Alors que la formation du gouvernement bute sur des obstacles qui montrent que la classe dirigeante n’a rien compris des messages que lui envoient les protestataires dans la rue, qu’elle continue de mener une politique de partage du gâteau, et alors que les mouvements de protestation se poursuivent contre la nomination de Hassane Diab au poste de Premier ministre, quelle chance pour la formation d’un nouveau gouvernement de spécialistes ? Qu’est-ce qui se profile derrière tous ces obstacles déclarés ? Le point avec l’ancien ministre et député Michel Pharaon.
Le non-respect du pacte entre les communautés et la volonté des forces politiques en présence de se faire représenter dans le gouvernement sont autant d’obstacles aux efforts du Premier ministre désigné Hassane Diab pour la formation d’un gouvernement composé de spécialistes. Pourquoi de telles considérations continuent-elles de primer alors que le pays est en crise ?
Nous sommes toujours dans un système où l’on manipule des considérations telles que celle du respect du pacte national ou de la Constitution. En fait, il existe des intérêts très importants en jeu. Ainsi, certains voient d’un mauvais œil l’arrivée de technocrates réellement indépendants à des ministères qu’ils considèrent comme sensibles, parce qu’ils craignent que leurs intérêts ne soient menacés. Jusque-là, ce système est bloqué, verrouillé, conçu pour protéger ces intérêts privés. Et beaucoup de responsables sont prêts à aller très loin pour garder ce cercle fermé. Face à cela, des technocrates indépendants, venus de l’extérieur de ce système, n’auront d’autre choix que de dénoncer d’éventuels abus à leurs risques et périls, de démissionner ou de s’accommoder.
Pour ce qui est du respect du pacte national, il s’agit d’après moi d’un faux problème. Le respect du pacte est une nécessité car le prix à payer dans le cas contraire est bien trop élevé. Le problème ne réside pas dans le respect du pacte, mais dans le système politique biaisé qui se sert de ce prétexte pour couvrir la répartition des intérêts entre les uns et les autres.
Afin de passer de ce cercle vicieux à un cercle vertueux où de réelles solutions seront proposées, il s’agit d’imposer la transparence dans tous les ministères, et de privilégier la reddition des comptes et la responsabilisation des dirigeants.
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Pensez-vous que la mission du Premier ministre désigné a des chances d’aboutir ?
Il existe des tensions dans la communauté sunnite en raison de cette nomination, c’est un fait. Tout dépendra de la volonté de M. Diab et de sa capacité à faire la différence. Est-ce qu’il pourra placer à des postes sensibles des technocrates indépendants qui n’ont d’autre allégeance qu’envers l’État ? Il est vrai qu’on ne peut tout changer d’un coup, mais il y a un passage obligé. La situation actuelle du pays résulte de l’échec du système de gestion de l’État, et la révolte est le seul garant de la transparence à ce niveau, étant donné le degré de blocage au sein de ce système, qui ne cherche qu’à se protéger.
Selon moi, l’édifice s’effondre et cette classe politique se sent dépassée. Ce qui se passe est violent et profond, les problèmes soulevés seront de plus en plus nombreux. Il est donc illusoire de vouloir s’accrocher de cette manière au pouvoir.
En clair, Hassane Diab pourrait accomplir sa mission s’il persévère et présente au président de la République la formule qu’il a choisie, sous peine de se récuser en cas d’échec.
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Y aurait-il une manœuvre quelconque dans la formation du gouvernement, en vue d’un retour de Saad Hariri ?
Tout d’abord, je dois dire qu’il est légitime que Saad Hariri préside un gouvernement. Il faut rappeler qu’il avait proposé de former un cabinet de spécialistes, et que cette option a dû en inquiéter certains. Mais actuellement, je crois que le problème est ailleurs. Le Premier ministre désigné doit présenter sa formation et ne pas entrer dans le jeu politique des atermoiements.
En fait la formule est simple : le pays est dans une situation telle qu’il n’y a pas d’alternative aux grands changements, et tout le monde le sait, même si certains sont dans le déni. Ils pensent retarder l’échéance. Déjà au moment de la conférence de Paris, les pays donateurs exigeaient des réformes a minima, afin de garantir que des abus ne seront pas commis. Si l’on ne veut pas attendre les changements de l’étranger, il faut commencer les changements de l’intérieur.
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15 h 30, le 31 décembre 2019