« La voix de l’horloge à fleurs de la place des Martyrs, c’était la mienne ! Elle a fonctionné jusqu’au début de la guerre (1975). Je donnais l’heure en français. Cela m’amusait beaucoup de m’entendre le faire à chaque fois que je passais par le centre-ville », se souvient Raymonde Angelopoulo, la femme aux yeux verts qui a occupé le petit écran durant les années glorieuses du Liban.
La belle animatrice à la diction française parfaite a entamé sa carrière en 1968, sur le Canal 9 (francophone), recrutée lors d’un concours d’entrée par l’un des pionniers de Télé-Liban, Jean-Claude Boulos. Forte d’un prix de diction décroché dans le cadre d’un concours interscolaire organisé par la Mission culturelle française, elle ne pouvait que séduire. Rapidement, sa voix devient très prisée pour les publicités diffusées en langue française. « J’enregistrais des publicités en voix off et j’annonçais les programmes en direct ; même si le film passait à minuit, il fallait être présente pour faire l’annonce », dit-elle. Suivra l’animation d’émissions francophones, Visa pour la France, Féminin masculin, Plein Soleil ou encore Télé-Magazine. « Quand j’ai commencé, la télévision vivait ses derniers jours en noir et blanc puis nous sommes passés au secam. Alors, il fallait vraiment savoir se maquiller car, pour le noir et blanc, on optait pour du maquillage prononcé afin de mettre le visage en valeur ! »
En dépit des années, des peines et des drames vécus, cette grand-mère de deux petits garçons a gardé sa voix jeune et fraîche, son regard vivant et enjoué, imprégné d’une certaine candeur. Mais cette voix s’enveloppe immédiatement d’une élégante tristesse lorsque Raymonde Angelopoulo évoque la plus grande blessure de son existence, l’enlèvement et l’assassinat de son mari, Pierre, champion de basket-ball, en 1976. Il avait trente ans, elle 26, jeune mère de deux enfants, âgés de quatre et de trois ans, Marc et Murielle. Ce drame, les Libanais, pris dans l’engrenage d’une guerre qui venait de commencer, l’ont vécu avec elle. Certains s’en souviennent encore.
Elle vivait avec sa famille à Sanayeh, dans ce qui est devenu à l’époque « Beyrouth-Ouest ». Son mari a été enlevé à un barrage milicien à Barbir. « Pierrot, joueur professionnel, était, par son père, originaire de Thessalonique. Il avait des amis de différentes religions. Nous vivions tous ensemble dans ce Beyrouth d’avant-guerre. C’est lourd de penser qu’il a été tué à cause de son appartenance religieuse. Mais j’ai pardonné dès la première semaine », confie-t-elle.
Dix ans d’exil
Profondément croyante et pratiquante, elle poursuit : « Je n’ai pas voulu savoir qui l’avait enlevé ou ce qui s’était passé. J’ai pardonné parce que la haine et le désir de vengeance rongent comme de la rouille. Pendant une semaine, avant que son corps ne soit retrouvé à la morgue de l’hôpital de l’Université américaine, tous les soirs je regardais par la fenêtre de notre appartement en me demandant : Pourquoi les gens dorment, pourquoi ne veillent-ils pas avec moi, pourquoi ne cherchent-ils pas Pierrot avec moi ? Et puis, il a été retrouvé... J’ai beaucoup prié. Je savais que chaque détail de cette situation dramatique pouvait marquer mes enfants à vie, donc il fallait que je me ressaisisse. »
En revenant sur ces instants douloureux, elle se souvient également du soutien de l’ancien Amid du Bloc national, Raymond Eddé, de la mobilisation de sa famille pour le retrouver. « À la mort de Pierrot, j’ai déménagé à Badaro. Je ne pouvais plus rester dans notre appartement. J’ai passé six mois sans travailler et puis j’ai été prise à la Voix du Liban », dit-elle. Elle y animera plusieurs émissions, recevra les vedettes de l’époque de passage au Liban, Julio Iglesias, Alain Delon, Michel Sardou, et se chargera de la traduction et de la présentation des nouvelles en langue française. Le petit écran manquant à sa vie et elle à ses téléspectateurs, elle rejoint Télé-Liban, au Canal 5 à Hazmiyé, à la demande du PDG de l’époque, Charles Rizk. Le temps passe. Raymonde, soutenue par sa famille, élève seule ses enfants, pourvoit à leurs besoins, les accompagne jusqu’à ce qu’ils obtiennent leurs diplômes universitaires et deviennent indépendants.
