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Culture - L’artiste de la semaine

Hady Sy, dynamiteur de murs

Tour à tour photographe, plasticien, sculpteur, directeur créatif, perturbateur de l’ordre (pas toujours) public et du racisme dans ses formes les plus pernicieuses, Hady Sy revient au-devant de la scène avec son « Wall of Hope »*, mur de l’espoir érigé à même la tristement célèbre ligne de démarcation dans le centre-ville de Beyrouth ; l’occasion de revenir sur le parcours pas très lisse de l’enfant terrible.

Hady Sy en mode selfie. Photo DR

Depuis quelques semaines, une sculpture géante trône place des Martyrs dans le centre-ville de Beyrouth. C’est dans le cadre de la manifestation artistique annuelle Beirut Art Fair que Hady Sy a dévoilé une installation représentant des barreaux dont ceux du milieu ont été comme volontairement écartés et arrachés pour laisser place, malgré tout, à un vent d’espoir et de liberté. Les passants s’arrêtent, prennent le « mur » en photo et les plus téméraires s’approprient même, le temps d’une courte pause, ces barreaux défoncés. L’artiste ne cache pas sa joie face à ceux et celles qui grimpent pour se laisser aller au « jeu » d’espacer ces barreaux plus grands que nature. « Je veux que les gens passent à travers », indique-t-il dans un entretien avec L’Orient- Le Jour en regardant l’œuvre nommée The Wall of Hope, avant de préciser de sa voix rauque que « tous les murs finissent un jour par tomber ». The Wall of Hope campera pendant un an sur cette place mythique.

« Avant le 11-Septembre, il y avait 15 murs sur terre. Aujourd’hui, il y en a 77 », déplore-t-il. Il parle avec les tripes de ceux qui croient que le salut de la condition humaine passera forcément par l’acceptation de l’autre, tous les autres et que pour y arriver, il faudra faire abattre un par un tous les murs : politiques, philosophiques, économiques et raciaux. « Ce projet a coulé de source », avoue-t-il, en soulignant que cela faisait quelque temps que l’humain en lui, autant que l’artiste engagé, se sentait « de plus en plus à l’étroit, enfermé ». Hady Sy précise qu’il n’a pas « souffert » en réalisant ce projet ; une référence qu’il emprunte à Helmut Newton, qui aurait un jour lancé « don’t suffer » à un modèle posant devant sa caméra. Mais si Sy utilise cette notion de souffrance, c’est qu’il s’y est frotté à plusieurs reprises dans sa vie, même s’il ne s’attarde pas sur ces épisodes poignants. Sans jamais tomber dans le pathos de certains artistes qui carburent aux éléments d’apitoiement, l’artiste aux mille facettes a pourtant côtoyé intimement le sang et la mort.



Une déferlante d’expériences insolites
« Je suis mélangé. » C’est dans ces termes que Hady Sy résume ses origines identitaires et expériences de vies multiples. Né en 1964 d’une mère libanaise et d’un père sénégalais, premier ambassadeur du Sénégal au Moyen-Orient, l’artiste détient également la nationalité française. À l’âge de 9 ans, son père décède, un événement qui obligera la famille à retourner au Liban. Il y subira les affres de la guerre civile qu’il fuira par la suite « par un bateau pris pour cible par les tirs en pleine mer ». Armé d’une éducation progressiste, intellectuelle, ouverte aux autres, et profondément humaniste, il ira écumer les quatre coins du monde avec toujours cette obsession des barrières érigées « d’abord et avant tout dans la tête ». Il crée en 1989 le International Festival of Fashion Photography, une manifestation culturelle qui bouleverse les codes de la femme-objet « blonde qui court sur une plage » et deviendra un standard international de la photographie. Il sème à tout vent et son talent l’emmènera jusqu’à New York pour réaliser en 1998 un livre et une exposition célébrant les 40 ans d’Yves Saint Laurent. Au-delà de ses projets à caractère glam, Hady Sy ne peut s’empêcher de ressentir dans son corps et son cœur les discriminations identitaires et religieuses, la haine des guerres et de leurs outils ; ces armes qu’on brandit comme des trophées, et surtout l’absurdité de cette peur des autres. Il veut aller plus loin et sensibiliser au don de sang, ce précieux liquide rouge unificateur et souvent salvateur. « Je voulais parler du sang donné et non pas du sang déversé », souligne-t-il en parlant de son projet international One Blood soutenu par le ministère de la Culture libanais. Il parcourt la planète quatre ans durant pour récolter des échantillons de sang et prendre en photos ces donateurs anonymes liés justement par une même substance vitale. Hady Sy veut également dénoncer la prolifération aberrante des armes depuis la Première Guerre mondiale. Il ira disséquer notamment à l’aide de radiographies ces engins tueurs. Un peu comme on procède au diagnostic de maladies, il réalisera un catalogue chirurgical de précision ; une liste exhaustive de ces faucheuses de vie. Le projet a été financé par le ministère français de la Culture et acquis par la suite par le Fonds national d’art contemporain. Son absence de prise de position dans sa manière de rédiger les textes du projet qui porte le nom « Not For Sale » crie pourtant sa frustration face au délire fou de cette mort trop longtemps banalisée. Mais Hady Sy n’est pas fataliste. Il sait que l’instinct de vie doit prendre le dessus. Il y croit et son Wall Hope en est justement la preuve par mille.



