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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Face à la dégradation de l’économie, Assad tente de reprendre la main

La monnaie locale a atteint son niveau le plus bas depuis le début de la guerre.

Dans les souks du vieux Damas, la baisse du pouvoir d’achat fait grincer les dents. Louai Beshara/Archives AFP

La livre syrienne vient d’atteindre son niveau le plus bas depuis le début de la guerre en 2011, affichant hier un taux de 683 LS contre 1 dollar américain sur le marché noir. Dimanche, le dollar frôlait dangereusement la barre des 700 LS, avec un taux à 694 LS. « Nous allons atteindre les 700 LS pour un dollar très prochainement », estime un homme d’affaires à Damas, contacté par téléphone, qui a requis l’anonymat. Fin 2018, il fallait 500 LS pour obtenir un dollar alors qu’en mars 2011, au début de la guerre, le dollar s’échangeait à 47 LS. Les huit années de guerre ont laissé un pays exsangue, et malgré la reprise de nombreux territoires des mains des rebelles par le régime de Damas, au cours des trois dernières années, l’épuisement de l’économie est palpable. Deux facteurs expliqueraient la chute brutale de la livre syrienne. En premier lieu : le déclin des réserves de change. « La Banque centrale syrienne n’intervient pas pour stabiliser la monnaie et les gens s’affolent. Les raisons sont très opaques mais nous avons besoin des réserves qui restent. Les gens qui achètent du dollar pensent qu’il n’y a plus assez de réserves pour intervenir », explique Karim*, un ancien du monde de la finance habitant à Alep, contacté via WhatsApp. Selon le site économique en ligne The Syria Report, la dégringolade s’expliquerait aussi par la forte demande de dollars du Liban, dont le système bancaire est privilégié par les importateurs syriens pour leurs transactions.

La seconde raison à l’origine de cette chute historique serait liée à un nouveau tour de vis de la part des Américains, alors que l’économie syrienne est déjà soumise à des sanctions internationales. « Entre 3 et 7 millions de dollars étaient virés chaque jour par les expatriés syriens via les bureaux de change du Liban et des pays du Golfe. Les Américains ont fait pression il y a deux semaines pour interdire ces transactions », révèle l’homme d’affaires à Damas.

Officiellement, il n’est pas possible, par exemple, pour les Syriens au Liban, de transférer des dollars vers les zones gouvernementales à travers des bureaux officiels, puisque les sommes sont immédiatement converties en livres syriennes dans les bureaux syriens. En revanche, la monnaie américaine pénètre sans problèmes dans les zones antirégime via des réseaux officieux de passeurs. « Et les Syriens les plus fortunés envoient leurs dollars à Damas (NDLR : à partir du Liban), en deux heures, par la route », confie une source occidentale. Joel Rayburn, envoyé spécial pour la Syrie au département d’État américain, a martelé hier lors d’une conférence de presse à Istanbul que Washington maintiendra ses sanctions contre le régime syrien et ses bailleurs de fonds.


(Lire aussi : Le torchon brûlerait-il entre Assad et des hommes d’affaires syriens ?)



Prix élevés

Les effets de la dépréciation de la livre syrienne se font durement ressentir parmi la population, très affectée dans son pouvoir d’achat.

« Ce sont les classes populaires qui en bavent quand la monnaie dégringole. Quand j’ai acheté, il y a quelques jours, 12 bouteilles d’un litre de boisson gazeuse qu’on ne trouve pas toujours sur le marché, j’ai senti le commerçant inquiet car il devra racheter sa marchandise à un prix plus élevé. Les commerçants se plaignent de la baisse du pouvoir d’achat. La situation est très triste mais au moins il n’y a plus d’obus », déplore Karim, l’habitant d’Alep.

Alep, la deuxième ville du pays, autrefois poumon économique, est revenue dans le giron du régime en 2016, mais peine terriblement à se remettre des années de destruction. « Les industriels ne sont pas revenus. L’État a juste enlevé les débris et lancé un ou deux projets phares, mais la ville est restée au même stade qu’en 2016 », poursuit-il.

