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Les boulevards du délire

Gouverner, c’est prévoir ; mais le moyen de prévoir quand on ne veut même pas voir? À des échelles et dans des registres bien différents, nous interpellent, de concert, deux cas d’aveuglement politique, d’autisme délibéré, défiant toute imagination.


À Washington, ce sont deux dirigeants parmi les plus contestés au monde, Donald Trump et Benjamin Netanyahu, qui présidaient hier à la publication d’un plan de règlement du problème palestinien, susceptible de modifier de fond en comble la physionomie de cette turbulente partie du globe. Sans ironie aucune, ce projet porte bien son nom de marché du siècle. Pour commencer, il est l’œuvre de ces deux businessmen très prospères que sont le président des États-Unis et son gendre, Jared Kushner. Outre une procédure de destitution en cours, le chef de la Maison-Blanche a été impliqué dans plus d’un scandale financier : ce qui ne fait que le rapprocher de l’Israélien Bibi, objet de plusieurs poursuites judiciaires pour corruption.


Tout ce beau monde n’étant capable de raisonner qu’en termes de dollars ou de shekels il ne pouvait y avoir de place, dans cette offre de la dernière chance, pour les grands principes de justice ou de droit des peuples à l’autodétermination. Si bien que ce prétendu plan de paix se résume à une obscène transaction : l’appât de l’argent étant censé faire oublier leur patrie aux Palestiniens en échange d’un mini-Bantoustan, et leurs problèmes socio-économiques aux pays arabes abritant les masses de réfugiés. Bonne promenade sur ce boulevard du délire, messieurs, mais gare aux cahots !

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Zoom vertigineux sur notre minuscule pays, tristement familier lui aussi des vilains jeux de la politique et de l’argent, et qui d’ailleurs en est déjà la victime. Le Liban n’est certes pas – pas encore, voulons-nous croire ! – un pays où même les dirigeants les plus haut placés peuvent être traînés devant la justice pour s’être livrés à des malversations. Mais même si c’est le citoyen qui souffre le plus cruellement de l’actuelle crise, les ruades du veau d’or qu’elle a adoré avec tant de ferveur n’épargnent guère une classe dirigeante en perte fulgurante de respectabilité, de crédibilité, d’autorité.


Dernier témoin en date en est la pantalonnade constitutionnelle de lundi. Surréel était, au départ, le décor : un Parlement barricadé derrière des murailles d’acier et de béton, et néanmoins assiégé par les manifestants bravant les brutalités policières. Toujours est-il qu’on a vu une Assemblée irresponsable refiler un budget établi à la va-comme-je-te-pousse à un gouvernement à peine formé, pas encore intronisé dans les règles. Prostré dans sa solitude au centre du banc gouvernemental, acculé à adopter le disgracieux bébé, le Premier ministre Hassane Diab aura bien du mal à vendre cette camelote, même rafistolée. Tout aussi surréel aura été, au demeurant, le déroulement d’une séance expédiée au pied levé, au rythme du maillet expéditif du président Nabih Berry, et au cours de laquelle une majorité rachitique a approuvé un exercice comptable totalement dépassé par les impératifs nouveaux qu’a imposés la révolution du 17 octobre.


Avant toute autre chose, un budget est un outil de politique économique, ingrédient tragiquement absent dans le panier de pique-nique préparé par les responsables et maintenant cautionné par la Chambre des députés : celle-là même qui, par pure démagogie électorale, avait couvert en son temps une dispendieuse échelle des salaires en laissant à la providence le soin d’y pourvoir au financement. Face à tant de légèreté, jamais l’exigence d’élections anticipées brandie par la révolution n’aura paru davantage justifiée. Quant au nouveau gouvernement, il est confronté à une tâche quasiment surhumaine. Pour gagner la confiance des pays donateurs, il lui faut en effet amender, autant que possible, certaines provisions du budget qui pèchent par une estimation par trop optimiste du déficit et des recettes ; or il ne peut y remédier qu’à l’aide de tout un arsenal de mesures fiscales, propres à alimenter d’autant la colère des foules.


La mission relève de la quadrature du cercle. D’autant plus vicieux est d’ailleurs le cercle que dans ses chiffres, plutôt que dans ses jolies lettres, le budget ne pipe mot de la lutte contre l’ennemi public numéro un, la perversion de base : la corruption.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Gouverner, c’est prévoir ; mais le moyen de prévoir quand on ne veut même pas voir? À des échelles et dans des registres bien différents, nous interpellent, de concert, deux cas d’aveuglement politique, d’autisme délibéré, défiant toute imagination. À Washington, ce sont deux dirigeants parmi les plus contestés au monde, Donald Trump et Benjamin Netanyahu, qui présidaient hier...