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La révolution en marche - L’artiste de la semaine

Sandra Kheir Sahyoun lance son « Cri du cèdre »

Les yeux bandés d’avoir longtemps été dans l’obscurantisme, son cèdre crie l’identité bafouée, la douleur et l’amour du pays. Il est aujourd’hui à l’image du peuple libanais, un

miracle de résilience.

« Le cri du cèdre » de Sandra Kheir Sayhoun.

« Mon histoire est une histoire banale. C’est l’histoire d’un peuple qui a longtemps occulté son identité et s’est laissé sombrer dans une sorte de liquide amnésique sans jamais essayer réellement de comprendre. L’histoire d’un peuple à qui l’on a fait croire qu’il n’appartenait à rien de grand. À un parti peut-être, à une confession, à une famille de politiques, mais jamais à une grande nation. L’histoire du Liban à l’école ne s’est-elle pas arrêtée en 1948 ? Que s’est-il passé depuis ? Pourquoi n’a-t-on pas réécrit l’histoire pour cette génération d’après-guerre qui est la mienne et qui a longtemps cherché des réponses ? » Telles sont les interrogations qui se bousculent dans la tête de Sandra Kheir Sahyoun. Il y a quelques années, elle a trouvé un élément de réponse. « Perdue entre l’Orient et l’Occident, je me contentais d’une peinture sans racines, sans attaches, sans âme, dans une sorte de quête continue. Et puis un jour d’été 2014, alors que je traversais à pied la région des cèdres du Chouf, en passant sous le cèdre dédié au grand poète Lamartine, tout s’est révélé à moi et j’ai compris. J’ai d’abord compris que ce géant avait une vie dont on ignore tout ou presque. Qu’il a été durant des millénaires le témoin de notre histoire. J’ai compris qu’il fallait que je me libère et que la réponse était en lui. Le cèdre n’était plus une simple illustration sur un drapeau, un tampon sur un passeport, un arbre comme il en existe tant. Ce géant avait une vie dont on ignorait tout ou presque, mais qui allait tout m’apprendre. Il est notre père à tous, celui qui détient tous les secrets. »

Crier sa douleur, transcender son amour

Née en 1978, depuis toute petite Sandra Kheir Sahyoun aime peindre. Une passion qu’elle va abandonner momentanément pour les raisons (on connaît la chanson) que brandissent les adultes : l’art ne fait pas vivre. Dans les années 90, elle quitte le Liban avec sa famille pour Paris. En 1993, elle rentre au pays terminer ses études. Elle décroche en 2002 son diplôme en architecture d’intérieur de l’Académie libanaise des beaux-arts. « J’avais très bien réussi et je m’apprêtais à entamer une carrière dans ce métier, ce que j’ai d’abord fait. Mais ma passion a eu raison de moi. Pour moi, la peinture est un art à l’état pur. Le canevas a toujours été la plateforme où je pouvais m’exprimer dans une recherche quasi vitale de ma véritable identité. »

Depuis 2014, son art a changé de direction. L’artiste développe un travail autour du cèdre. Elle s’abreuve de sa sève, se nourrit à ses racines, prends ombrage sous sa mansuétude et lui livre ses angoisses et ses peurs. D’abord des représentations en grand format jusqu’à acquérir une certaine maturité, quand elle essaye de mélanger les techniques ou qu’elle installe des cèdres dans des silhouettes humaines : des hommes, des femme enceintes, un peuple qui se révolte, un femme voilée, Feyrouz ou Gibran (Khalil Gibran, évidemment), d’où son exposition Cedar in Us à Beit Beirut en 2018. « Si j’ai choisi Beit Beirut, c’est parce que cet espace reste le symbole de la mémoire embuée d’un peuple et de son identité fragmentée. » Le message de Sandra Sahyoun est clair : « Le peuple libanais a une identité, elle est puissante, elle est le cèdre! Et à partir du moment où il croit en lui et qu’il le brandit face à toutes les nations, il ne sera que plus fort. C’est un arbre qui n’a pas de religion, pas de confession, c’est l’arbre duquel nous descendons. » Quand elle installe, il y a trois semaines, son cèdre haut de deux mètres à l’entrée du village de Bécharré, c’est un conifère exécuté à partir d’une multitude de petits personnages, représentant toutes les religions et toutes les confessions. Cette sculpture réalisée en métal rouillé n’est pas un art en soi, c’est l’acte et la démarche qui comptent aux yeux de l’artiste. Le cèdre est un message pour le Liban et pour l’humanité. Ce pays est aujourd’hui le laboratoire du monde, celui qui prouve que « le vivre-ensemble » est encore possible.

