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Idées - Point de vue

Il ne faut pas avoir peur du FMI

Photo d’archives Reuters

Le gouvernement libanais a dernièrement fait appel au Fonds monétaire international (FMI) pour l’assister techniquement dans l’élaboration d’un plan de sauvetage économique, suite à la crise financière aiguë que traverse le pays. Le rôle du FMI devrait inexorablement s’accroître dans les mois à venir.

Alors que des mesures nécessaires sont urgentes, le Liban, du fait de sa composition fragile basée sur un consensus introuvable, pourrait avoir du mal à prendre les décisions adéquates et surtout à les mettre en œuvre sans une surveillance externe sévère. Par ailleurs, les plans du FMI ont une composante financière sous forme de déboursements périodiques d’argent frais dont l’économie libanaise a terriblement besoin pour redémarrer. Enfin, l’absence d’alternative crédible au FMI milite en faveur de ce choix. D’ailleurs, il n’est pas stigmatisant d’avoir recours au FMI. Pour sortir de leurs crises, d’autres pays et non des moindres l’ont fait : le Royaume-Uni en 1976, plusieurs pays asiatiques en 1997-1998. Ils ont tous renoué ultérieurement avec une prospérité économique florissante.



(Lire aussi : Garbis Iradian, économiste en chef à l’IFI : Il y a au Liban une conception erronée des plans d’aide du FMI)



Appréhension
L’appréhension envers le FMI de la part de certains Libanais a deux raisons : l’une politique et l’autre économique. Politiquement, il est légitime de se demander s’il serait permis au FMI d’intervenir sans conditions politiques préalables, imposées par les États-Unis, liant toute aide financière aux armes du Hezbollah, ce qui placerait le Liban devant une équation impossible. En partant de l’hypothèse que personne ne trouverait vraiment son compte dans un effondrement total du Liban (un autre État failli dans la région ne ferait l’affaire de personne), ce scénario est peu probable. D’ailleurs, il n’a pas été évoqué lors de la conférence CEDRE. Les conditions étaient strictement économiques. De toute manière, le Liban devrait utiliser ses réseaux diplomatiques et ses relations amicales, particulièrement avec la France et le Vatican, afin de se prémunir contre de telles éventualités.

Économiquement, les mesures draconiennes généralement préconisées par le FMI pour combattre les déficits et rétablir les équilibres pourraient être dures et douloureuses. Mais ces mesures devraient être prises avec ou sans le FMI. Comment peut-on imaginer que l’on pourrait remédier à 30 années de mauvaise gestion économique et financière, de corruption et d’incompétence avec des doses homéopathiques? Éliminer les déficits, vivre dans la limite de ses moyens, avoir une devise qui reflète la réalité économique du pays sont des principes universels de bonne conduite. La facture est d’autant plus onéreuse que nous avons persisté dans l’erreur pendant longtemps. À charge pour le gouvernement de faire les arbitrages nécessaires pour que les réformes soient le moins brutales possible pour la population, en appliquant en même temps un plan d’accompagnement pour les plus pauvres grâce en partie à l’argent frais fourni par le FMI et d’autres organisations internationales.

Par ailleurs, le procès d’intention fait au FMI selon lequel ses programmes enfoncent les pays dans la crise au lieu de les sauver n’est pas justifié, comme en témoignent plusieurs pays asiatiques à la fin du siècle dernier et la Jamaïque récemment. Encore faut-il avoir la discipline d’appliquer rigoureusement ses recommandations et susciter au sein de la population un large consensus visant à accepter même temporairement la pilule amère en vue d’une prospérité future.

D’autre part, le FMI change aussi. Il a entamé, sous la nouvelle présidence de Kristalina Georgieva, un processus de réflexion et de réévaluation des conseils à prodiguer aux pays émergents en crise. Dans une tribune publiée le 18 février dernier dans le Financial Times, Mme Georgieva disait vouloir mieux comprendre comment les différentes options de politique économique interagissent. Il semble que le FMI mesure mieux l’importance d’étaler dans le temps le rétablissement des équilibres, de manière à favoriser la croissance. Joignant la parole à l’action, dans les toutes dernières négociations avec l’Argentine, ce pays a été autorisé à n’atteindre l’équilibre budgétaire qu’en 2023, sans aucune réduction immédiate.



(Lire aussi : Nasrallah : Nous ne sommes pas contre une aide du FMI)



