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Politique - Contestation

Les émeutes se renouvellent dans le centre-ville au lendemain d’un samedi d’une violence inouïe

Les batailles rangées entre les forces de l’ordre et les manifestants ont repris hier soir, au lendemain de la journée la plus violente depuis le début de la contestation, au cours de laquelle près de 400 personnes ont été blessées.

Des protestataires à l’assaut d’une barricade pendant les violences de samedi dans le centre-ville. Anwar Amro/AFP

Le centre-ville s’est à nouveau embrasé hier soir, au lendemain d’une journée considérée comme la plus violente depuis le début du mouvement de contestation le 17 octobre. Les manifestants s’étaient rassemblés dans l’après-midi malgré la pluie battante, certains, pacifiques, leur drapeau à la main, d’autres, désormais ouvertement adeptes de la confrontation avec les forces de sécurité, le visage dissimulé sous le keffieh. Mais comme samedi, la manifestation hier soir a dégénéré, après que des protestataires ont jeté des pierres, des bouteilles et d’autres projectiles sur les forces de l’ordre. Ces dernières ont riposté par de puissants jets d’eau, avant de faire usage de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, selon Nada Maucourant Atallah, journaliste du Commerce du Levant sur place. « Cette révolution n’est pas pacifique », répétaient les manifestants. Les affrontements étaient cependant moins intenses que la veille. Trente nouvelles personnes ont été hospitalisées hier et 40 autres traitées sur place selon la Croix-Rouge, au lendemain d’un samedi d’une violence inouïe qui a fait près de 400 blessés (voir par ailleurs).

« Après trois mois de protestations pacifiques, de casseroles, de bougies ou de fleurs, les gens n’en peuvent plus. Je ne cautionne pas la violence mais je la comprends, dit un activiste, Camille Mourani. Il y a une oligarchie qui insiste à former un gouvernement semblable au précédent, nous réclamons que Hassane Diab se récuse immédiatement. »

« Il n’y a plus de retour en arrière. Il faut maintenir la pression sur le pouvoir, et eux de leur côté veulent intensifier la répression pour faire peur aux gens et imposer le gouvernement Diab », affirme Talal Zeidane, un militant de 28 ans.

Debout un peu plus loin, sous la pluie battante, Céline, une avocate de 35 ans, s’insurge : « Il ne faut plus rester chez soi. Prendre la rue est le devoir de chaque citoyen. »

Portant un drapeau libanais, Ahmad Jabre, 34 ans, est venu de Hasbaya avec quelques amis. Avec le mauvais temps, le trajet leur a pris deux heures. « Je travaille dans le domaine de l’hôtellerie et je suis au chômage depuis un an et demi. J’ai honte à mon âge de prendre de l’argent de poche de mes parents. Mais je n’ai pas le choix. Je suis désespéré. C’est cette révolution qui nous donne encore une lueur d’espoir », dit-il avec un sourire, peu avant la reprise des violences.


(Lire aussi : De quelle violence parle-t-on ?, l’édito de Émilie SUEUR)


« Nous crevons de faim »

Les affrontements de samedi avaient commencé avant même l’arrivée dans le centre-ville de trois manifestations pacifiques qui s’étaient ébranlées simultanément de Dora, Barbir et la place Sassine. Des manifestants ont commencé à jeter des bouteilles d’eau, des pierres, mais également des plantes qu’ils ont arrachées et tout ce qui leur tombait sous la main sur les forces de l’ordre, et des affrontements les ont opposés à la police du Parlement, selon certains protestataires.

« Il était presque 17 heures quand tout a commencé. C’était le moment de la prière et je venais d’entrer dans la mosquée Mohammad el-Amine quand j’ai entendu la fronde dans la rue. J’ai couru vers ma tente pour mettre mes affaires à l’abri, mais j’ai reçu un coup de batte au bras. J’ai succombé ensuite au gaz des bombes lacrymogènes. J’ai appris plus tard que ma grand-mère, qui était venue avec ma mère pour me rapporter à manger, s’est également évanouie », raconte, encore en état de choc, Ali Halabi, originaire de la banlieue sud de Beyrouth et qui dort sous une tente à la place des Martyrs depuis le début du soulèvement d’octobre. Après avoir pansé ses blessures, il est revenu sous sa tente pour dormir sur place.

Assis sur une chaise à côté de lui sous la tente, Mahmoud Dimachkié fait défiler des photos sur son téléphone. « Mon neveu a reçu une balle en caoutchouc au bras, dit-il. Heureusement que mes deux fils âgés de 21 et 17 ans, qui campent sous une tente voisine, sont sains et saufs. »

« L’aîné est chef pâtissier, il travaillait avec Ali, mais ils ont tous deux perdus leur emploi. Le benjamin est coiffeur, lui aussi est au chômage. Dans ma famille je suis le seul à travailler. Je suis chauffeur de taxi », confie cet homme d’une quarantaine d’années, qui a pris part aux manifestations de samedi. Retenant ses larmes, il s’écrie : « Je suis beyrouthin, de Tarik Jdidé. Pour vous c’est le fief des sunnites de Hariri, mais je vous le déclare haut et fort : “Tous veut dire tous et Hariri est l’un d’eux” (reprenant un slogan du soulèvement d’octobre). Il n’y a plus de sunnites, de chiites ou de chrétiens, nous sommes tous libanais et nous crevons de faim. »


(Lire aussi : Mouvement de contestation : la violence n’est plus un tabou)


Attiser la violence

Wafa, 43 ans, brune et mince, note de son côté : « C’est toujours la même histoire, la police du Parlement envoie des hommes en civil parmi nous pour provoquer les violences, la brigade antiémeute intervient et la police du Parlement attise la violence. Hier (samedi), c’est elle qui a brûlé les tentes. Que personne n’accuse les habitants (chiites) de Khandak al-Ghamik, de Hay el-Leja ou de la banlieue sud. Samedi soir, ils n’étaient pas là », s’insurge-t-elle, montrant à l’appui des images sur son téléphone portable où l’on distingue la police du Parlement se battant contre les manifestants sur fond de bombes lacrymogènes.

