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Liban - Affaire Ghada Aoun-Hadi Hobeiche

Affaire Ghada Aoun-Hadi Hobeiche : L’intrusion brutale du député, un défi pour la justice

Les deux parties ont entamé hier des plaintes en diffamation réciproques.

Hadi Hobeiche et Ghada Aoun.

L’arrestation mercredi par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, de la directrice générale de la commission de direction du trafic routier, Hoda Salloum, dont Hadi Hobeiche (député du courant du Futur) est l’avocat, ainsi que l’intrusion de ce dernier dans le bureau de la procureure qu’il a accusée publiquement de corruption ont conduit hier à la déposition d’une plainte de la juge contre l’avocat, et réciproquement, d’une action de ce dernier contre la magistrate. Ceci sur fond de remous suscités par ce que beaucoup ont considéré comme une atteinte au prestige du pouvoir judiciaire.

Les poursuites engagées par Ghada Aoun contre Mme Salloum sont basées sur une note d’information déposée par l’avocat Wadih Akl sous les chef d’accusation de pots-de vin, faux et usage de faux, dilapidation de fonds publics et enrichissement illicite. Le dossier a été transféré par le procureur général près la Cour de cassation au premier juge d’instruction de Beyrouth, Georges Rizk, qui a fixé à ce matin une audience pour interroger l’accusée. Neuf personnes ont d’ailleurs été arrêtées hier soir par la Sûreté de l’État dans une affaire connexe liée à l’office d’enregistrement des véhicules (Mécanique). Outre la Mécanique, la compétence de la direction du trafic routier s’étend à d’autres services juteux, notamment les permis d’exploitation de parcmètres. Le mohafez de Beyrouth Ziad Chbib a déclaré récemment que depuis 2007, aucun revenu des parcmètres n’est entré dans les caisse des municipalités. Un autre volet dans lequel la Direction du trafic routier semble être impliquée est le changement des plaques d’immatriculation et l’émission de documents biométriques d’enregistrement des véhicules opérés au début de l’an dernier. Selon la presse arabophone, la Direction du trafic routier en aurait organisé l’adjudication, alors que c’est le ministère de l’Intérieur qui en a la compétence. Les montants engagés dans ce cadre seraient de 37,5 milliards de livres.


« Une maison close »
Aussitôt qu’il avait appris l’arrestation de sa cliente, Hadi Hobeiche s’est rendu au Palais de justice de Baabda où il a fait irruption dans le bureau de la procureure, n’hésitant pas à lui demander vertement si elle assume bien sa fonction ou si elle tient plutôt « une maison close ».

Mme Aoun a déposé plainte hier contre lui auprès du parquet de cassation pour diffamation et atteinte à sa personne, sachant que le code pénal punit de 6 mois à 3 ans toute violence ou voie de fait contre un magistrat dans l’exercice de ses fonctions. M. Hobeiche a intenté de son côté une plainte à son encontre pour le même grief de diffamation ainsi que pour humiliation.

Contacté par L’Orient-Le Jour, Hadi Hobeiche relate sa version des faits : « Je me suis présenté devant la procureure pour lui demander sur quelle base légale elle a arrêté la directrice générale d’un service administratif, sachant qu’elle n’a pas obtenu l’autorisation du ministre de l’Intérieur. Elle m’a alors répondu d’une manière qui a touché à ma dignité, ironisant sur mon intelligence et me demandant de me retirer, ce qui m’a poussé à m’adresser à elle de la même façon. » Et d’ajouter : « Mme Aoun avait obtenu l’autorisation d’entendre Hoda Salloum en tant que témoin, et non de l’appréhender. En présence d’un avocat qui collabore avec moi, elle lui a demandé pourquoi elle avait nommé un fonctionnaire musulman à la tête de l’office de l’enregistrement des véhicules, une nomination qu’elle estime non conforme à la règle de l’équilibre communautaire dans l’administration. Ce à quoi Mme Salloum a répondu qu’elle n’avait pas trouvé un autre fonctionnaire à même de remplir ce poste. Elle lui a ensuite indiqué que Georges Hamoui, un chauffeur auquel a parfois recours Mme Salloum, avait assuré qu’il demandait “des cadeaux” au nom de cette dernière. La directrice du trafic routier lui a assuré qu’elle n’était pas au courant, mais Mme Aoun l’a traitée de menteuse et ordonné son arrestation, l’accusant d’encaisser des pots-de-vin. » Le député du courant du Futur affirme que ce n’est qu’après qu’il est sorti du bureau de la procureure que celle-ci « a ajouté à ses accusations de pots-de-vin celles de l’enrichissement illicite, un délit qui ne nécessite pas l’autorisation du ministère de l’Intérieur ». « Comment d’ailleurs la juge engage-t-elle des poursuites pour enrichissement illicite alors qu’elle n’a pas enquêté en ce sens, c’est-à-dire n’a pas requis par exemple des documents bancaires ou fonciers ? » s’indigne-t-il.

