Maintenant qu’il a décidé de ne plus revenir au pouvoir, le Premier ministre sortant Saad Hariri est sorti de sa réserve et s’est déchaîné contre le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, l’accusant de vouloir « gouverner le pays » et de former le cabinet de Hassane Diab après avoir nommé ce dernier.
M. Hariri a tenu ces propos lors d’une conversation à bâtons rompus mardi avec un groupe restreint de journalistes, dont L’Orient-Le Jour, un exercice auquel il ne s’était plus livré depuis longtemps. Et le chef du courant du Futur a tracé les grandes lignes de sa politique à venir, remettant en cause le compromis présidentiel, critiquant les Forces libanaises et soulignant sa volonté de ménager le tandem chiite « pour éviter toute sédition entre sunnites et chiites ».
Compte-t-il pour autant passer dans l’opposition ? M. Hariri a indiqué qu’il annoncera sa décision après les fêtes de fin d’année, au cours desquelles il va passer quelques jours à Paris pour voir sa famille.
Concernant son successeur, le Premier ministre sortant a annoncé qu’il avait pris sa décision : « Nous ne participerons pas au gouvernement Diab », même sous la forme d’experts qui seraient proches du courant du Futur, « et nous ne voterons pas la confiance », a-t-il dit. « Quelle différence que son cabinet obtienne 70 ou 90 voix ? ». Il a indiqué avoir rencontré Hassane Diab il y a deux ou trois semaines, dans le cadre des concertations sur le choix des ministres qui pourraient faire partie d’un cabinet d’experts, mais assuré n’avoir pas été informé à l’avance de sa nomination.
Pour lui, le gouvernement de Hassane Diab « est le gouvernement de Gebran Bassil ». Et le Premier ministre sortant n’a pas mâché ses mots à l’égard du chef du CPL, qui a choisi selon lui le nouveau Premier ministre. « Gebran Bassil veut gouverner le pays », a-t-il dit, critiquant sans les nommer « ceux qui adoptent un langage confessionnel, sectaire et raciste ». « Comment est-il possible de travailler avec quelqu’un qui vous insulte tout le temps ? » s’est-il demandé, assurant qu’il était hors de question qu’il revienne au pouvoir pour le moment, même en cas d’échec de M. Diab à former un gouvernement, sauf si M. Bassil et le chef de l’État Michel Aoun « font preuve de modération ».
Il a estimé dans ce cadre que l’équipe du chef de l’État « considère la Constitution comme une question d’opinion », et non pas un texte à respecter à la lettre.
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Le président Aoun n’a pas tardé à répondre mercredi, démentant que ce soit Gebran Bassil qui œuvre à la formation du futur cabinet, tout en soulignant que son gendre avait son mot à dire en tant que « chef du plus grand groupe parlementaire ».
S’il critique le choix de Hassane Diab, pourquoi Saad Hariri n’a-t-il pas nommé Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice, lors des consultations parlementaires jeudi dernier ? « Je suis le premier à avoir évoqué le nom de Nawaf Salam pour me succéder après ma démission », a-t-il assuré, critiquant « ceux qui surfent à présent sur cette vague comme ils surfent sur la vague de la révolution ». « Mais je n’aurais pas accepté que Nawaf Salam soit désigné sans aucune voix chiite, et connaissant Nawaf, lui-même ne l’aurait jamais accepté », a ajouté le Premier ministre sortant, soulignant qu’il faut à tout prix préserver la mosaïque confessionnelle du pays. Quant au chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, « il m’a informé à la veille des consultations qu’il allait nommer Nawaf Salam, mais je ne lui ai en aucun cas dit que j’allais faire de même », a-t-il ajouté. Interrogé au sujet des Forces libanaises, il estime que leur décision de ne pas le désigner lors des consultations a fait pencher la balance et l’a convaincu de se retirer de la course.
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Nouvelles alliances ?
Le Premier ministre sortant, qui a travaillé pourtant main dans la main avec le chef du CPL depuis l’élection de Michel Aoun en 2016, n’a pas caché son amertume en faisant le bilan du compromis présidentiel, remettant ainsi sérieusement en question cet accord qui repose sur une double équation : Aoun à la présidence de la République et Hariri à la présidence du Conseil.
