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Lifestyle - Télé-nostalgie

Souad Karout el-Achi : Télé-Liban, c’était ma maison

Durant les sombres années de guerre, elle était le seul visage féminin du journal télévisé du canal 7.

Souad Karout el-Achi, un visage, une voix et une présence. Photos archives « OLJ »

« Toute jeune, je rêvais déjà de faire de la télévision et de la radio. Et pourtant, tout a commencé pour moi par hasard. J’avais à peine 19 ans et je venais d’achever mes études secondaires à l’école al-Makassed. Je rendais visite à ma tante qui connaissait mon engouement pour les médias. Elle recevait ce jour-là Hussein Sabra, qui était alors le directeur de Radio-Liban. Il m’a proposé de passer un test », raconte Souad Karout el-Achi.

Le lendemain, elle se rend à Radio-Liban, lit un texte, mène une interview et réussit le test. L’un des directeurs, Kazem el-Hajj, lui explique qu’il ne peut pas l’embaucher aussi simplement car lui fallait l’intervention d’une de ces trois personnalités politiques : le président de la Chambre, le Premier ministre ou le chef de l’État.

Souad Karout, originaire de Mousseitbé, avait pour voisin Saëb Salam, le président du Conseil de l’époque. « Ma tante paternelle a sollicité un entretien et m’a accompagnée chez lui. Il venait de terminer son déjeuner et, je m’en souviens, épluchait une orange. Il a pris le téléphone et appelé le ministre de l’Information en lui disant : « Ma nièce vient de réussir un test à la radio »… Et voilà, j’ai été embauchée sur-le-champ. Je me suis rendue à la radio dès le lendemain », poursuit-elle.

Au début des années soixante-dix, Radio-Liban tout comme l’Agence nationale d’information (ANI) étaient situées à Hamra, là où elles sont encore actuellement. La jeune femme va ainsi travailler à l’ANI et la radio, au service information.

Elle n’a rien oublié de son premier jour d’antenne et de son premier bulletin d’information. « C’était un dimanche à 16 heures. Wahid Jalal (animateur et acteur) était à l’antenne. J’avais tellement peur que j’entendais mon cœur battre en descendant les escaliers de l’ANI vers le studio de la radio. Plus je m’en approchais, plus mon cœur battait fort. Et puis, arrivée à la porte, j’ai entendu Wahid Jalal me présenter en disant “Notre nouvelle collègue Souad Karout.” J’étais terrorisée. Je suis quelqu’un de très courageux d’habitude, mais là, je devais assumer une grosse responsabilité. J’ai lu les nouvelles comme une pro et quand je suis sortie, toute l’équipe présente m’a applaudie. »

Son expérience télévisée a commencé quelques mois plus tard. « J’étais dans le bureau de Radouan Mawlaoui, qui était à l’époque le directeur de l’ANI. On évaluait les informations du jour quand il m’a dévisagée en me disant: “Souad, tu as un beau visage. La télévision te tenterait ?” La télévision… c’était un rêve inaccessible. Je me disais que si pour la radio j’ai dû solliciter un piston du Premier ministre, que me faudrait-il faire pour entrer à la télé ? Je n’osais même pas y penser », confie-t-elle.

De Studio el-fan au journal de 20 heures 30

Radouan Mawlaoui appelle à l’instant même le directeur des programmes à canal 5, Paul Tannous, lui disant : « J’ai devant moi une fille compétente, bûcheuse et belle. » Un rendez-vous est pris pour le lendemain. Le programme, déjà prêt, s’intitulait « L’histoire du cinéma égyptien ». Quelques mois plus tard, Souad Karout présente, aux côtés de Sonia Beyrouthi et Wassim Tabbara, le premier « Studio el-fan », émission phare conçue par Simon Asmar, récemment décédé. C’était en 1973. Une sorte de consécration…

« Je n’avais aucune spécialisation universitaire. Je venais de sortir de l’école, je n’avais pas d’expérience, mais j’aimais ce métier. J’ai appris toute seule, je faisais de la recherche, je préparais mon sujet, je posais des questions, surtout sur le plan linguistique, pour ne pas commettre d’erreurs à l’antenne. Je faisais de la radio et de la télévision, ce n’est pas une chose légère. J’ai respecté cette profession et je n’ai jamais cessé de faire des efforts », souligne-t-elle, un brin de fierté dans la voix.

Son sujet de prédilection ? L’histoire. C’est dans ce domaine qu’elle a présenté plusieurs documentaires, à Télé-Liban d’abord puis, après 2001, à la NBN et enfin, à al-Mayadine avec un programme revenant sur les années Hafez el-Assad au Moyen-Orient. « Après Télé-Liban, j’ai travaillé dans de nombreuses télévisions arabes. Mais je n’ai jamais connu une chaîne qui possède autant de moyens financiers et qui permet un travail aussi professionnelqu’al-Mayadine ».

Une femme dans un univers d’hommes

Durant les sombres années de la guerre, Souad Karout el-Achi était le seul visage féminin du journal télévisé de canal 7, à Tallet el-Khayat, après la division de la ville et de la télévision libanaise. « C’est avec la guerre que je me suis mise à présenter le bulletin de 20 heures 30. Quand la télévision a été divisée géographiquement, je me suis retrouvée avec Arafat Hijazi, Wassef Awada, Fouad el-Kharsa et Issam Abdallah à Tallet el-Khayat », se souvient-elle.

