Comment en est-on arrivé là ? C’est la question que se posent les milieux politiques en constatant le fossé qui sépare désormais le camp du chef de l’État de celui du Premier ministre démissionnaire. Depuis la conclusion du fameux « compromis présidentiel » au début de l’été 2016 et après l’annonce faite par Saad Hariri de son appui à la candidature de Michel Aoun à la présidence de la République, une relation solide s’est établie entre les deux hommes et leurs proches. Tout au long des trois dernières années, il y a certes eu des divergences, voire des conflits et des périodes de froid, mais les deux camps s’arrangeaient toujours pour les surmonter, montrant à chaque épreuve la solidité et la profondeur de leur alliance.
Tout le monde se souvient dans ce contexte de l’accolade chaleureuse entre le président de la République et le Premier ministre de retour de Riyad, via Le Caire, Paris et Larnaca, le 22 novembre 2017, dans le cadre de la cérémonie pour la fête de l’Indépendance du Liban. Ce jour-là, et en direct sur toutes les chaînes locales, les Libanais ont senti qu’il y avait plus qu’une alliance politique entre Michel Aoun et Saad Hariri, mais une sorte d’affection. Si l’épisode de la démission forcée de Riyad est sans doute le plus marquant dans l’histoire des relations entre les deux hommes, il n’en reste pas moins une étape parmi d’autres dans cette alliance que des parties internes et externes critiquaient et cherchaient à défaire, sans y parvenir alors que la tendance générale était de croire qu’elle durerait jusqu’à la fin du mandat présidentiel.
Toutefois, ce que n’ont pas réussi à obtenir les pressions étrangères et intérieures, le mouvement de protestation populaire a pu le faire, défaisant l’alliance que l’on croyait d’une stabilité à toute épreuve et laissant éclater au grand jour les multiples tiraillements qui se déroulaient en coulisses.
Le 17 octobre, lorsque le mouvement de protestation a commencé, le président irlandais se trouvait au Liban en visite officielle. Dès qu’il a été escorté à l’aéroport pour prendre l’avion qui devait le ramener dans son pays, les milieux présidentiels ont contacté le Premier ministre pour le presser de tenir un Conseil des ministres le soir même ou le lendemain, afin de tenter de régler la crise naissante, rapportent aujourd’hui des sources ministérielles proches du camp présidentiel. En vain. Selon ces sources, le Premier ministre préférait ne pas réagir, laissant entendre qu’il voulait entreprendre quelques contacts avant de prendre la moindre décision.
Certes, au début du mouvement, les milieux officiels ne pensaient pas qu’il serait de cette ampleur ni qu’il aurait un si long souffle, mais dans le camp du président on pensait qu’il fallait agir au plus vite pour adopter un plan de réformes sérieux et applicable. Le Premier ministre, lui, prenait son temps. Il a finalement fixé une réunion du Conseil des ministres quatre jours plus tard pour adopter un plan de réformes. En principe, à partir de là, les Conseils des ministres auraient dû s’accélérer pour mettre en pratique le plan adopté. Mais le Premier ministre ne réagissait pas et c’est finalement neuf jours plus tard qu’il a annoncé sa démission en direct à la télé depuis son domicile, avant d’en informer le chef de l’État. Le camp présidentiel a accusé le coup, estimant toutefois que le Premier ministre avait tenté ainsi de calmer la rue et d’obtenir son appui, pour revenir et former un gouvernement qui serait plus susceptible de gagner la confiance des citoyens, après notamment le scandale des incendies et celui de la décision de taxer les communications via les messageries instantanées (WhatsApp, Viber, etc.). Le camp présidentiel considère donc avoir fait preuve de patience en donnant le choix à Saad Hariri soit d’être renommé Premier ministre, soit de laisser la fonction à une personnalité de son choix. Les semaines ont passé et trois noms de Premiers ministres potentiels ont été grillés, alors que la rue continuait à crier sa colère et que la situation économique et financière du pays se dégradait dangereusement.
C’est donc à partir de la fin de l’épisode Samir Khatib que le président Aoun et le CPL ont décidé de ne plus miser sur le Premier ministre démissionnaire et le courant du Futur. Pour eux, on ne pouvait plus attendre et il fallait à tout prix aller de l’avant. Il a fallu convaincre de cette décision les deux formations chiites qui tenaient absolument à ce que Saad Hariri forme le prochain gouvernement pour éviter une discorde sur le terrain entre sunnites et chiites.
C’est ainsi que Hassane Diab a été choisi : d’abord parce qu’il s’agit d’une personnalité indépendante non politique, et ensuite parce qu’il est susceptible d’être accepté à la fois par Saad Hariri, les instances internationales et au moins une partie de la rue.
Mais tandis que les instances internationales n’ont pas réagi négativement, et que le mouvement contestataire préfère attendre avant de prendre une position claire, c’est le Premier ministre démissionnaire qui a le plus mal réagi. Sans le dire ouvertement, il a poussé ses sympathisants à descendre dans les rues et à les bloquer, notamment celles qui sont considérées comme sensibles car se situant entre des quartiers sunnites et d’autres chiites. Parallèlement, il ne s’est montré coopératif ni avec le Premier ministre désigné ni avec ses anciens partenaires, refusant de donner son aval ou même de désigner ou encore de suggérer des personnalités susceptibles de participer au gouvernement. Dar el-Fatwa s’est aussi aligné sur la position de Hariri, alors que le Premier ministre désigné est toujours à la recherche d’une couverture sunnite.
Selon plusieurs sources concordantes, Saad Hariri joue en fait sa dernière carte. Il s’est retrouvé lâché par tous, à l’intérieur et à l’extérieur, et il n’a plus que la possibilité d’utiliser la menace de la colère sunnite pour neutraliser Hassane Diab et revenir à la tête du gouvernement à ses propres conditions.
En face de lui, ses anciens alliés ne sont pas mieux lotis. Le chef de l’État (ainsi que son camp d’ailleurs) ne peut pas compter sur l’appui des Forces libanaises ni sur celui du PSP. Il a perdu un des deux piliers qui faisaient la solidité du fameux compromis présidentiel (le courant du Futur) et son alliance avec les deux formations chiites ne peut pas le remplacer. Si un successeur à Saad Hariri a pu être trouvé, il lui reste encore à former un gouvernement. Ce qui n’est pas facile étant donné le refus de nombreuses composantes de coopérer avec lui.
« Le compromis présidentiel » continue donc à hanter ses partenaires, même lorsqu’ils n’en veulent plus.
commentaires (14)
Tres INJUSTE d accuser Hariri et les sunnites de tous les maux quand ..les chretiens sont des ultra conservateurs reaccionaires... ...et les chiites infeodes a la republique islamiste d Iran .....les sunnites ont l argent de l arabie saoudite et les appuis internationaux....le salut du Liban passe par les sunnites.
HABIBI FRANCAIS
10 h 36, le 31 décembre 2019