Flagrant délit
En réponse à la question de savoir si les propos qu’il a exprimés dans les couloirs du Palais de justice selon lesquels Mme Aoun est « corrompue » et a « une attitude milicienne » sont protégés par son immunité parlementaire, M. Hobeiche affirme qu’ils « entrent dans le cadre des opinions politiques ». Selon l’article 39 de la Constitution, « aucun membre de la Chambre des députés ne peut être poursuivi ou recherché pour les opinions ou votes qu’il exprime pendant la durée de son mandat ». Quid de l’humiliation qu’il a fait subir à Mme Aoun dans son bureau en flagrant délit, c’est-à-dire dans une situation que ne couvre pas l’immunité ? « La question se pose également quant à savoir si la juge est immunisée, sachant qu’elle m’a humilié dans la même situation », rétorque M. Hobeiche.

Une source judiciaire informée affirme à L’OLJ que pour faire valoir le flagrant délit et par conséquent l’absence d’immunité de M. Hobeiche, la procureure disposait de 24h après les faits. Elle a déposé sa plainte hier à 10h, soit dans les délais, ce qui permet au parquet de cassation d’arrêter le député s’il le juge opportun. La source affirme qu’elle aurait pu arrêter sur-le-champ le député, mais s’était abstenue de le faire pour éviter « un massacre » entre les individus qui accompagnaient ce dernier et les éléments de la Sûreté de l’État. La même source se demande sur un autre plan pourquoi le député a agi de manière si violente alors qu’il aurait dû se conformer aux règles légales de procédure et attendre la décision du juge d’instruction, qui pourrait, après investigations, remettre en liberté Mme Salloum.

En soirée, le département du contentieux au ministère de la Justice a déposé contre M. Hobeiche une plainte pénale pour « agression publique ».

En présence du ministre de la Justice, Albert Serhane, le Conseil supérieur de la magistrature avait tenu un peu plus tôt une réunion au cours de laquelle il avait fustigé le comportement de M. Hobeiche, demandant au procureur général de cassation d’engager des poursuites à son encontre. Dans le même temps, le CSM a déféré la procureure devant l’Inspection judiciaire en raison de déclarations qu’elle aurait faites à la presse hier sans avoir obtenu une autorisation préalable.

Pour sa part, le bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf a condamné l’agression, soulignant que l’ordre des avocats allait prendre en fin de soirée des mesures adéquates. Le vice-président de la Chambre Élie Ferzli a déclaré de son côté que les faits « ont constitué un embarras pour le Parlement, à l’heure où il se soucie de préserver le prestige de la justice ». Parallèlement, le groupe parlementaire du Hezbollah a estimé lors de sa réunion hebdomadaire qu’ils « ne sont pas conformes à la logique de l’attachement aux lois et à la préservation des institutions ».

À Damour, dont est originaire Ghada Aoun, un sit-in de solidarité a été organisé par des habitants de la localité qui ont rendu hommage à « son professionnalisme et son intégrité ».


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L’arrestation mercredi par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, de la directrice générale de la commission de direction du trafic routier, Hoda Salloum, dont Hadi Hobeiche (député du courant du Futur) est l’avocat, ainsi que l’intrusion de ce dernier dans le bureau de la procureure qu’il a accusée publiquement de corruption ont conduit hier à...

commentaires (11)

Le comportement du député Hadi Hobeiche est indigne et doit être sévèrement sanctionné. Pour le reste de la classe politique, à titre d'exemple, en Algérie, 2 anciens premiers ministres ont été condamnés à de longues peines de prison (10 et 15 ans, respectivement). A quand le tour de nos politiciens accusés de corruption, de favoritisme ou d'abus de pouvoir et de biens sociaux ?

Tony BASSILA

10 h 13, le 14 décembre 2019

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Commentaires (11)

  • Le comportement du député Hadi Hobeiche est indigne et doit être sévèrement sanctionné. Pour le reste de la classe politique, à titre d'exemple, en Algérie, 2 anciens premiers ministres ont été condamnés à de longues peines de prison (10 et 15 ans, respectivement). A quand le tour de nos politiciens accusés de corruption, de favoritisme ou d'abus de pouvoir et de biens sociaux ?

