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Lifestyle - Anniversaire

« The Tramp », prince et vagabond

Comment dissocier le personnage de son costume ? Charlot est né au moment même où Charles Spencer Chaplin est sorti, un certain jour de 1914, du vestiaire des studios Keystone à Los Angeles, habillé de la tenue absconse qui fera de lui le clown triste le plus célèbre de l’histoire du cinéma.

Charlie Chaplin en 1915. Photo Wikipedia

Héros du cinéma muet et mime avant toute chose, Charlie Chaplin était roué aux effets visuels et nul mieux que lui ne savait transmettre toute la gamme des émotions, de la tristesse la plus déchirante au comique le plus hilarant, de l’amour au désespoir, de la résignation à la revanche… Tout cela est revêtu d’un même costume sombre qui pourrait être celui de n’importe quel homme moderne de ce début du XXe siècle déjà meurtri par une Première Guerre mondiale sans pitié. Dans un Londres en pleine négociation de la transition industrielle, la classe ouvrière abandonne la casquette plate et s’éprend d’un nouveau modèle de chapeau boule, ou bowler hat, ou chapeau melon, un couvre-chef rigide à l’origine commandé au milieu du siècle précédent par un notable, garde-forestier de son État, pour le protéger du choc des branches basses au cours de ses tournées à cheval dans les forêts. Rigide et particulièrement résistant aux chocs, le chapeau melon devient l’emblème de toute une époque, arboré tant par les hommes d’affaires de la City que par les manœuvriers. À la différence que les notables l’accompagnent d’un costume trois pièces de préférence noir, gilet, jaquette, pantalon à pinces et chaussures à guêtres. Pour compléter le tout, la moustache à la mode se porte en « brosse à dents », étroite, géométrique, couvrant l’espace vertical entre la lèvre et le nez d’un petit rectangle noir.





« Je voulais que tout soit une contradiction »
Le costume de Charlot est donc à l’origine un emprunt à l’élégance d’une classe sociale privilégiée. Le génie de Chaplin est de l’avoir détourné de manière à en faire l’emblème de la misère qui ne se défait pas d’une certaine idée de la dignité, de la pauvreté flamboyante. Après plusieurs années d’une carrière sur les planches du West End commencée à 14 ans, Charlie Chaplin, embauché dans sa petite vingtaine à Los Angeles par Keystone pour jouer une série de courts-métrages muets, compose donc presque spontanément (car tout chez Keystone, dit-on, se fait à la hâte), cette panoplie si banale sur les cintres et si expressive une fois qu’il la revêt. Cet effet n’est pas dû au hasard : « Je voulais que tout soit une contradiction, dit l’acteur : le pantalon ample, la veste étriquée, le chapeau étroit et les chaussures larges… J’ai ajouté une petite moustache qui, pensais-je, me vieillirait sans affecter mon expression. Je n’avais aucune idée du personnage mais, dès que je fus habillé, les vêtements et le maquillage me firent sentir qui il était. J’ai commencé à le connaître et quand je suis entré sur le plateau, il était entièrement né. » Ce personnage qui allait devenir une icône absolue fait ses premiers pas avec une curieuse démarche. Ses pas saccadés sont dus à la fois à ce pantalon trop grand que la ceinture a tendance à trahir et aux chaussures dépassant le pied de trois pointures que l’acteur porte inversées pour mieux les faire tenir. Il apparaît pour la première fois, presque simultanément, dans L’étrange aventure de Mabel et dans Charlot est content de lui.





Une figure christique ?
La guerre de 1914-18 ayant ravagé ce qu’elle a ravagé, une grande partie de la population européenne se retrouve sans toit et sans travail, condamnée à l’errance et au vagabondage. Le personnage du Vagabond est donc familier pour le public de l’époque. Issu d’une zone d’ombre de la pyramide sociale, il peut être aussi bien un homme d’affaires ruiné qu’un ouvrier cherchant péniblement à s’extraire de sa misère. Dans les deux cas, le costume est terriblement adéquat dans son inadéquation. Crucifié par les vicissitudes de ce turbulent début du XXe siècle, le Vagabond campé par Chaplin pourrait être une figure christique, si l’on osait la comparaison avec cette scène qui précède le procès de Jésus : « Les soldats tressèrent une couronne avec des épines, et la lui mirent sur la tête; puis ils le revêtirent d’un manteau de pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : « Honneur à toi, roi des Juifs ! » Et ils le giflaient. Jean. 19, 2-3. La couronne de Charlot serait ce chapeau melon et son manteau de pourpre ce costume informe, et il serait, oui, ce roi en apparence de pacotille, ce souverain humilié, prince des poètes et humain, lui aussi trop humain par-dessus tout.


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