Le chemin conduisant à la formation d’un gouvernement semble plus que jamais semé d’embûches. Depuis sa nomination, Hassane Diab bute sur des obstacles qui semblent se multiplier au fur et à mesure qu’il tente d’avancer. Dépourvu d’une couverture sunnite qu’il peine toujours à obtenir à ce jour, le Premier ministre désigné doit non seulement faire face à un front d’opposition qui se précise au sein de sa propre communauté, mais également aux conditions que lui poseraient ceux-là mêmes qui ont contribué à sa nomination, notamment le Courant patriotique libre et le tandem chiite.
S’étant engagé dès le départ à former une équipe de technocrates indépendants, M. Diab a du mal à ce jour à contourner les ambitions de ses partenaires, soucieux de garantir une représentation même minimale de leurs formations politiques respectives au sein du prochain cabinet, ou du moins de s’assurer de la loyauté des profils des candidats suggérés par M. Diab envers leurs formations. Selon des informations de presse, le président du Parlement Nabih Berry et le président de la République Michel Aoun auraient exprimé lors de leurs récents entretiens avec le Premier ministre désigné certaines hésitations au sujet de noms suggérés par lui, sous prétexte qu’il s’agit de personnalités peu connues.
Une information qu’une source proche de Baabda a indirectement confirmée, en soulignant que M. Aoun « souhaitait simplement en savoir plus sur ces candidats ». Hier, le président s’est à nouveau entretenu avec le Premier ministre désigné, pour évoquer la formation du gouvernement.
Aucune déclaration n’a été faite à l’issue de cet entretien qui a duré près de deux heures. Selon la source proche de Baabda, les deux hommes ont évoqué les détails de la forme du cabinet et la distribution des portefeuilles ministériels, ainsi que les obstacles restants. Une manière de laisser entendre que la naissance du nouveau gouvernement promise par le chef de l’État avant les fêtes de fin d’année « est irréaliste », comme l’atteste cette source.
Pris en étau entre sa volonté de mettre sur pied une équipe de spécialistes indépendants et la contrainte d’une couverture politique incontournable sur laquelle insiste notamment le Hezbollah, Hassane Diab a du mal à composer avec ces deux exigences antinomiques.
Il est en outre reproché au Premier ministre désigné de déléguer indirectement ses responsabilités au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, accusé par les Marada et le courant du Futur de chercher à piloter le processus de formation du cabinet. Des accusations qui auraient notamment été provoquées par la suggestion faite par M. Bassil de confier le ministère de l’Énergie à l’ambassadeur du Liban en Afrique du Sud, Kabalan Sayed Frangié, initiative considérée par les Marada comme une provocation, cette formation refusant de se voir imposer un ministre censé la représenter sans avoir été préalablement consultée.
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Le courroux de la rue sunnite
Le chef du CPL se serait également aventuré à proposer les noms de ministres sunnites, suscitant encore plus le courroux au sein de cette communauté qui conteste aussi bien la désignation d’un Premier ministre qu’elle estime non représentatif que la manière dont est concoctée en coulisses la mouture du gouvernement. L’attitude de M. Bassil aurait suscité également l’irritation du Hezbollah, qui aurait fait savoir au Premier ministre désigné qu’il ne peut mettre sur pied un gouvernement sans l’approbation des forces politiques en présence.
« Le Hezb a envoyé un message à M. Diab pour le prévenir qu’il ne peut se contenter de coordonner avec MM. Bassil et Aoun, mais doit également se concerter avec la Rencontre consultative (les sunnites du 8 Mars) et le chef des Marada Sleiman Frangié », précise une source proche du parti chiite. Un message que le Premier ministre désigné a saisi au vol en entrant en contact hier avec M. Frangié qui l’a assuré de son soutien. M. Diab s’est également entretenu hier avec les membres de la Rencontre consultative.
L’insistance du Hezbollah à obtenir l’aval des principales composantes politiques sur le processus de la formation du gouvernement a d’ailleurs été subtilement répercutée hier, depuis Bkerké, par le responsable du Hezbollah pour la région du Mont-Liban et du Liban-Nord, Mohammad Amro, qui, à l’issue d’une visite au patriarche maronite Béchara Raï, a indiqué qu’il n’y a pas véritablement de personnalités complètement indépendantes en parlant de technocrates. « Le gouvernement ne sera pas monochrome », a-t-il toutefois assuré dans une tentative de contrer les accusations lancées notamment dans les rangs de la rue sunnite qui continue de se mobiliser, quoique plus timidement hier, pour dénoncer la désignation de Hassane Diab.
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Hier, le courant du Futur, qui refuse à ce jour d’apporter son soutien explicite aux efforts entrepris par M. Diab pour former un gouvernement, a démenti les informations distillées par le camp du 8 Mars, dont l’ancien ministre druze Wi’am Wahhab, selon lesquelles Saad Hariri aurait l’intention de faire bouger la rue après le Nouvel An. Il s’agit d’« informations fabriquées de toutes pièces », a confié une source au sein du Futur, estimant que « ce genre de campagne vise à provoquer la sédition et à pousser le pays vers le chaos ».
Des accusations d’autant plus absurdes, estime Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, qu’une « partie de la rue sunnite est très remontée contre Saad Hariri ».
Selon un analyste politique de Tripoli, le courant du Futur « ne peut assumer la responsabilité de la mobilisation de la rue, un jeu dangereux qui peut se retourner contre lui, même si parfois il laisse faire ses sympathisants ».
L’exacerbation du sentiment communautaire est toutefois à craindre de la part des cheikhs sunnites qui, lors des prêches du vendredi notamment, répercutent le mécontentement de la communauté qui se sent aujourd’hui « poignardée dans le dos », note l’analyste. « Les sunnites considèrent aujourd’hui qu’ils sont la cible d’une campagne méthodique visant à les affaiblir », dit-il. À ce jour, Dar el-Fatwa n’a toujours pas accordé d’audience au Premier ministre désigné.
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09 h 17, le 29 décembre 2019