Pour le faire, elle s’exilera 10 ans, après 1990, entre le Japon et la Suisse, travaillant pour le compte d’un joaillier. « J’ai quitté la télévision cette année-là qui a marqué le départ du général Michel Aoun de Baabda parce que je ne voulais pas dire des choses dont je n’étais pas convaincue », dit-elle. Aujourd’hui, elle soutient le soulèvement du 17 octobre dernier. « Il était temps que le peuple se réveille. Je suis pour cette révolution, mais c’est dommage que certains manifestants ternissent son image. Elle rassemble pourtant des personnes magnifiques, et il faut la sauver », déclare-t-elle, confiant qu’elle aurait aimé la couvrir, que la vérité soit connue au grand jour et que l’information ne soit pas détournée, comme c’est le cas parfois avec quelques journalistes.
« Malgré tout ce qui s’est passé, j’ai toujours gardé l’espoir. Je me dis que le Liban a ses saints et que les miracles sont possibles. » Elle a aussi beaucoup d’espoir dans ce nouveau gouvernement et son Premier ministre, Hassane Diab, qu’elle compare à Élias Sarkis.
Georgina Rizk
Son chapelet posé sur une table, les murs de sa salle à manger chargés des dessins de ses petits-enfants, Raymonde, qui habite Mansouriyé, sort d’anciennes photos, confiant, en les montrant, qu’elle aime ses rides car « chacune d’elles raconte un pan de (sa) vie ». Elle ajoute aussi ne pas comprendre les animatrices télé actuelles qui s’appliquent, à travers les injections et la chirurgie plastique, à détruire l’expression de leurs visages. Elle égrène des souvenirs, les interviews avec Alain Delon et Mireille Darc, Hervé Vilard et d’autres stars françaises, celles de programmes qu’elle présentait, parmi lesquels Femme d’aujourd’hui, qui, affirme-t-elle, « rapportait plus à la télévision que les sagas à succès des années 80, les Dallas et autres Dynasty » ; ceux de la guerre où il fallait se rendre au travail sous les bombes pour assurer les tranches horaires malgré l’intensité des combats, car « il était nécessaire de garder un semblant de normalité dans un Liban déchiré par la guerre ».
Mais l’un de ses plus beaux souvenirs à Télé-Liban reste à ses yeux l’élection de Georgina Rizk au titre de Miss Univers, en juillet 1971. « J’étais à Canal 9, dans un bureau non loin des serveurs énormes de l’AFP et de Reuters. J’ai jeté un coup d’œil aux dépêches et j’ai vu qu’elle figurait parmi les dix finalistes. J’ai pris l’antenne, annoncé l’info en disant : “Attendez-moi car dans quelques instants, je vais vous annoncer qu’elle a gagné” ; et c’est ce qui est arrivé. Le soir même, l’entrée de Télé-Liban foisonnait de cadeaux… »
Raymonde Angelopoulo, qui, après son retour de Suisse, a donné durant des années des cours de savoir-vivre dans les écoles, est membre actif de la Société Saint-Vincent-de-Paul. Elle continue à rédiger des poèmes sur son pays, sur l’amitié, le don de soi. Elle cuisine pour ses petits-enfants et ses petits-neveux, et réfléchit à l’écriture d’un livre qui rassemblerait ses nombreux souvenirs de Beyrouth.
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commentaires (8)
UNE si grande dame qui a su affronter la vie avec toujours ce sourire elle est nee avec cette elegance et cette simplicite et qu elle a su faire evoluer qui a connu raymonde ne pourra jammais l oublier car elle a aussi beaucoup de qualites cachees nouhad mounayar
Nouhad Mounayar
23 h 58, le 26 janvier 2020