Alors qu’il tâtonne toujours pour former avant le 31 décembre 2019 le troisième gouvernement du mandat Aoun, le Premier ministre désigné Hassane Diab, qui a été reçu hier par le chef de l’État, semble avoir cherché à tâter le pouls de la contestation populaire. Alors qu’ici ou là, circulent des noms de candidats-ministres potentiels et des listes toutes faites de cabinets possibles, on apprend que certains membres de la contestation populaire auraient été contactés par des proches de la présidence ou du Sérail, histoire de savoir s’ils seraient intéressés par un poste ministériel. Qu’en est-il vraiment ? Quelle forme ont pris ces contacts, sachant que des représentants de la contestation ont refusé de prendre part aux consultations engagées par le Premier ministre désigné dimanche dernier ? Et quelle sera la réponse de la rue qui n’en finit pas de réclamer depuis le 17 octobre dernier la formation d’un gouvernement d’experts indépendants, doté de pouvoirs législatifs exceptionnels pour gérer la crise économique et financière, et pour organiser des élections législatives anticipées ?
Des proches du pouvoir seraient effectivement entrés en contact avec des membres du mouvement de protestation. Selon une source proche des contestataires qui tient à garder l’anonymat, cette prise de contact a été conduite « de manière informelle », avec pour objectif de comprendre si la rue est partante pour participer au cabinet ministériel. « En revanche, nul ne sait au nom de qui ils conduisent leur initiative et dans quel cadre. C’est tellement flou ! précise cette source. Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils appellent des militants et leur posent des questions sur une éventuelle participation au gouvernement. »
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Pour l’heure donc, impossible d’identifier les activistes contactés. La seule militante formellement identifiée est la docteure en droit international et en droits de l’homme, Halimé Kaakour. Indépendante, proche du Bloc national, de la Coalition nationale, de Beirut Madinati et d’autres indépendants comme l’avocat Wassef Haraké, la militante reconnaît « avoir été contactée par un proche du pouvoir ». « On m’a proposé un poste ministériel. On m’a invitée à rencontrer le Premier ministre désigné Hassane Diab, mais je me suis excusée » , explique-t-elle à L’Orient-Le Jour. Mme Kaakour justifie son refus par ces quelques mots : « Je fais partie de la révolution », estimant « non nécessaire que la contestation fasse partie du gouvernement ». Elle observe d’ailleurs que les choses ne sont pas claires. Et résume en ces termes sa position officielle : « Nous n’accepterons pas de faire partie d’un gouvernement qui ne soit pas entièrement formé d’experts indépendants. Nous réclamons un gouvernement doté de pouvoirs législatifs exceptionnels, capable de gérer la crise financière et de lutter contre la corruption. Nous voulons enfin que le programme de ce cabinet soit conforme aux revendications de la rue. »
Les noms d’autres contestataires circulent aussi : il s’agirait de l’universitaire et militant Jad Chaabane et de la présidente du Bloc national, Salam Yammout. Mais ces militants de la révolte populaire assurent à L’Orient-Le Jour n’avoir été aucunement sollicités par le pouvoir. Pour leur part, le cofondateur du parti Sabaa, Jad Dagher, et le parti Citoyens, citoyennes dans un État (fondé par l’ancien ministre Charbel Nahas) n’ont pas non plus été invités à participer au gouvernement.
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Ils risqueraient d’être brûlés
Il faut dire que la contestation populaire ne voit pas d’un très bon œil l’initiative du pouvoir vis-à-vis des militants. Parce qu’elle est persuadée d’avoir affaire à un cabinet avec la même orientation politique. Mais aussi parce que le Premier ministre ne jouit pas du capital de sympathie qui lui permettrait de gagner la confiance populaire. Sa participation au prochain gouvernement n’est donc pas une option, même si les discussions vont bon train au sein de la rue, comme le constatent certains. Et comme le fait remarquer un activiste qui requiert l’anonymat, « il n’y a même pas de place pour une émotion positive le concernant ». C’est dans ce sens que le cofondateur de Beirut Madinati, Gilbert Doumit, se dit « contre la participation » au prochain gouvernement d’acteurs du mouvement de révolte. « Le contexte politique dans lequel se déroule cette nomination ne va pas dans le sens des attentes populaires, aussi bien au niveau de l’indépendance du cabinet que de son programme, explique-t-il. Sans compter que les ministres devront assumer de lourdes responsabilités, vu les importants défis à relever. Ils risqueraient de se voir grillés. » Même niet de la part de l’activiste Wassef Haraké, qui réfute catégoriquement toute coopération avec l’équipe au pouvoir. « Personne ne m’a contacté. Ils connaissent d’ailleurs ma position sur ce plan. Et s’ils l’avaient fait, je leur aurais raccroché au nez », martèle l’avocat, qui ne manque pas de laisser éclater sa colère contre une classe politique bien trop occupée à se partager le pouvoir plutôt que de se préoccuper des misères du peuple. « Ils devraient avoir honte ! » lance-t-il.
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commentaires (7)
Félicitations aux contestaires'...
Eleni Caridopoulou
18 h 13, le 29 décembre 2019