Une nouvelle inflation est à craindre, alors que les pénuries sont nombreuses et que les salaires stagnent. En avril, la grogne avait gagné les grandes villes du pays à cause du manque de fuel et des pressions économiques.

Serait-ce pour répondre à un mécontentement général que l’État s’en serait pris à ceux que de nombreux Syriens considèrent comme les « grands profiteurs de la guerre » et les fers de lance de la corruption ?

Depuis une quinzaine de jours, des rumeurs font état de l’existence d’une querelle entre le pouvoir à Damas et d’importantes familles du milieu des affaires syrien. Victorieux sur le plan militaire, après avoir repris des territoires-clefs des mains des rebelles, grâce à l’intervention de ses alliés russe et iranien, Bachar el-Assad, « qui se sent aujourd’hui assez fort militairement et politiquement, veut reprendre la main sur le champ économique, qu’il avait laissé aux hommes d’affaires proches du régime », explique un économiste à Damas, interrogé par L’OLJ. Une source politique à Damas avait confirmé à L’OLJ fin août une mise au pas de trois hommes et partenaires en affaires : Rami Makhlouf, Houssam el-Katerji et Mohammad Hamcho. Des dizaines d’autres hommes d’affaires qui bénéficiaient jusque-là d’une impunité totale, car protégés par de hauts responsables syriens, pourraient être dans le viseur de l’État, selon l’économiste interrogé. Le risque d’un « Ritz-Carlton syrien » en somme, en référence aux purges initiées en Arabie saoudite par le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane en 2017.


(Lire aussi : Syrie : reconstruire pour punir)


Train de vie démesuré

À Damas, une série de mesures aurait été ordonnée par la présidence contre les actifs de plusieurs des sociétés de Rami Makhlouf, notamment Syriatel, sous couvert de « lutte contre la corruption ».

Selon un commerçant également contacté, l’État aurait en outre repris en main un symbole très fort : les duty free, « véritable machine à ramasser les devises », acquis en 2010 par Rami Makhlouf.

Ce dernier avait revendu en trompe-l’œil à des investisseurs koweïtiens, l’année suivante, toutes ses parts de la société Ramak, qui gérait les boutiques hors taxes situées aux différents points des frontières, ainsi que dans les aéroports internationaux de Damas et d’Alep. Dès les débuts de la répression en 2011, ce dernier s’était délesté, en façade du moins, de tous ses intérêts commerciaux en Syrie.Le côté ostentatoire de certains businessmen ou de leur progéniture, connus pour avoir profité des faveurs du pouvoir et s’être enrichis durant la guerre, ne serait pas perçu d’un bon œil. Les photos de Mohammad et Ali Makhlouf, fils de Rami, publiées sur leurs comptes Instagram respectifs, exhibant leur train de vie démesuré, jure avec l’austérité et la pauvreté dans lesquelles le pays est plongé.

« Makhlouf et Assad, c’est comme entre Hafez et Rifaat. Hafez faisait profil bas et était humble alors que Rifaat, c’était le nouveau riche », ironise Karim. Connu pour être l’homme le plus fortuné de Syrie, Rami Makhlouf a profité de la libéralisation du pays avec la bénédiction de son cousin, le chef de l’État.

« En prenant des mesures contre les tycoons les plus en vue alors qu’il s’apprête à gagner la guerre, Bachar envoie un message aux hommes d’affaires syriens qui s’en sont mis plein les poches ces huit dernières années », confie une source proche du pouvoir. L’État espère clairement reprendre la main et renflouer ses caisses en ponctionnant tous ceux « qui ont profité de cette guerre pour s’enrichir et travailler en dehors du cadre légal ».

*Le prénom a été changé.




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commentaires (8)

Titi titi metl ma re7te metl ma jite! Ils ont tout cassé pour qu’après 8 ans rien ne change en Syrie. Le régime restera, fera semblant de changer quelques petites choses et au final les Syriens se retrouveront sous le joug des Assad pour encore quelques années. Ils prendra de la main droite ce qu'il leur rendra de la gauche sous prétexte de reconstruction. Sa famille perdra quelques millions aujourd'hui pour faire bonne figure, puis Assad octroiera les adjudications pour la reconstruction etc... a leurs sociétés bien entendu enregistrées en d'autre nom de façade. Et le comble c'est que lui paraîtra comme un héros aux yeux des imbéciles qui le soutienne ou même aux pauvres gens qui se sont retrouve sans rien a cause de lui au départ et qui n'ont pas le choix!

