À un âge où d’autres envisagent de se retirer de la vie professionnelle, Nahla Debs a décidé de remettre les compteurs à zéro pour entamer une nouvelle formation en théâtre, dans le but de stimuler son intellect et de donner « davantage de sens à sa vie ». Parmi les 19 candidats retenus, la pédodontiste de 65 ans s’est classée en sixième position lors du concours d’entrée à la faculté des beaux-arts de l’Université libanaise (UL). Le théâtre, c’est naturel chez elle. Inné. Sans doute parce qu’elle l’aime depuis son enfance. Étudiante assidue et motivée, elle n’a manqué aucun cours depuis le début de l’année et se rend à l’université de 10h jusqu’à 16h, cinq jours par semaine, nous confie-t-elle. Mère de deux enfants, un garçon, George, et une fille, Yara, tous deux établis depuis trois ans à Houston (Texas), aux États-Unis, cette passionnée de théâtre ne voulait pas d’une retraite passive. Elle aspirait à bien plus que de simples divertissements ou loisirs pour occuper son temps. Encouragée par ses amies et soutenue sans réserve par ses enfants et son conjoint, motivée par l’envie de se faire plaisir et d’apprendre de nouvelles choses, elle se lance, plus déterminée que jamais, à sortir de sa zone de confort, à endosser de nouveau le rôle d’apprenante et à aller beaucoup plus loin. « Au début, ils ont cru que je plaisantais, que ce n’était pas sérieux alors que moi j’ai pris la chose au sérieux et je suis allée présenter le concours », avoue-t-elle. « La secrétaire de la faculté m’a directement demandé si le dossier de candidature que je présentais pour le concours était pour ma fille. Quelle a été sa stupéfaction lorsqu’elle a su que c’était pour moi, et que je suis née en 1959 », raconte-t-elle d’un ton amusé. Face au jury où siégeaient, entre autres, Gabriel Yammine et Julia Kassar, ainsi que dans les salles de classe ou dans les couloirs, la retraitée, originaire d’Amioun, ville du district du Koura, au Liban-Nord, s’est habituée aux réactions, oscillant entre ahurissement et admiration, qu’elle suscitait. « C’est compréhensible. Ce n’est pas tous les jours qu’une dame dans la soixantaine s’inscrit à la fac », souligne-t-elle. « Je suis plus âgée que certains profs, de sorte que chaque fois que j’entre en salle de cours, ils se lèvent par respect pour m’accueillir », raconte-t-elle. « Certains d’entre eux me demandaient discrètement ce que je venais faire ici. J’étais en quelque sorte un oiseau rare, mais finalement, ils finissaient par m’encourager », ajoute-t-elle. « Des étudiants en architecture me disent aujourd’hui que je suis une source d’inspiration pour eux », renchérit-elle. « Lors du concours, se rappelle-t-elle, il y avait un monologue en arabe littéraire qu’on devait retenir. Mais l’un des professeurs a deviné, je ne sais pas comment, mon accent typique du Nord, alors il m’a demandé de répéter le même texte mais en libanais parlé. Ils ont tous éclaté de rire ! Et lorsque Julia Kassar m’a mise en garde contre l’effort physique et émotionnel que nécessite une performance, je lui ai dit que je pratique le ski, la natation, l’aquagym et que même les quatre pontages coronariens que j’ai subis ne m’empêchent pas de marcher et de courir pendant une heure chaque jour ! Elle m’a alors dit qu’ils sont très fiers que je sois là ! » Au terme de son entretien avec le jury, Nahla Debs a obtenu la note de 14/20 sur sa performance et un 18/20 sur l’entretien ! De très bonnes notes qui lui ont permis d’intégrer l’une des facultés réputées parmi les meilleures au Liban.
Un long et riche parcours
Après ses premières études, dont elle est sortie diplômée en médecine dentaire, Nahla Debs a démarré son propre cabinet de dentisterie pédiatrique, et enseigné à la faculté de médecine dentaire de l’Université libanaise (UL), où elle a gravi les échelons pour devenir chef de service, chef de département, et finalement responsable des masters, ainsi que chercheuse-autrice d’une série d’articles scientifiques publiés à l’international. Aujourd’hui, la sexagénaire, qui avoue « adorer son ancien métier », trouve que ce retour à l’université est « vivifiant et purifiant ». Il lui permet de combler le vide laissé par le départ de ses enfants à l’étranger, de secouer ses méninges et de promouvoir un vieillissement actif. Côtoyant des étudiants fraîchement bacheliers, appelée à utiliser des outils technologiques qu’elle ne maîtrise pas, à rester concentrée sur ses études, à se remettre à étudier, à réviser et à revivre le stress des rendus et des examens, Nahla Debs n’a pas eu grand mal à replonger dans l’atmosphère studieuse des amphithéâtres et à troquer tailleur et talons contre un sac à dos et une tenue plus décontractée, d’autant qu’elle a toujours été en contact avec les jeunes. « Reprendre le chemin de la fac pour apprendre constitue une immense source d’épanouissement personnel. Je me sens très à l’aise. Je ne sens pas la différence d’âge. À l’université, j’ai encore 18 ans », avance-t-elle enthousiaste. « Je me sens plus épanouie et très contente. Ça me booste. » Et de poursuivre sur sa lancée : « On baigne dans la créativité et la culture, on fait de l’improvisation et de la poésie. C’est une purification. Vous exprimez tout ce que vous avez dans le cœur, vous le dites, sans honte. Parfois, lors des exercices d’improvisation, j’aborde des sujets en rapport avec ma vie, mes sentiments, mes enfants qui sont loin et j’ai les larmes qui coulent sur mes joues, sans timidité, et mes jeunes amis me comprennent. » Pour la dynamique Nahla Debs, « il est essentiel d’apprendre au moins une chose par jour », elle qui jonglait auparavant entre sa carrière professionnelle et sa vie de famille, prenant soin de ses enfants. Concilier aujourd’hui reprise des études et vie familiale et sociale ne lui pose aucun problème. « Je suis quelqu’un de très organisé. Je suis aussi matinale. À sept heures du matin, vous pouvez même venir chez moi manger une siyadiyeh ! » plaisante-t-elle. « Je suis à jour dans toutes mes tâches, je continue à cuisiner et à faire des gâteaux et des cookies que j’apporte à mes amis à la faculté », ajoute-t-elle. Mais que compte-t-elle faire de son diplôme ? Envisage-t-elle de devenir artiste ? « Je vis au jour le jour », rétorque-t-elle avant de préciser qu’elle a déjà joué dans des films réalisés par des étudiants en audiovisuel de la même faculté. « J’ai passé un mois à tourner avec eux. Ça m’a fait grand plaisir d’appliquer ce que j’apprenais », dit-elle. Si elle n’envisage pas d’en faire sa profession, elle reste néanmoins ouverte à toutes les possibilités « du moment que je suis capable et que je suis la formation ». La preuve, s’il en fallait une, qu’il est possible de se réinventer, même à 65 ans et plus.
Bravo Nahla Debs! Un exemple à suivre!
11 h 10, le 09 mai 2024