Myriam Boulos ne s’est jamais considérée comme reporter ou journaliste. « Je suis une photographe tout simplement et je fais du documentaire lent avec une recherche personnelle. Mais aujourd’hui, alors que le peuple s’est soulevé contre le pouvoir, j’ai voulu être présente sur le terrain pour capter des instants dans l’urgence. Certaines personnes ont confondu cela avec une démarche journalistique. »
Myriam Boulos s’est en effet retrouvée il y a quelques jours au cœur d’une polémique dont le point de départ était une série de photos sur le soulèvement qui traverse le Liban depuis le 17 octobre. Des photos que le magazine anglais Time lui avait commandée pour illustrer un reportage sur la situation au Liban. Le Time en sélectionne trois et les publie sur son compte Instagram avec des légendes qui ne concordent pas avec l’intention de la photographe qui souhaitait avant tout montrer la diversité du peuple présent dans la rue et non pas montrer du doigt des casseurs et laisser sous-entendre que les manifestations sont violentes.
« Je demeure attachée à mon objectif premier : faire une image parce qu’elle me fascine, parce qu’elle me révèle l’autre et qu’elle me révèle à moi-même. Je n’essaye pas de montrer les faits et les événements. L’association entre mes images et les légendes du magazine Time (que je n’approuve pas) a poussé des détracteurs à m’attaquer et m’insulter. Cela fait si longtemps qu’on ne s’est pas autant retrouvés, nous Libanais, dans un espace public ensemble. Il faudrait apprendre à s’écouter et à se respecter. »
Journal intime
Après avoir tâté de la musique et du dessin, la jeune artiste s’est orientée vers la photographie et a décidé de faire de cet art un journal intime en photos. Son image à elle s’inspire de la réalité qu’elle côtoie pour la transfigurer d’une manière personnelle et subjective. « Très jeune, je possédais une caméra de couleur fuchsia que j’affectionnais beaucoup. Je m’en souviens très bien, dit-elle. Un jour, mon jeune frère l’a jetée par la fenêtre de la voiture. Je ne sais pour quelle raison cet incident, si petit soit-il, m’a fortement marquée. » Plus tard, Myriam Boulos rencontre une fille de son âge qui possédait un appareil très sophistiqué. « J’ai alors demandé à mes parents si je pouvais avoir le même. Et c’est là que ma mère me dit : Développe ton œil d’abord, c’est l’essentiel. Ce n’est pas simplement la caméra qui compte. »
Ce jour-là, l’artiste réalise que la photo l’a choisie. Elle commence par faire des clichés dans la rue au cours de ses balades et à assembler des images personnelles et souvent intimes. Elle décide par la suite de poursuivre ses études de photographie (licence et master) à l’ALBA, avec pour professeur Gilbert Hage. Aujourd’hui, elle qui n’a jamais pensé quitter le Liban, « parce que c’est ici que naissent tous mes questionnements », dit-elle, utilise son appareil pour s’interroger. Et de poursuivre : « Lors de cette révolution, comme je ne m’y entends pas en politique, il était évident pour moi que je devais prendre ma caméra pour comprendre par moi-même, à travers mes images, ce qui se passait et m’impliquer à ma manière dans ce mouvement. » Ses photos peuvent être en noir et blanc ou en couleurs, prises sur le vif ou mises en scène, mais ce ne sont jamais des poses. Elles semblent s’animer car elles vibrent de vie. « Depuis deux ans, bien que très timide, je vais à la rencontre des gens, je fais leur connaissance et j’essaye de tirer d’eux ce qu’ils me proposent comme représentations d’eux-mêmes avant de les photographier. » L’image devient la reproduction des caractères des personnes, mêlée au langage artistique de la jeune photographe. Sous son objectif, son regard se dilue dans la personne « cible » de ses clichés qu’elle vise avec justesse et réalisme. Pour elle, la photo est un art où l’on construit et on se reconstruit en permanence. En recherche continue, elle poursuit sa quête de l’image. « Je ne suis pas une puriste de la photo et j’aime bien l’image décalée qui sort de l’ordinaire ou qui sort du cadre, mais qui pointe du doigt vers quelque chose de non visible. » Dans cet art qu’elle s’est fait sien, Myriam Boulos apprend à dévoiler les autres et à se dévoiler elle-même.
1er juin 1992
Naissance à Beyrouth.
1997
La possession d’une petite caméra fuchsia, prélude à l’amour pour la photo.
2008
La passion se confirme.
2012
Licence photo et puis master
à l’ALBA.
2013
Elle gagne la Purple Lens Award et rejoint le collectif Gémeaux
à la galerie Janine Rubeiz.
2015
La photo prend
une pause chez elle.
2017
Reprise de la photo avec un questionnement intense : actuellement, elle sait que c’est une année charnière mais elle ne sait l’expliquer.
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http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/
Félicitations à Myriam Boulos! Les instants qu'elle a su capter dans ses photos publiées par le Times nous touchent car elles traduisent des moments intenses que nous avons vécu avec le Liban. Une fois le cliché publié, les photographes n'ont plus de contrôle quant aux interprétations qu'on peut en donner. Roland Barthes le dit dans son livre "La Chambre claire": Les détails d'une photo qui provoquent une émotion personnelle et subjective chez le spectateur et qui attirent une attention particulière ne relèvent plus de l’intention des photographes. Merci pour cet article, Colette Khalaf.
14 h 34, le 30 octobre 2019