Quand il a quitté Aïn Aalaq, son village du Metn, fin février pour se rendre dans les Caraïbes, à Haïti, Georges Sadaka ne savait pas trop où il mettait les pieds. Missionné par sa société pour assurer des services auprès d’une usine de plastique à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, cet électricien de 38 ans n’en était pas à son premier voyage d’affaires : une fois par mois, il part, généralement en Europe ou en Afrique. À l’autre bout de l’Atlantique, cette fois-ci, ce jeune papa d’une petite fille de trois ans l’assure en riant : « Je ne connaissais rien du pays. »
Arrivé le 26 février, il est accueilli à l’aéroport par ses clients… en voiture blindée. Le trentenaire avait fait ses recherches avant de partir. Les États-Unis avaient classé le pays au niveau 4, soit celui où ils demandent à leurs ressortissants de « ne pas voyager ». « Ils avaient fait la même chose pour le Liban (certaines zones du Liban sont classées à ce niveau, le reste du pays est au niveau 3, NDLR). Je n’y ai donc pas accordé trop d’importance », dit-il simplement, alors que le Liban-Sud est en proie à des affrontements quotidiens entre le Hezbollah et l’armée israélienne depuis le 8 octobre. La veille de son départ, le 3 mars, Georges Sadaka entend des coups de feu. « Je pensais que c’était comme au Liban », pense-t-il alors. Il va vite déchanter.
Depuis fin février, des gangs haïtiens attaquent de concert commissariats, prisons et infrastructures majeures dans le but d’évincer le Premier ministre Ariel Henry – qui démissionnera le 11 mars. Une escalade de violence qui a entraîné le déplacement de 100 000 personnes de la capitale haïtienne en un mois, a déclaré l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) mi-avril, tandis que les travailleurs humanitaires sur place ont qualifié Port-au-Prince de « prison à ciel ouvert ».
Présent dans ce pays ravagé par la pauvreté et l’instabilité politique depuis des décennies, et dont 80 % de la capitale était aux mains de bandes criminelles en 2023 selon l’ONU, Georges Sadaka fait sa valise… mais il ne partira pas. Le 4 mars, le voilà forcé de faire demi-tour sur le chemin de l’aéroport. « Tout sera réglé dans deux jours », lui assurent des policiers. Le Libanais devait séjourner à Haïti une semaine. Il y restera 32 jours.
« Pris au piège »
Deux jours après sa première tentative de départ, l’aéroport demeure clos. « C’est là que j’ai compris que ça allait durer… » dit-il. Cloîtré à l’hôtel, Georges Sadaka ne voit rien mais entend tout, dont le sifflement quotidien des balles. « Certains jours étaient intenses, d’autres plus calmes », raconte-t-il. Des habitants lui expliquent que la situation est « différente » cette fois-ci : « Ils me disaient qu’ils avaient l’habitude des tirs, mais pas que le pays soit fermé. » Après avoir pris son mal en patience pendant une semaine, Georges Sadaka se rend à l’évidence : il est temps de fuir « par tous les moyens ». Non pas qu’il se sente en réel danger, « je me sentais surtout pris au piège », nuance-t-il.
Le 13 mars, c’est à bord d’un véhicule blindé affrété par les clients de sa société qu’il quitte Port-au-Prince pour Pétion-ville, à une dizaine de kilomètres : « J’avais compris que l’évacuation allait avoir lieu là-bas… »
En chemin, il tombe sur un restaurant libanais et espère y trouver d’autres compatriotes prêts à quitter l’île. Mais il n’y a personne, si ce n’est le gérant, un expatrié de longue date. « Lui voulait rester. Toute sa vie, il l’a construite là-bas », dit-il. Contacté, le ministère des Affaires étrangères n’a pu nous dévoiler le nombre d’électeurs libanais vivant à Haïti. « Pour ouvrir un bureau de vote, il faut au moins 200 personnes. Ce n’est pas le cas à Haïti, donc le ministère ne peut pas donner le nombre d’électeurs présents là-bas », explique une source en son sein, souhaitant rester anonyme.
Arrivé à Pétion-ville, Georges Sadaka ne peut pas aller plus loin : « C’était trop dangereux de me rendre à la frontière » avec la République dominicaine. Il ne lui reste plus que deux options pour fuir : passer par des sociétés privées ou par l’État libanais pour évacuer. « Mais quel État ? » feint-il d’interroger, alors que le Liban est en crise multidimensionnelle depuis près de cinq ans. Son employeur contracte alors une société privée italienne pour préparer une évacuation, facturée à « 25 000 dollars ». En parallèle, Georges Sadaka contacte le ministère libanais des Affaires étrangères, qui lui fournit le numéro du consul vénézuélien, Beyrouth n’ayant pas de services dédiés sur place. « Le ministère m’a informé que je ferais peut-être partie d’une évacuation faite par un pays ami du Liban, rapporte-t-il, mais qu’il ne pouvait rien faire de plus. »
À plus de 10 000 km de là, Cheryl, son épouse, est scotchée aux infos venant d’Haïti. « Elle a complètement oublié ce qu’il se passait au Liban », relate Georges Sadaka. Sa famille craint le pire, et Cheryl remue ciel et terre. En vain.
« C’est le seul qui voulait fuir »
Georges Sadaka apprend que la France prévoit une évacuation de ses ressortissants fin mars et prévient le ministère libanais des Affaires étrangères. « Ils m’ont répondu un jour après l’évacuation des Français », dit-il. Le ministère nous a, lui, rapporté avoir contacté plusieurs ambassades étrangères pour assurer l’évacuation de Georges. « Il était le seul Libanais qui voulait fuir. Nous nous sommes d’abord assurés qu’il était en sécurité, puis nous avons tenté de contacter d’autres ambassades pour le faire sortir. Lorsqu’il nous a informés que la France évacuait ses ressortissants, nous avons directement contacté l’ambassade du Liban à Paris et celle de France au Liban… mais le dernier avion français était déjà parti. »
Sur place, les jours s’éternisent. « Parfois, j’étais serein, mais d’autres fois, la peur de ne pas pouvoir partir me gagnait… Je craignais que la situation s’aggrave et d’être coincé », dit-il. Finalement, la société privée dépêchée par son entreprise parvient à l’évacuer. Le 29 mars, il quitte Pétion-Ville pour Cap-Haïtien en hélicoptère. Puis, en voiture, il se rend vers la frontière pour atteindre la République dominicainen, avant d’atterrir à Beyrouth le 30 mars.
De retour chez lui, le Liban-Sud est toujours en proie à une guerre sans nom, tandis que nombre de chancelleries craignent l’embrasement régional sur fond de conflit à Gaza. Pour Georges Sadaka, peu importe : « Quoi qu’il arrive, au moins, je suis avec ma famille. » Depuis son retour, il dit ne plus trop suivre les informations venant d’Haïti. « J’ai regardé il y a quelques jours. L’aéroport était toujours fermé. »
commentaires (3)
Dites, HAÏTI, ce n'est pas ex-France ? Colonies ou territoire kif kif . Monsieur, pour votre prochain voyage, tâchez d'éviter les EX-COLONIES Française.
aliosha
19 h 38, le 23 avril 2024