Un graffiti sur un mur de Beyrouth. « Il est temps que le peuple gouverne », est-il écrit. AFP/Joseph Eid
« Depuis trente-trois jours, je n’ai pas fait une seule nuit complète. » C’est une jeune femme parmi ces dizaines, peut-être ces centaines de militants volontaires tenant à rester anonymes, qui parle. Comme beaucoup d’autres, Maya consacre, depuis le 17 octobre, ses jours et ses nuits à l’organisation de ce soulèvement sans leader et sans organigramme connus.
« Nous sommes tous descendus dans la rue de façon spontanée le 17 octobre. Mais au bout de quatre ou cinq jours, on a commencé à s’organiser en groupes, physiquement et sur WhatsApp, pour fermer les routes ou organiser les manifestations », raconte-t-elle à L’Orient-Le Jour. Au début, chacun a fait jouer ses relations dans les différentes régions, pour savoir ce qui se passait à Tripoli, Jal el-Dib ou Saïda. « Et puis, nous sommes allés les uns chez les autres, nous avons constitué des groupes WhatsApp sur lesquels nous nous envoyons des vidéos des sit-in ou des fermetures de routes, et la coordination est devenue plus facile », ajoute-t-elle.
C’est ainsi que des militants de plusieurs régions sont venus à Beyrouth, dans la nuit de lundi à mardi, pour prêter main-forte aux manifestants qui ont bloqué les issues du Parlement afin d’empêcher les députés de venir voter la loi controversée sur l’amnistie. C’est ainsi aussi qu’ils préparent le « défilé civil » prévu vendredi, à l’occasion de la célébration de l’Indépendance du Liban, pour contrer le défilé militaire organisé par le pouvoir.
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Mais les militants sont également passés à une autre étape, certains d’entre eux s’occupant des relations avec les médias, les avertissant lorsqu’une couverture est nécessaire, ou même avec les politiques, comme à la veille de la réunion du Parlement de mardi, lorsqu’ils ont tenté d’appeler un grand nombre de députés, un à un, pour les convaincre de boycotter la séance… Maya reconnaît ainsi qu’avec d’autres camarades, elle est moins présente sur le terrain qu’au début du soulèvement, accordant plus de temps au travail en ligne. La jeune femme s’occupe particulièrement du fact-checking, tentant de s’assurer de la véracité des informations qui circulent sur les réseaux sociaux : « Le pouvoir tente de propager des rumeurs pour affaiblir la révolution, ou pour lui donner un caractère confessionnel, explique-t-elle. Nous tentons de démontrer que ce sont de fausses informations. »
D’autres s’occupent de la logistique, faisant la liaison avec des donateurs, au Liban ou à l’étranger : ainsi, une personne installée aux États-Unis peut passer en ligne une commande de 50 pizzas, qu’elle fera parvenir par l’intermédiaire de ces militants aux manifestants réunis sur une place déterminée.
Fady, un jeune militant, passe, lui, plus de temps sur le terrain, dans le centre-ville de Beyrouth. Comme Maya, il souligne l’importance d’effectuer une coordination entre les régions, « mais sans qu’il y ait des dirigeants, ou un comité pilotant la révolution ». « Il faut respecter le caractère spontané du soulèvement. Nous effectuons une coordination avec les différentes régions sur des événements précis, comme le » dimanche de l’unité «, mais nous tenons à ce que la révolution reste décentralisée », explique-t-il.
Le militant indique que plusieurs groupes se sont constitués au fil du soulèvement, au niveau des régions ou à Beyrouth. Certains font la coordination pour la logistique, d’autres échelonnent les débats du centre-ville… Il existe même désormais un groupe WhatsApp de femmes prêtes à se placer en première ligne des manifestations en cas de confrontation avec les forces de sécurité.
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Les sites de la révolution
Dans leur combat, les militants peuvent s’appuyer sur les outils précieux que constituent les sites de la révolution. Comme Daleel Thawra (le guide de la révolution) qui a vu le jour le 20 octobre et met en ligne sur son site ou son compte Instagram un agenda des manifestations à travers le Liban, des informations sur la corruption ou les besoins des différentes places du mouvement de protestation. « Libérez votre journée du 22 » pour les manifestations prévues à l’occasion de la fête de l’Indépendance, « Nous avons un besoin urgent de tentes à Nabatiyé », peut-on lire, par exemple, sur les différents encarts publiés en rouge. « Les premiers jours, il y avait une certaine confusion, les gens avaient besoin d’être informés », explique l’une des coordinatrices de ce site, qui requiert l’anonymat. « Nous avons commencé à partir d’une idée : il fallait juste indiquer qui fait quoi. Nous avons aussi voulu répondre aux questions de ceux qui étaient restés chez eux et qui voulaient contribuer au soulèvement, mais ne savaient pas comment. » C’est ainsi que le site, formé de volontaires, des femmes pour la plupart, a commencé à publier un agenda quotidien reprenant les manifestations et débats prévus à l’échelle nationale. « Nous sommes juste un outil ouvert à tous et pour tous. Nous ne sommes pas une plateforme médiatique », souligne la coordinatrice.Pour sa part, le site Akhbar al-Saha relaye 24 heures sur 24, sur Twitter, Facebook et Instagram, les informations du soulèvement, avec force vidéos, et les besoins des places de la contestation. Ainsi, il appelait mardi soir à un sit-in devant la caserne Hélou à Beyrouth pour réclamer la libération des manifestants arrêtés par les forces de sécurité après des violences dans le centre-ville, ou demandait un don de sang pour l’un des manifestants blessé et hospitalisé.
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« Akhbar al-Saha est une plateforme médiatique alternative et indépendante, qui vise à offrir une image plus réaliste de ce qui se passe sur le terrain », affirment à L’OLJ, via Messenger, ses responsables qui refusent d’être identifiés. Ils dénoncent les médias libanais « qui appartiennent à des parties politiques et sont aux ordres du gouvernement », et soulignent la nécessité de fournir « des informations » honnêtes de la rue et pour la rue.
La page Facebook et le compte Twitter ont été lancés en 2015 par un « groupe d’activistes féministes indépendants », lors des manifestations contre la crise des déchets, mais avaient été mis en veilleuse avant d’être réactivés avec le soulèvement d’octobre. L’équipe, « une cinquantaine de personnes, est uniquement composée de volontaires, et collecte des données fournies par des correspondants sur le terrain et des sources médiatiques », ajoutent-ils.
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"Le défilé militaire organisé par le pouvoir à l'occasion de l'Indépendance du Liban". Le Petit-Liban sous l'occupation turque de 1516 à 1918 était plus indépendant que le Liban d'aujourd'hui. Le Grand-Liban sous le mandat heureux de La France de 1920 à 1943, était plus indépendant que le Liban d'aujourd'hui. Le Liban indépendant de 1943 à 1975 était plus indépendant que le Liban d'aujourd'hui. Messieurs les gouvernants, ayez le minimum de la décence de nous dire, où est l'Indépendance du Liban aujourd'hui ?
16 h 59, le 21 novembre 2019