La cause palestinienne n’est officiellement plus une priorité pour le monde arabe. Sans surprise, l’annonce du plan de paix israélo-palestinien mardi par le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu est loin d’avoir provoqué une levée de boucliers parmi les États de la région. Leurs réactions reflètent un Moyen-Orient désormais divisé en quatre clans : ceux qui assument leurs désintérêt pour la cause palestinienne, ceux qui sont trop dépendants de Washington pour pouvoir lui dire non, ceux qui conservent leur position traditionnelle et, enfin, ceux qui tablent sur la surenchère. Des approches qui confirment la dynamique sous-jacente de ces dernières années autour de la question israélo-palestinienne où les pays arabes ne forment plus un bloc de principe uni, scellé par l’ « Initiative de paix arabe » proposée par l’ancien roi saoudien Abdallah et adoptée à l’unanimité lors du sommet de la Ligue arabe à Beyrouth en 2002. Le texte prévoit la paix et la reconnaissance d’Israël par les Arabes en échange du retrait de l’État hébreu des territoires occupés en 1967 et de la création d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.
Mais, dix-huit ans plus tard, force est de constater que les nouvelles considérations géopolitiques cristallisées autour de la volonté de contrer l’influence iranienne dans la région ont supplanté le conflit israélo-palestinien. « Il est évident que certains pays du Golfe voient dans la menace iranienne un danger plus existentiel pour eux », souligne un diplomate arabe, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Ils tiennent à garder les meilleures relations possibles avec les Américains car ils les perçoivent comme des protecteurs. Dans ce cas-là, leur position sur la Palestine est secondaire car Israël ne constitue pas une menace existentielle », poursuit-il.
(Repère : Ce qu’il faut retenir du plan de paix américain)
Les contacts entre l’État hébreu et les pays du Golfe se sont en effet intensifiés au cours de ces dernières années, alors que des officiels israéliens se sont rendus à différentes occasions dans la péninsule Arabique dans le cadre d’événements sportifs ou de visites diplomatiques aux Émirats arabes unis et au Qatar en 2018. Et alors que Oman et l’État hébreu entretiennent des liens officiels, Benjamin Netanyahu s’était rendu à Mascate pour rencontrer l’ancien sultan Qabous en octobre de la même année. De plus, les ambassadeurs omanais, bahreïni et émirati aux États-Unis étaient notamment présents lors de l’annonce du plan de paix à la Maison-Blanche. « C’était une présence protocolaire qui semblait dire qu’ils n’étaient pas hostiles à ce projet, sans pour autant annoncer leur soutien total », indique le diplomate arabe.
Position de compromis
L’ambassadeur émirati à Washington, Youssef al-Otaïba, s’est toutefois démarqué par ses propos sur Twitter en saluant une « initiative sérieuse » et les « efforts persistants des États-Unis pour parvenir à un accord de paix palestino-israélien ». « Les EAU, Oman et Bahreïn sont des pays qui sont en contact direct avec Israël et des pays où les responsables israéliens se rendent publiquement, ce qui n’est pas le cas de l’Arabie saoudite », note Yasmine Farouk, chercheuse au Centre Carnegie, contactée par L’OLJ. « Les Émirats et le Bahreïn sont prêts à aller encore plus loin et avoir des relations officielles avec Israël mais c’est plutôt leur envie de le faire dans un contexte régional, impliquant notamment l’Arabie saoudite, qui les ralentit », constate-t-elle.
Se trouvant dans une situation délicate, Riyad a pour sa part opté pour un discours plus mesuré. Le roi Salmane a réaffirmé l’engagement du royaume sur la question des droits palestiniens lors d’un entretien téléphonique avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, tandis que plus tard, un communiqué du ministère saoudien des Affaires étrangères a remercié l’administration Trump pour ses efforts, encourageant « des négociations directes entre la Palestine et Israël », sous l’égide de Washington. « C’est une position de compromis qui reflète plutôt la position du roi Salmane », observe Yasmine Farouk.
La relation entre le royaume wahhabite et Washington s’est notamment renforcée sous l’administration Trump, cristallisée par les liens entre le prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) et le conseiller et gendre de Donald Trump, Jared Kushner. MBS avait même laissé entendre que l’Arabie saoudite pouvait abandonner sa position traditionnelle sur le conflit israélo-palestinien en suivant le plan Kushner et en suggérant la possibilité d’établir la capitale d’un État palestinien à Abou Dis, avant d’être rappelé à l’ordre par son père. « La réaction de l’opinion publique, et particulièrement des milieux religieux islamistes, fait le plus peur à Riyad. Hier, les réactions ont été très hostiles vis-à-vis de ce plan sur Twitter », relève Yasmine Farouk.
Conscient de la nécessité de préserver son image auprès des cercles conservateurs, Riyad a insisté lundi sur le fait qu’il n’accueillerait pas de ressortissants israéliens, en dépit de l’annonce d’Israël de l’autorisation pour ses ressortissants de se rendre dans le royaume pour effectuer des voyages religieux ou d’affaires.
« Absolument inacceptable »
Dans sa volonté de ne pas heurter son allié américain, l’Égypte est, elle, allée plus loin que l’Arabie. Appelant « les parties concernées à examiner de manière attentive et minutieuse la vision américaine pour parvenir à la paix », le ministère égyptien des Affaires étrangères les a encouragées « à ouvrir les canaux du dialogue, sous les auspices des États-Unis, pour la reprise des négociations ». Une position qui va à contre-courant de la posture traditionnelle du Caire sur la question palestinienne, mais qui répond à des considérations diplomatiques et géopolitiques. « Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est engagé dans des négociations difficiles avec les Éthiopiens sur la question du barrage du Nil, il y va donc d’un enjeu majeur, et ce sont les Américains qui pourraient éventuellement faciliter un accord entre Addis-Abeba et Le Caire », souligne le diplomate arabe.
(Lire aussi : Abou Dis, la "capitale palestinienne" qui ne veut pas être une capitale)
La Jordanie s’est pour sa part fait prudente en conservant sa position de principe. Le ministre jordanien des Affaires étrangère, Ayman Safadi, a estimé que l’établissement d’un État palestinien indépendant sur les frontières de 1967 restait « la seule voie pour une paix globale et durable ». « Les Jordaniens sont directement menacés par ce deal car si Israël annexe la vallée du Jourdain, alors le royaume se trouvera dans une situation extrêmement difficile », estime le diplomate arabe.
En jouant l’ouverture et la modération, les pays arabes, qui doivent tenir une réunion extraordinaire samedi au Caire en présence de Abbas, prennent le risque de se faire déborder par les tenants de la surenchère : l’Iran et ses alliés dans la région, au premier rang desquels figure le Hezbollah. Ou encore la Turquie dont le président Recep Tayyip Erdogan a dénoncé hier un plan « absolument inacceptable ».
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commentaires (9)
Les arabes ont oublié la Palestine et ce nom et ont maintenant un ennemi plus dangereux et veulent en finir
Antoine Sabbagha
20 h 56, le 30 janvier 2020