« Tout était difficile durant cette période. Nous n’avions ni agences d’information, ni téléphones, ni correspondants… L’équipe était divisée et il n’y avait plus d’argent. Nous percevions nos salaires, mais il n’y avait plus de fonds pour la production », ajoute-t-elle. La chaîne de Hazmiyé, dans le secteur chrétien, représentait le Liban officiel ou du moins la voix de la présidence de la République. « Les choses allaient si mal qu’il n’y avait plus que Arafat Hijazi et moi pour présenter le 20h30. Nous manquions de tout au point de rédiger les nouvelles sur le verso des pages de l’ANI. C’est à cette époque que nous nous sommes rendus auprès du président de la Chambre, Hussein Husseini (1984 à 1992), sollicitant son aide. Il a débloqué des fonds du Parlement pour nous soutenir et nous permettre de continuer.

Elle poursuit : « Les studios de Tallet el-Khayat étaient situés au premier étage. Nous entendions tout ce qui se passait dans la rue, chaque obus qui tombait. Une fois, j’ai même entendu l’éclat d’une bombe puis des cris, mais j’ai continué à présenter les nouvelles. En sortant du studio, j’ai vu les escaliers ensanglantés. Une autre fois, j’étais enceinte et je préparais les nouvelles dans mon bureau sous une pluie d’obus. Les bombardements avaient touché les conduites d’eau et tout a été inondé. Ce jour-là pour le JT, nous devions recevoir des invités… Bref. Nous sommes restés tous bloqués durant huit heures dans les abris avant de pouvoir rentrer chez nous », ajoute-t-elle.

Engagement et émotion

Mère de trois enfants, deux garçons et une fille, Souad Karout el-Achi évoque son engagement. « Je ne pouvais pas rester à la maison. Aller au studio était la seule façon de protéger la télévision des voyous. Je n’avais pas le choix », assure-t-elle fermement.

Fière, elle rappelle avoir été la seule femme journaliste libanaise à avoir couvert les accords de Taëf, en 1989. « À l’hôtel, les membres de la délégation savaient que j’arrivais au bruit de mes hauts talons ». Elle avoue avoir pleuré à trois reprises à l’antenne. En 1993, en annonçant la mort de Maroun Bagdadi (cinéaste, mort suite à une mauvaise chute dans la cage d’escalier de son immeuble). Avant de partir s’installer en France, il avait été notre collègue. J’ai éclaté en sanglots en achevant la dernière phrase de mon texte », dit-elle. Un an plus tard, c’est elle, également, qui annonce la disparition d’un autre collègue cher à son cœur, Riad Charara, vedette de la télévision, terrassé par une crise cardiaque. Là aussi, elle ne peut cacher sa peine. La dernière fois que l’émotion l’a envahie, c’était en 1996, lors du massacre de Cana.

« Les images du bombardement me parvenaient en direct et je devais les commenter. C’était atroce. » Le 1e mars 2001, date à laquelle Télé-Liban a arrêté provisoirement d’émettre ses programmes, le ministre de l’Information de l’époque, Ghazi Aridi, ayant licencié la plupart des employés, Souad Karout el-Achi, star des news du canal 7, refuse de passer à l’antenne. Elle avait fait ses adieux quelques jours plus tôt. « J’étais incapable de venir à la télé, de lire les nouvelles, car je savais que ce moment allait être particulièrement éprouvant », confie-t-elle.

Mettant l’accent sur les critiques positives de la presse à son égard, depuis ses débuts et jusqu’à son dernier programme, elle avoue que cela lui fait plaisir d’être jusqu’à présent reconnue dans la rue. Elle souligne : « J’ai travaillé dans plusieurs télévisions, mais la plupart des personnes que je croise se souviennent de moi là où j’ai commencé, à Télé-Liban. En fait, Télé-Liban, c’était ma maison. »



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Beaucoup de spontanéité dans les propos de cette journaliste qui a montré durant sa carrière un vrai sens du service public, même aux pires heures de la guerre si j'en juge par ce que je lis là. J'avoue qu'en lisant l'article sur MME Abouzeid la semaine dernière, j'avais été choquée qu'elle soit partie monter sa boîte aux Etats-Unis tout en continuant à être payée par Télé-liban. Et elle semblait s'étonner, dans l'article, que Télé-Liban l'ait finalement licenciée bien des années plus tard sans indemnités : quel scandale, après toutes ces années de bons et loyaux services.

Marionet

23 h 14, le 28 septembre 2019

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Commentaires (1)

  • Beaucoup de spontanéité dans les propos de cette journaliste qui a montré durant sa carrière un vrai sens du service public, même aux pires heures de la guerre si j'en juge par ce que je lis là. J'avoue qu'en lisant l'article sur MME Abouzeid la semaine dernière, j'avais été choquée qu'elle soit partie monter sa boîte aux Etats-Unis tout en continuant à être payée par Télé-liban. Et elle semblait s'étonner, dans l'article, que Télé-Liban l'ait finalement licenciée bien des années plus tard sans indemnités : quel scandale, après toutes ces années de bons et loyaux services.

    Marionet

    23 h 14, le 28 septembre 2019

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