non seulement dans la banlieue sud où le Hezbollah dit craindre un débordement, mais aussi dans les autres régions vulnérables du pays.
« Le Hezbollah essaie autant que possible de contenir ce mouvement de colère en mobilisant toutes les ressources à sa disposition et l’ensemble du réseau caritatif du parti pour tenter de combler certaines lacunes en attendant le plan d’aide promis par l’État », commente Kassem Kassir, un analyste proche de cette formation.
(Reportage : Dans les bidonvilles de Tripoli)
Tripoli délaissée
La situation est tout aussi désastreuse à Tripoli, où une grande partie de la population vit au jour le jour, et où une nouvelle manifestation s’est déroulée hier, cette fois devant le domicile du mufti du Liban-Nord, Malek Chaar, pour protester contre la dégradation des conditions de vie. « Près de 80 % de la population survit grâce à de petits commerces ou des métiers artisanaux. Nombreux sont ceux qui n’arrivent plus à payer le loyer de leurs magasins ou échoppes. Même ceux qui avaient des emplois rémunérés se trouvent privés d’une partie ou de la totalité de leurs salaires depuis des mois », constate Mohammad Allouche, écrivain et analyste tripolitain. Ce serait notamment le cas des enseignants du secteur public dont certains ne touchent pas leurs salaires depuis plus de trois mois alors que d’autres n’encaissent plus que 150 000 LL par mois, une somme dérisoire.
La capitale du Nord compte pourtant des ténors politiques réputés pour leur fortune colossale et qui, selon M. Allouche, figurent aux « abonnés absents ». « À eux seuls, ils peuvent nourrir toute la ville », dit-il.
L’analyste, qui n’écarte pas la possibilité de voir les manifestations de dimanche dernier se reproduire, voire s’amplifier, ne pense pas qu’elles puissent constituer une menace sécuritaire plus globale. « Il n’y aura pas de débordements pour la simple raison qu’auparavant, c’était principalement les politiques qui tiraient les ficelles en alimentant les dissensions internes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, puisque les figures politiques traditionnelles ont perdu de leur aura et ne sont plus dans les bonnes grâces des Tripolitains, notamment depuis le sursaut collectif suscité par la révolution du 17 octobre », conclut-il.
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La capitale du Nord compte pourtant des ténors politiques réputés pour leur fortune colossale et qui, selon M. Allouche, figurent aux « abonnés absents ». « À eux seuls, ils peuvent nourrir toute la ville », dit-il.pourquoi il ne faut pas les nommer ( peut etre aprés la famine qui guette le peuple on saura à qui on a à faire)meme dans les pays riches les donnateures sont nombreux pour venir en aide.le gouvernement ds 2 semaines avant de prendre des mesures ils ne sera plus la pour voir la famine arrivée j espere.
youssef barada
12 h 18, le 31 mars 2020