Cette enseignante au chômage a passé la nuit de samedi à dimanche à faire le lien entre les blessés, les secouristes et les avocats avant de dormir sous une tente de la place des Martyrs. Elle demande à un jeune assis à même le sol sous la tente s’il a toujours mal à la poitrine. « Il a reçu trois coups de batte dans les côtes samedi. Il n’a rien de cassé et il récupère ses forces ici depuis hier », explique-t-elle.

Selon des témoins, de nombreux policiers appréhendaient samedi soir la violence contre les manifestants. « L’un disait à son camarade : “J’ai peur de tirer, car je pourrais atteindre sans le savoir mon frère ou mon neveu qui sont parmi les manifestants” », raconte un homme présent sur place, alors qu’un autre affirme : « J’ai entendu un policier supplier son supérieur : “Ne peut-on pas revenir sur la décision ? Je suis père de trois enfants et je ne veux pas mourir”. »


(Lire aussi : Et maintenant les balles en caoutchouc...)


Le siège des Kataëb transformé en hôpital de campagne

La mosquée Mohammad el-Amine et le siège du parti Kataëb se sont transformés en hôpitaux de campagne, les personnes à l’intérieur assurant les premiers soins aux blessés et aux manifestants affectés par les bombes lacrymogènes.

Patrick Richa, responsable de la communication au parti Kataëb, souligne : « Les médecins du parti étaient préparés. Nous avons dressé une tente dans le parking pour assurer les premiers soins aux manifestants affectés par les bombes lacrymogènes. Nous en avons traité une cinquantaine. Alors que nous avions déjà des blessés, la police a ciblé la tente et le parking avec les bombes lacrymogènes, certains blessés se sont évanouis à nouveau. » Il ajoute que « de nombreux manifestants ne voulaient pas se rendre à l’hôpital par peur de la police ».

Une manifestante qui a tenu à préserver l’anonymat rapporte : « La Croix-Rouge et les pompiers nous ont beaucoup aidés, ils disaient à ceux qui avaient peur d’aller à l’hôpital de faire semblant d’être inconscients pour qu’ils ne soient pas enregistrés à leur entrée et que les militaires ne puissent pas les arrêter ou les interroger. »

Selon un décompte effectué par un groupe d’avocats, 38 personnes ont été arrêtées samedi, mais le procureur général Ghassan Oueidate a ordonné leur libération.

Dimanche matin, de la place des Martyrs à la rue Weygand, le sol était jonché de milliers de cailloux et de douilles vides de bombes lacrymogènes. À la place des Martyrs, les vitrines de l’immeuble de l’UFA, où se trouve un distributeur de billets de la Fransabank, ont été vandalisées.

Les tentes de la place des Martyrs et du parking des lazaristes sont restées presque intactes. Mais ce sont les tentes de la place Riad el-Solh, une dizaine en tout, qui ont été entièrement brûlées. À côté d’une tente incendiée, une dizaine d’hommes se réchauffent autour d’un feu. Avant les violences de samedi, ils campaient ensemble sous les mêmes tentes. Ils sont sunnites et chiites et viennent de Beyrouth et sa banlieue sud, de Tripoli, de Tyr et de Nabatiyé.

L’un d’eux parle pour tous : « Le Liban a toujours été un pays mixte, et les Libanais ont toujours vécu dans la convivialité. Le confessionnalisme ?

Ce sont les dirigeants qui l’ont exacerbé pour mieux nous contrôler, pour nous voler. S’ils ont brûlé nos tentes, c’est parce qu’ils ont désormais peur de nous. Nous n’avons plus rien à perdre, nous resterons dans la rue et peut-être que nous pourrons changer les choses. »


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commentaires (2)

Je viens d’envoyer une requête de ne pas laisser parler G.Bassil à Davos dans «Return of Arab Unrest» sur le site Internet du World Economic Forum. SVP faites de meme

Jack Gardner

11 h 32, le 20 janvier 2020

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Commentaires (2)

  • Je viens d’envoyer une requête de ne pas laisser parler G.Bassil à Davos dans «Return of Arab Unrest» sur le site Internet du World Economic Forum. SVP faites de meme

    Jack Gardner

    11 h 32, le 20 janvier 2020

  • SI ON FORME L,EQUIPE DIAB SUIVANT LES MARCHANDAGES EN COURS ET SANS SUIVRE LES REVENDICATIONS DU PEUPLE IL FAUT S,ATTENDRE A UNE VRAIE REVOLUTION. ET PRENANT EN COMPTE LA COMPOSITION DU PEUPLE LIBANAIS ET LA PRESENCE DES MILICES PROBABLEMENT A UNE GUERRE CIVILE QUE TOUT LE MONDE VEUT EVITER. LES RESPONSABLES SONT LES ABRUTIS QUI NOUS GOUVERNENT, TOUS SANS EXCEPTION, CEUX DE LA TETE AUX PIEDS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 05, le 20 janvier 2020

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