Garbis Iradian, vous estimez depuis plusieurs mois que les autorités libanaises, qui ont annoncé il y a une semaine leur décision de négocier une restructuration de la dette publique, ne peuvent virtuellement plus se passer du soutien du Fonds monétaire international (FMI) pour redresser le pays. Mais les opposants à cette perspective craignent de leur côté que les conditions imposées par l’organisation soient trop brutales sur les plans économique et social. Le Liban n’a-t-il réellement plus d’autres options ?
Il faut comprendre que ni les institutions internationales ni les pays donateurs ne seront disposés à aider un pays qui connaît d’importantes difficultés financières sans que ce dernier n’ait au préalable souscrit à un programme d’assistance du FMI. Le Liban ne fait pas exception à cette règle, surtout que les défis qu’il doit affronter sont colossaux.
De plus, il y a au Liban une conception erronée concernant les plans d’aides du FMI, qui ne sont généralement pas plus sévères que nécessaires. L’organisation ne recommandera par exemple pas d’augmenter le taux de la TVA à un moment où le PIB libanais se contracte (dans son dernier rapport, l’IFI n’envisage pas de retour de la croissance avant 2021, dans le meilleur des cas, NDLR). Elle ne demandera pas non plus de faire des coupes dans les rémunérations (de la fonction publique) au-delà des proportions envisagées par les autorités du pays. En revanche, le FMI insistera certainement, comme le gouvernement de Hassane Diab l’envisage, de réformer le secteur de l’électricité pour supprimer totalement les avances du Trésor à Électricité du Liban d’ici à trois ans, entre autres réformes de fond (dans sa déclaration ministérielle, le gouvernement Diab, formé le 21 janvier, s’engage à introduire une série de réformes dans des délais allant de cent jours à trois ans, NDLR).
Enfin, il faut garder à l’esprit que plusieurs pays qui ont fait face dans leur histoire à des crises économiques et financières de moindre amplitude que celle qui frappe le Liban aujourd’hui, et dont les institutions étaient beaucoup plus fortes, ont essayé de prendre les choses en main seuls de leur côté, sans y parvenir. À chaque fois, la situation sur le plan social était finalement plus grave au moment où ils se sont résolus à solliciter l’aide du FMI.
C’est par exemple le cas de l’Iran, qui s’est tourné vers l’organisation internationale jeudi pour demander une aide face à l’épidémie de coronavirus (qui a touché plus de 11 000 personnes dans le pays, NDLR). L’organisation s’est engagée à répondre via une de ses procédures, l’instrument de financement rapide (IFR), qui offre une assistance financière rapide à tous les pays membres qui ont un besoin urgent d’ajustement de leur balance des paiements.
(Lire aussi : Pas de dévaluation de la livre dans un « proche avenir », assure Ghazi Wazni)
Dans vos précédents rapports, vous avez systématiquement appelé les autorités libanaises à mener jusqu’au bout les réformes qui permettront de redresser le pays. Pensez-vous que le gouvernement actuel pourra mener ce chantier à terme ?
Les réformes requises, qui portent aussi bien sur la réduction du déficit budgétaire, la refonte du secteur de l’électricité, la restructuration de la dette publique, le renforcement de la gouvernance et la lutte contre la corruption, ont été longtemps débattues mais sans jamais faire l’objet d’un consensus (politique) ni être mises en place.
Mais je pense malgré tout que le gouvernement Diab, qui rassemble plusieurs experts dans leurs domaines respectifs, a de bonnes chances de prendre les mesures nécessaires pour gommer les déséquilibres macro-économiques majeurs du pays et préparer le terrain à une relance qui aille au-delà du court terme. La première étape consistera pour lui à préparer un programme de réformes suffisamment complet et rassurer les créanciers du pays, avec lequel il espère atteindre un accord sur la restructuration de la dette (le ministre des Finances Ghazi Wazni a estimé hier que ce plan sera prêt dans quelques semaines, NDLR).
(Lire aussi : Le Liban doit agir "rapidement" pour contrer le marasme économique, prévient le FMI)
Le sort de la parité livre/dollar revient régulièrement dans le débat public lorsque le sujet des réformes est évoqué. Quelle devrait être selon vous la marche à suivre pour les autorités monétaires concernant ce volet ?
Comme je l’ai déjà soutenu, la Banque du Liban ne devrait pas envisager d’adopter un régime de changes flexible avant qu’un programme d’ajustement ne soit lancé et que les financements extérieurs ne soient débloqués. La coexistence des deux taux de change actuels peut être tolérée un certain temps encore, dans la mesure où un ajustement immédiat aura un impact négatif sur l’inflation et les salaires réels (la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar toujours stabilisée par la BDL pour les transactions bancaires et les taux pratiqués par les changeurs qui sont au moins 60 % supérieurs depuis quelques semaines, NDLR). Il y a de plus un risque qu’une unification des deux taux, à un moment où la situation est aussi précaire, contribue à une dépréciation encore plus prononcée et chaotique de la livre.
En même temps, une situation où deux taux coexistent n’est pas non plus soutenable à long terme, surtout si l’écart entre les deux parités ne cesse de se creuser. D’où l’importance de glisser le moment venu vers un système qui permette au pays de renforcer sa compétitivité, que ce soit dans les secteurs traditionnellement dominants (finance et tourisme) ou ceux sur lesquels le pays doit davantage miser (technologies de l’information et de la communication, industrie et agriculture).
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commentaires (3)
Le FMI avec la banque Europenne ont aidé la Grece de sortir de son marasme, elle a beaucoup souffert mais ça va beaucoup mieux
Eleni Caridopoulou
18 h 00, le 14 mars 2020