Pierre Hadjigeorgiou

12 h 27, le 11 septembre 2019

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Commentaires (8)

  • Titi titi metl ma re7te metl ma jite! Ils ont tout cassé pour qu’après 8 ans rien ne change en Syrie. Le régime restera, fera semblant de changer quelques petites choses et au final les Syriens se retrouveront sous le joug des Assad pour encore quelques années. Ils prendra de la main droite ce qu'il leur rendra de la gauche sous prétexte de reconstruction. Sa famille perdra quelques millions aujourd'hui pour faire bonne figure, puis Assad octroiera les adjudications pour la reconstruction etc... a leurs sociétés bien entendu enregistrées en d'autre nom de façade. Et le comble c'est que lui paraîtra comme un héros aux yeux des imbéciles qui le soutienne ou même aux pauvres gens qui se sont retrouve sans rien a cause de lui au départ et qui n'ont pas le choix!

    Pierre Hadjigeorgiou

    12 h 27, le 11 septembre 2019

  • On voit déjà poindre la lumière des autres horizons qui affichent: corruption, privilèges et repression des récalcitrants par les multiples héros de ce paradis...retrouvé...??? Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 25, le 10 septembre 2019

  • C est la main mise sur toute l economie syrienne des proches de Bashar Al Assad de Damas et la misere consecutive du peuple qui a entraine les premieres manifestations en 2011 ....ces memes personnes se sont ensuite encore plus enrichies pendant la guerre .... Lorsqu un pays est bien gere economiquement,il ne subit aucune tentative de destabilisation.

    HABIBI FRANCAIS

    13 h 47, le 10 septembre 2019

  • Comment voulez vous qu'il en fut dans une situation de guerre permanente, que l'économie puisse être reluisante ? C'est quoi ces analyses à la va vite ? La Syrie du héros BASHAR EL ASSAD ne se place plus dans l'orbite des économies d'avant guerre ou de guerre actuelle , cette économie souffre certes mais elle est orientée vers d'autres horizons , voilà ce qui fait souffrir cet occident prédateurs qui a foiré dans son complot . Et bien d'autres aussi .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 26, le 10 septembre 2019

  • Alors que la Russie joue son avenir géopolitique au Moyen-Orient avec son intervention militaire pour soutenir le régime de Bachar el-Assad, la Chine mise sur les perspectives économiques de la Syrie d'après-guerre. Et elle a déjà les premières bases d'une stratégie pour (re)construire les infrastructures. Il s’agit également pour les entreprises chinoises d’occuper de nouveaux marchés moins concurrentiels et plus ouverts aux entreprises chinoises telles que Huawei.

    Chucri Abboud

    09 h 01, le 10 septembre 2019

  • Alors que la Russie joue son avenir géopolitique au Moyen-Orient avec son intervention militaire pour soutenir le régime de Bachar el-Assad, la Chine mise sur les perspectives économiques de la Syrie d'après-guerre. Et elle a déjà les premières bases d'une stratégie pour (re)construire les infrastructures. Il s’agit également pour les entreprises chinoises d’occuper de nouveaux marchés moins concurrentiels et plus ouverts aux entreprises chinoises telles que Huawei.

    Chucri Abboud

    08 h 57, le 10 septembre 2019

  • IL FAUT UN CHANGEMENT RADICAL EN SYRIE ET LE DEPART DE TOUTES LES FORCES NON SYRIENNES DE CE PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 39, le 10 septembre 2019

  • Super intéressant : on y apprend plein de choses y compris sur les relations informelles entre les systèmes économiques libanais et syrien, des infos qu'on ne lit nulle part ailleurs.

    Marionet

    08 h 05, le 10 septembre 2019

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