Il a tenu à rappeler qu’il avait œuvré, avant l’accession de Michel Aoun à la présidence, pour favoriser l’élection de Sleiman Frangié, et ce « afin de mettre fin à la vacance de pouvoir ». « Mais d’autres ont posé la candidature de Michel Aoun », a-t-il dit, dans une référence aux Forces libanaises, et maintenant ils me font assumer la responsabilité de ce compromis dont ils faisaient partie et dont ils ont profité ».
Interrogée par L’OLJ, une source des Forces libanaises reconnaît que « nous sommes entrés dans une nouvelle étape après le 17 octobre, les cartes ont été redistribuées et les alliances ont changé ». « Le compromis présidentiel est dépassé », ajoute cette source, rappelant que cette entente reposait également sur l’accord de Meerab entre le CPL et les FL, et qui avait ouvert la voie à l’élection du général Aoun et qui « aujourd’hui n’existe plus ».
La source souligne que les FL maintiennent avec Saad Hariri des points communs sur les questions stratégiques, mais que les deux parties divergent sur certaines questions, comme la façon de diriger les affaires de l’État.
Soulignant que la position du Parti socialiste progressiste à l’égard du pouvoir a également changé, la source souligne que le président Aoun a par conséquent « perdu trois forces principales : le courant du Futur, les FL et le PSP », et se demande s’il sera aujourd’hui en mesure de former un gouvernement qui pourra faire sortir le pays de la crise.
Du côté du PSP, on accueille favorablement les propos de M. Hariri et on estime également que « le compromis présidentiel est terminé ». Une source du PSP interrogée par L’OLJ se borne à indiquer que le parti ne prendra pas part au nouveau gouvernement, mais ne veut pas encore se prononcer sur la nouvelle carte des alliances politiques. Mais le tweet récent de Sleiman Frangié pourrait être interprété en ce sens : le chef des Marada a ainsi estimé que « la cuisine du nouveau gouvernement montre jusqu’à présent que c’est un cabinet en apparence indépendant, mais effectivement lié à Bassil », se positionnant comme M. Hariri.
Éteindre les incendies
Le Premier ministre sortant est revenu sur sa position depuis l’éclatement du soulèvement populaire le 17 octobre. « J’avais l’intention de démissionner dès mon premier discours, le 18 octobre, mais j’ai voulu d’abord constituer un filet de sécurité pour le pays », a-t-il expliqué. Et il assure avoir informé tout le monde de sa décision de démissionner, en réponse au palais de Baabda et au Hezbollah qui ont affirmé avoir été pris de court par sa décision, annoncée le 29 octobre.
Il a révélé que pendant les jours précédant sa démission, le palais présidentiel a tenté quotidiennement de convoquer le Conseil supérieur de défense pour prendre la décision de réprimer par la force le soulèvement populaire, mais qu’il s’y est opposé.
Au final, Saad Hariri a affirmé qu’il a tout fait « pour éteindre les incendies allumés par d’autres », et pour « empêcher une sédition entre chiites et sunnites ». Il a assuré au passage que le tandem chiite – Amal et le Hezbollah – voulait également éviter à tout prix un conflit entre sunnites et chiites, et rend un hommage spécial au chef du législatif Nabih Berry pour sa volonté de préserver la paix civile.
En un mot, a dit Saad Hariri, « j’ai payé le prix de ma politique modérée qui n’avait qu’un seul but : préserver la stabilité du pays », tout en avertissant que l’effondrement est proche et que le Liban peut tenir « tout au plus trois mois » économiquement.
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Boss vous êtes dur avec Hariri. Il ne peut pas faire du business efficacement et être premier ministre à plein temps, sauf s'il tape dans la caisse... Puis, il n'aurait pas hérité des sociétés les plus rentables de l'empire de son père. Mais des sociétés liées au financements politiques et donc très dépendantes des "subventions" Saoudiennes par des projets juteux dans ce "royaume"... Le robinet Saoudiens à été fermé! En effet, il n'a pas de bonnes relations avec MBS pour des raisons diverses notamment à cause de la politique d'Hariri au Liban, mais probablement en rapport aussi avec des guerres d'influences dans la famille royale saoudienne. Hariri ne bénéficie pas de bonnes conjonctures. Il fait ce qu'il peut tout en préservant la paix au Liban. Le Cpl semble jouer avec le feu en cherchant à briser Hariri. Le risque est de mettre les sunnites libanais dans les bras des salafistes...
13 h 21, le 28 décembre 2019