L’uniformisation des mesures bancaires restrictives par l’Association des banques du Liban (ABL), en l’absence d’un contrôle formel des capitaux, semble avoir rassuré les établissements bancaires et leurs employés, puisqu’ils ont décidé hier de rouvrir leurs portes à leurs clients à partir d’aujourd’hui. La décision a été prise suite à un accord entre la Fédération des syndicats des employés de banques et l’ABL, mais cette dernière a précisé en début de soirée qu’elle « laissait la liberté aux directeurs des agences et aux sièges sociaux des banques (...) de prendre la décision d’ouvrir ou non, compte tenu des manifestations prévues (aujourd’hui) ».
La semaine dernière, les employés des banques avaient décidé d’entamer une grève illimitée, exigeant des autorités compétentes d’assurer leur sécurité et de mettre en place des mesures bancaires « claires » leur permettant de répondre aux demandes des clients.
Après une première fermeture dès le lendemain du début des manifestations, qui aura duré du 18 au 31 octobre, chaque banque avait établi ses propres mesures restrictives, s’apparentant à un contrôle de facto des capitaux. Les employés des agences bancaires s’étaient alors retrouvés en porte-à-faux face à leurs clients, ce qui alimentait la panique générale et aggravait la crise de confiance envers le système bancaire.
Les syndicats des employés de banque ont fait savoir qu’ils jugeaient « suffisant » le dispositif mis en place par la ministre sortante de l’Intérieur, Raya el-Hassan, pour garantir leur sécurité. Selon une source bancaire, les agents de sécurité FSI effectueront des patrouilles dans les régions où se concentrent des agences. Ils ne seront pas positionnés devant chaque agence, selon la même source, ce qui contredit les déclarations, samedi, du président de la fédération, Georges el-Hajj. Ce dernier dispositif aurait contraint l’État à mobiliser plus de 2 000 hommes pour couvrir plus de 1 000 agences, sans compter les bâtiments de la BDL. Lors du premier jour de l’ouverture des banques le 1er novembre, l’armée était déployée à proximité des agences dans certaines régions.
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Les mesures de l’ABL sont-elles légales ?
Comme c’était déjà le cas depuis le début des manifestations, les transferts vers l’étranger ne seront autorisés que dans le but de « couvrir les dépenses personnelles urgentes », a indiqué l’ABL. Selon une source bancaire, la définition du caractère d’urgence sera définie au cas par cas à travers l’historique de chaque client, qu’il s’agisse de virements pour payer les frais d’un enfant scolarisé à l’étranger, pour régler des loyers ou encore pour assurer des dépenses médicales. Les banques n’imposeront aucune restriction visant les chèques, les virements et les paiements par carte sur le territoire, qu’ils soient effectués en livres ou en dollars, mais les chèques libellés en monnaie étrangère peuvent être uniquement décaissés dans un compte bancaire, toujours selon les directives de l’ABL. Tandis que pour les cartes utilisées à l’extérieur du pays, cela dépend des relations interbancaires. En revanche, l’ABL a décidé de plafonner les retraits en dollars à 1 000 dollars par semaine, tandis que ceux en livres restent illimités. Enfin, les entreprises qui possèdent des facilités bancaires au Liban connaîtront les mêmes restrictions qu’avant le début des manifestations. En outre, l’ABL encourage les clients à utiliser leurs cartes bancaires, en particulier en livres, pour répondre à leurs besoins de liquidité.
Soulignant que ces mesures ont été adoptées « après consultation de la Banque du Liban », l’ABL a précisé que celles-ci étaient temporaires et avaient pour but de « faciliter et d’uniformiser » le travail des employés de banque. Elle précise également qu’il ne s’agit pas là d’un contrôle des capitaux, ces mesures n’étant prises que pour « préserver les intérêts des clients et du secteur bancaire ».
Contacté par L’Orient-Le Jour, l’avocat Karim Daher a estimé que « ce n’est pas à l’ABL de prendre ces décisions. Mais cette situation est due au déni ou au refus des autorités compétentes (la BDL, NDLR) de le faire ». Il explique que la banque centrale, « en vertu des articles 70, 174 et 175 du Code de la monnaie et du crédit (CMC), a le pouvoir de prendre cette décision pour protéger la monnaie locale et le système financier, cette mesure devant être limitée dans le temps ». Mais, étant donné que cette situation dure depuis des mois, il faudrait, toujours selon Me Daher, émettre rapidement une loi en ce sens.
D’autant plus que les mesures de l’ABL ne protègent pas juridiquement les banques, en l’absence d’une décision claire de la BDL ou d’une loi votée au Parlement instaurant un contrôle des capitaux. Concernant par exemple les dépôts en dollars arrivés à maturité, une banque ne peut refuser à un déposant de retirer son argent, sauf dans le cas où cela est stipulé dans le contrat. Ainsi, vu qu’il s’agit d’un cas de contrôle officieux des capitaux, les déposants peuvent porter plainte. Mais l’avocat tient à rappeler que l’ABL ne fait que « remplir le vide » qui existe en l’absence d’une décision de la BDL, du gouvernement ou du Parlement.
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commentaires (7)
Il serait nécessaire que les banques promettent à ceux qui reçoivent des dollars de l’étranger, de leurs familles, puissent les retirer entièrement, car le risque est que les immigrés arrêtent aussi d'envoyer à leurs parents au Liban. Il y a un risque que les banques tombent dans un cercle vicieux et destructeur.
Shou fi
22 h 20, le 19 novembre 2019