    Tony BASSILA

    10 h 13, le 14 décembre 2019

  • la verite a eclate au grand jour les juges ont exige la liberation immediate de cette dame et donc onT jugeait que Mm Aoun avait outrepasse ses droits JUSTICE EST FAITE DONC ET SVP Mm AOUN NE GARDER PAS AU LENDEMAIN LES REVOLTES QUI PEUVENT ETRE LIBERE DANS L'HEURE VOUS ETES UNE JUGE EQUITABLE, PAS UNE JUGE CPL MERCI D'AVANCE

    LA VERITE

    18 h 50, le 13 décembre 2019

  • "En présence d’un avocat qui collabore avec moi, elle lui a demandé pourquoi elle avait nommé un fonctionnaire musulman à la tête de l’office de l’enregistrement des véhicules, une nomination qu’elle estime non conforme à la règle de l’équilibre communautaire dans l’administration" Cést quoi ces foutaises? Ainsi tout est base sur la confession? Voila le probleme du Liban - Pas de competence mais la religion qui prime....

    IMB a SPO

    15 h 18, le 13 décembre 2019

  • LE PROBLEME DU LIBAN EST QUE NOS POLITICIENS ONT ETE DEPUIS TROP LONGTEMPS AU DESSUS DES LOIS DONC SON COMPORTEMENT EST TRES NORMAL POUR EUX D'UN AUTRTE COTE LA JUSTICE A TELLEMENT ETE PARTIELLE ET A LA SOLDE DES POLITICIENS DEPUIS DES ANNEES QU'ELLE NE REFLECHI MEME PAS AVANT DE JUGER OU DE DEMANDER L'ARRESTATION DE QUELQU'UN PAR RAPPORT A CE QUE DIT LA LOI ( example frappant de Mm Aoun avec les revolutionnaires ) LES DEUX ONT DE GRANDS TORTS; MR HOBEICHE D'AVOIR FAIT CET ESCLANDRE PUBLIC INCOMPATIBLE AVEC SON TITRE DE DEPUTE ET D'AVOCAT ET MADAME AOUN D'AVOIR DEMANDE L'ARRESTATION D'UNE PERSONNE QUI A ETE AUTORISE A ETRE QUESTIONNE UNIQUEMENT EN TANT QUE TEMOIN PAR L'AUTORITE LE VRAI PROBLEME EST JUSTEMENT CETTE IMUNITE CONFEREE A TOUS LES POLITICIENS ET CADRES SUPERIEURS DE LA NATION ET C'EST LA QUE DOIT ETRE ABOLIT TOUTES CES REGLES EN FRANCE LES PRESIDENTS SARKOSY, CHIRAC ET MEME RECEMENT MELANCHON , MARIE LE PEN, ETC.. ONT ETE MIS EN EXAMEN ET EN ISRAEL DES EX PRESIDENTS ET PREMIER MINISTRE ONT ETE JETE EN PRISON POUR ABUS SEXUELS ET CORRUPTION ET MEME LE PREMIER MINISTRE EN EXERCISSE EST ACCUSE D'AVOIR RECU DU CHAMPAGNE ET DES CIGARES EN CADEAU ET MIS EN ACCUSTION. ON PEUT AIMER OU DETESTER ISRAEL OU LA FRANCE MAIS QUELLE LECON DE JUSTICE ELLE DONNE AU MONDE. VIVEMENT LA MEME CHOSE AU LIBAN

    LA VERITE

    13 h 16, le 13 décembre 2019

  • DEPLORABLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 06, le 13 décembre 2019

  • Que Hobeich ait Raison ou pas, C’est une Occasion en or pour Hariri de se débarrasser de lui pour donner l’exemple…

    Jack Gardner

    10 h 54, le 13 décembre 2019

  • La boite de pandore s'est ouverte et nous allons en apprendre long sur le comportement de tous ces gens la! On continue!

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 43, le 13 décembre 2019

  • Le plaisir...on jubile devant un tel spectacle...merci...

    Houri Ziad

    09 h 38, le 13 décembre 2019

  • Le seul cours que ce monsieur a dû suivre à la faculté de droit est celui intitulé: la loi du plus fort (en voix) est toujours la meilleure...

    Gros Gnon

    09 h 36, le 13 décembre 2019

  • Aucun revenu des parcmètres n'a été versé aux municipalités depuis 2007, mazette, il était temps que le mohafez s'en aperçoive. Le reste aussi en dit long sur l'état de panique qui s'est emparé des acteurs du régime actuel, qu'ils soient d'un bord ou d'un autre. MME Aoun s'est illustrée récemment par son interventionnisme douteux dans l'affaire Mission de vie ce qui ne justifie pas, loin de là, l'attitude de Hadi Hobeiche.

    Marionet

    08 h 53, le 13 décembre 2019

  • Qu’il ait raison ou dans son tort, le comportement de voyou de M. Hbeiche est inadmissible pour un député de la nation qui se prétend avocat, Quelle disgrâce pour l’ordre des avocats. Cet énergumène doit être mis aux arrêts immédiatement. Dans un autre pays, il aurait déjà perdu son immunité parlementaire et rayé du barreau. Georges Tyan

    Lecteurs OLJ 3 / BLF

    06 h 47, le 13 décembre 2019

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