Adhésion
En dépit des conséquences dures des plans du FMI, son intervention au Liban est tout à fait souhaitable, et cela pour plusieurs raisons qui dépassent largement l’apport d’argent frais indispensable pour la résolution de la crise. Elle permettrait d’abord l’élaboration d’un plan global et exhaustif de solution de crise par des équipes qui ont une expertise et une expérience mondiales sur plusieurs décennies. Elle traduirait ensuite la volonté de la population d’accorder le bénéfice du doute à un plan concocté en collaboration avec une instance internationale crédible, compte tenu de la perte de confiance dans la classe politique actuelle. Elle pourrait aussi constituer une incitation pour le gouvernement à appliquer ce plan tout en se réservant la possibilité de blâmer les institutions internationales pour les difficultés qui en résulteraient. Cela permettrait en outre d’assurer une surveillance de l’application de ce plan avec des indicateurs clairs et précis à l’appui. Cette intervention faciliterait dès lors l’obtention d’une crédibilité internationale de stratégie de fin de crise, encourageant les pays donateurs à intervenir et les nouveaux investissements à se manifester. Elle assurerait par ailleurs la neutralisation des intérêts mafieux contrecarrés par un plan et des indicateurs qui ne peuvent être atteints que par la destruction de ces intérêts. Enfin, cette intervention ranimerait une lueur d’espoir chez les Libanais qu’une sortie crédible de la crise est possible malgré les difficultés à court terme

La clé de réussite de la politique d’austérité à venir est la compréhension et l’adhésion de la population. La comptabilité de la classe politique et des fonctionnaires de leurs actions en matière de corruption et de mauvaise gestion est essentielle. La justice doit commencer à jouer pleinement son rôle. D’autre part, un effort de pédagogie devrait être déployé à tous les niveaux.

Une idée novatrice, appliquée en Jamaïque, a eu un succès phénoménal dans le suivi des mesures impopulaires, mais indispensables, par le peuple et a largement contribué à leur acceptation. C’est la formation d’un comité de surveillance du programme économique. Ce comité, composé de 12 membres, réunit des représentants du gouvernement, du monde des affaires, des syndicats et de la société civile. Il est chargé de contrôler tous les aspects des réformes ainsi que les chiffres et indicateurs gouvernementaux relatant l’avancement du programme en cours. Cette innovation a été saluée par les dirigeants du FMI. C’est sûrement un modèle à suivre permettant au « hirak » de garder un œil sur le gouvernement.

La situation est grave. Elle n’est pas désespérée. D’autres pays ont connu des crises aussi profondes. Ils s’en sont sortis avec l’aide, entre autres, du FMI. Le Liban ne manque pas d’atouts. La nature humaine a souvent du mal à imaginer un avenir différent du temps présent. La responsabilité du gouvernement est de mobiliser toute ressource locale ou internationale disponible pour recréer l’espoir.


Ancien directeur général de la banque HSBC en Arabie saoudite.



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commentaires (6)

lE LIBANAIS NE SAIT PAS ÊTRE AUSTÈRE : QUOIQU'ON FASSE , IL SE PLAINDRA

Chucri Abboud

13 h 47, le 15 mars 2020

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • lE LIBANAIS NE SAIT PAS ÊTRE AUSTÈRE : QUOIQU'ON FASSE , IL SE PLAINDRA

    Chucri Abboud

    13 h 47, le 15 mars 2020

  • Le problème est assez compliqué au Liban. Les partis ayant profité de la corruption ne veulent pas entendre de réformes selon les critères logiques. Ils l'entendent selon leurs critères d'hégémonie, c'est-à-dire de continuer à abuser au dépens du reste de la population. Pour cela, ils veulent imposer des conditions au FMI,pour accepter son aide! Ce gouvernement représenté par son chef semble dans la même ligne de raisonnement,étant obligé de se conformer à la volonté de ses parrains.

    Esber

    10 h 25, le 15 mars 2020

  • "La clé de réussite de la politique d’austérité à venir est la compréhension et l’adhésion de la population". C'est pourquoi la campagne de dénigrement menée par Nasrallah et consorts est menée contre le Liban lui-même. Tout se passe comme si la milice iranienne voulait voir le pays plonger encore plus profondément dans le gouffre.

    Yves Prevost

    09 h 08, le 15 mars 2020

  • IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR DU FMI MAIS SES MESURES EN DES CAS PAREILS DE PAR LE MONDE N,ETAIENT QU,ANTI POPULAIRES UNIQUEMENT. NULLE PART IL N,Y EUT RECUPERATION DES MONTANTS VOLES. NULLE PART LES CORROMPUS ET LES VOLEURS N,ONT ETE INQUITES. SEULS LES BAUDETS ONT PAYE LE PRIX CAD LES VOLES ONT PAYE LES MONTANTS QUI LEUR FURENT VOLES. LES BAUDETS ONT PAYE DEUX FOIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 46, le 15 mars 2020

  • Quand on est entrain de se noyer dans un étang sale et pollué, avec la chair envahie de sangsues, on n'a sûrement pas peur d'une corde de secours même si elle nous lacère les mains. Mais elle nous tire hors de l'étang vers la sécurité! Le FMI est cette corde de secours. Pourquoi en avoir peur??

    Wlek Sanferlou

    03 h 39, le 15 mars 2020

  • "... liant toute aide financière aux armes du Hezbollah ..." Ce n’est pas le FMI qui demanderait cela. C’est la majorité du peuple Libanais. Sauf ceux qui comptent dessus pour leur donner le poids politique qu’ils n’auraient pas eu sans ces armes. Je ne nomme personne, suivez mon regard...

    Gros Gnon

    02 h 54, le 15 mars 2020

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