« Je ne suis qu’une petite goutte »

« J’ai réalisé, ajoute Sandra Sahyoun, que moi toute seule et toute petite dans ma bulle et dans mon atelier, je suis aujourd’hui une goutte comme tant d’autres qui se soulève et qui exprime sa douleur. Aujourd’hui, le peuple a compris que ce n’est pas tout d’appartenir à un parti politique ou à une religion, il faut d’abord appartenir à son pays. Le miracle de la réconciliation à laquelle nous assistons aujourd’hui à travers le Liban est au niveau du peuple et pas au niveau du politique et de ses marionnettistes. La réalité va être difficile, mais sans changement, sans ce cri, sans une identité, on ne peut pas se construire sereinement. »

Ce cri, c’est celui qu’elle a couché sur la toile un visage, bouche béante, mêlé à un cèdre et aux couleurs du drapeau libanais. Une œuvre qu’elle a produite au début de la vaste mobilisation populaire qui traverse tout le Liban depuis jeudi.

Cette sérénité que l’artiste a découverte, elle a voulu la partager avec tous les Libanais. Et d’ajouter : « Mener des révolutions économiques ou ériger des bâtiments ne sert à rien quand les fondations ne sont pas stables, de là toute l’importance de l’art. Churchill, à qui on avait demandé durant la guerre de limiter le budget alloué à la culture, avait répondu : “Alors, pourquoi se bat-on ?” L’art, ce n’est pas faire du joli, ce n’est même pas une langue, c’est un langage. Et mon cri, bandé de rouge sang, de rouge passion, de rouge amour, celui que j’ai couché sur un papier aussi blanc que l’avenir que nous garderons à nos enfants, ce cri s’adresse aux peuples du monde entier, mais laisse résonner avec la révolution actuelle la voix de chaque Libanais. »

1978

Naissance au Liban.

2005

Naissance de son premier enfant.

2006

Première exposition au musée Mouawad.

2014

Découverte des cèdres de Maasser el-Chouf.

2018

Expo intitulée « Le cèdre en nous » à Beit Beirut.

18 octobre 2019

Fière du peuple libanais.


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« Mon histoire est une histoire banale. C’est l’histoire d’un peuple qui a longtemps occulté son identité et s’est laissé sombrer dans une sorte de liquide amnésique sans jamais essayer réellement de comprendre. L’histoire d’un peuple à qui l’on a fait croire qu’il n’appartenait à rien de grand. À un parti peut-être, à une confession, à une famille de...

commentaires (2)

Quel oasis dans ce désert que j'espère se convertira bientôt, grâce à cette révolution pacifique, en un jardin qui ressemblerait à un paradis! Le Liban et son peuple dynamique, courageux, patient et persévérant auront gain de cause parce que leur cause est juste! Félicitations et bravo Mme. Sandra Kheir Sahyoun! Vous rendez l'espoir à la jeunesse libanaise! Merci!

Zaarour Beatriz

20 h 29, le 23 octobre 2019

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Commentaires (2)

  • Quel oasis dans ce désert que j'espère se convertira bientôt, grâce à cette révolution pacifique, en un jardin qui ressemblerait à un paradis! Le Liban et son peuple dynamique, courageux, patient et persévérant auront gain de cause parce que leur cause est juste! Félicitations et bravo Mme. Sandra Kheir Sahyoun! Vous rendez l'espoir à la jeunesse libanaise! Merci!

    Zaarour Beatriz

    20 h 29, le 23 octobre 2019

  • felicitations !

    SERHAL M.

    10 h 48, le 23 octobre 2019

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