La femme synonyme de vie
Lorsque l’on voit le mur de plus de 4 mètres de haut, sa masse imposante, son béton coulé et ses tonnes de fer rouillé, son imposante structure renvoie à une impression de masculinité. Pourtant l’ouverture du milieu est ce qu’il y a de plus féminin. Comme une métaphore visuelle du ventre maternel de la femme avec toute la douceur des parois, espace de toutes les possibilités de vie, de fertilité, de naissance dans son expression la plus originelle. « La femme c’est la vie », souligne-t-il comme une évidence bafouée. The Wall of Hope, il l’a imaginé d’abord pour toutes les femmes de sa vie, sa mère forcément qui n’a pas pu lui transmettre sa nationalité libanaise, mais aussi sa sœur atteinte de drépanocytose, sa fille, et dans un sens plus large, comme une offrande à la Femme avec un grand F.

Des projets d’avenir ? Hady Sy en a plein le cœur. Sans doute se pencher sur l’autre liquide sans lequel aucune forme de vie serait possible : l’eau. Affaire à suivre.

* « The Wall of Hope » est la première pièce d’une expo qui se tiendra à la galerie Saleh Barakat au début de l’année 2020.


1er janvier 1964

Naissance à Beyrouth.

21 janvier 1973

Décès de son père.

8 juin 1982

Fuite forcée de Beyrouth des suites de l’invasion israélienne.

16 septembre 1989

Création du Festival de mode de la photo.

Mars 1998

Direction artistique des 40 ans de YSL.

Décembre 2006

Première expo solo « In God We Trust » à la Ethan Cohen Fine Arts Gallery, à New York, en collaboration avec la chanteuse Camille.

Juin 2007

Le Livre « In God We Trust » fait la une , un mois durant dans la vitrine de la librairie mythique La Hune.

Septembre 2009

Retour à Beyrouth pour le lancement de « One Blood » dans le cadre de la Beirut Art Fair.

Janvier 2017

Lancement de l’expo « Sifr » à la Saleh Barakat Gallery.


http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/



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Depuis quelques semaines, une sculpture géante trône place des Martyrs dans le centre-ville de Beyrouth. C’est dans le cadre de la manifestation artistique annuelle Beirut Art Fair que Hady Sy a dévoilé une installation représentant des barreaux dont ceux du milieu ont été comme volontairement écartés et arrachés pour laisser place, malgré tout, à un vent d’espoir et de liberté....

commentaires (1)

Il me semble l'avoir connu , en tout cas j'ai rencontré ses parents au Sénégal . La famille Sy est une famille vivant à Tivaouane dans la région de Thiès qui abrite la 2eme confrérie dite des Tidjanes et dont l'ancêtre vient du Maroc . D'où le nom Sy qui est une contraction diminutive du terme Fassi , qui veut dire habitant de Fez au Maroc .

FRIK-A-FRAK

12 h 32, le 05 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • Il me semble l'avoir connu , en tout cas j'ai rencontré ses parents au Sénégal . La famille Sy est une famille vivant à Tivaouane dans la région de Thiès qui abrite la 2eme confrérie dite des Tidjanes et dont l'ancêtre vient du Maroc . D'où le nom Sy qui est une contraction diminutive du terme Fassi , qui veut dire habitant de Fez au Maroc .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 32, le 05 octobre 2019

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