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Lifestyle - La mode

La mode message d’Ahmed Amer

Il fait mode de tout bois ou, plutôt, de tout bois il fait une mode. Ahmed Amer est un créateur atypique tel qu’en produit abondamment la jeune scène libanaise. Son parcours, de l’architecture d’intérieur à la couture, en témoigne. Illustrateur, « perfomer », architecte de silhouettes, il est avant tout activiste, et tout ce qu’il crée est message.

À peine obtenu son diplôme en architecture d’intérieur à l’Université libanaise, Ahmed Amer ne peut se résoudre à abandonner son rêve de devenir créateur de vêtements. C’est ainsi qu’il se tourne vers Creative Space Beirut, une structure d’enseignement gratuite dédiée à la mode qui célèbre cette saison ses dix ans d’existence. Créée à Beyrouth par Sarah Hermez avec l’aide de Caroline Simonelli, son professeur et mentor, CSB reflète l’esprit polyvalent de sa fondatrice, elle-même diplômée en mode à Parsons New York avant d’enchaîner avec des études en média et cultures à Eugene Lang. L’idée de CSB lui est venue avec l’envie de partager et de transmettre, et la conviction ferme et profonde que l’instruction doit être accessible à tous. Pari gagnant puisque, à peine sortis de l’atelier, les étudiants cartonnent. Il n’est que de citer, parmi eux, Roni Hélou, récemment lauréat du concours Fashion Trust Arabia.

Ahmed Amer, pour sa part, n’est pas en reste. Sa collection de diplôme, présentée en 2017 rue Foch, dans un espace guérilla transformé en grotte, montre déjà l’activiste qui perce sous le créateur, l’illustrateur qui s’en donne à cœur joie sur les tissus du couturier et l’œil de l’architecte dans la rigueur des patrons. Cette collection, baptisée Corruption, est déjà un manifeste à part entière : des personnages obèses sont brodés sur de sublimes ensembles monochromes inspirés du kimono. La corruption, source de l’injustice sociale, est ici dénoncée à travers l’un des signes de richesse extérieure les plus évidents : le vêtement. Suivront d’autres projets et collaborations, notamment la création des costumes de scène de Ali Chahrour pour une chorégraphie présentée à l’Institut du monde arabe à Paris, ainsi que des performances d’illustration spontanée lors des concerts de Vladimir Kurumilan. La singularité et la maîtrise d’Ahmed Amer lui attirent le désir de labels établis qui lui proposent la création de capsules. Ainsi du multimarques de luxe Santiago pour lequel il crée une collection, entre vêtements et tableaux brodés, intitulée Your Inner Mairmaid Breezes In. Cette collection, suivie d’une capsule pour Black Velvet, inaugure un nouveau combat en faveur de l’autonomisation et du renforcement des femmes. Ils se traduisent en robes et tailleurs-pantalons sublimement coupés et brodés, de motifs marins pour les premiers et de graffitis déjantés pour les seconds. Faciles à porter, les blazers déstructurés se nouent avec une ceinture, et les robes, fluides, soulignent une féminité puissante et résolue. Le créateur nous en dit davantage.

Parlez-nous de votre parcours

Je suis un créateur de mode et illustrateur indépendant. En tant que créateur de mode, je développe des lignes de prêt-à-porter selon un processus organique plutôt que structuré. Ces collections comprennent des tenues pour hommes et femmes, et pour les deux à la fois. Mes collections sont toujours inspirées par les personnes qui m’entourent, par des événements, positifs ou négatifs, qui se produisent dans ma vie personnelle et/ou par les problèmes de société qui nous concernent en tant que citoyens au Liban. Non seulement je travaille à la création de mes propres lignes, mais je cherche aussi continuellement à collaborer avec des boutiques et d’autres créateurs de mode. Je m’efforce également de travailler avec des artistes de la scène libanaise (par exemple des danseurs, des metteurs en scène) pour lesquels je crée des costumes qui correspondent au thème et à la vision de leurs performances.

En tant qu’illustrateur, je crée des illustrations qui me permettent de transmettre un message à travers mes créations de mode. Illustrer est une technique essentielle que j’ai développée et enseignée au fil de mon parcours et qui m’a aidé à réaliser ma vision en matière de mode. C’est la base de mon travail. De plus, je travaille actuellement en tant qu’instructeur en illustration de mode chez Creative Space Beirut. Je collabore également avec des musiciens lors de performances au cours desquelles je réalise en direct des esquisses de mes illustrations inspirées par leur musique».

Quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit quand vous pensez à Creative Space Beirut ?

Quand je repense à CSB, le premier mot qui me vient à l’esprit est « chez moi ». Mon parcours de trois ans à CSB a été pour moi l’expérience de toute une vie. Au cours de ces trois années, j’ai appris tout ce qui m’a aidé à devenir la personne que je suis aujourd’hui. J’ai travaillé sur moi-même en tant que personne, développé mes compétences en tant qu’illustrateur et designer, et développé ma marque. Je considère CSB comme un navire qui m’a rempli d’une immense énergie créative et nourri mes rêves d’une manière que j’essaie encore de comprendre. La particularité de ce navire est que tout le monde y contribue, et les résultats changent la vie de chacun, à chaque fois. J’ai l’impression d’avoir mûri à bien des égards. CSB m’a permis de me sentir prêt à assumer mes responsabilités en tant que designer.

À quel moment avez-vous décidé de vous servir de la mode comme manifeste et véhicule d’idées ?

Auparavant, je travaillais dans une ONG avec laquelle je m’occupais de différents problèmes de société (par exemple la violence, la corruption, le droit d’expression). Ces problèmes m’ont vraiment touché et j’ai ressenti le besoin de les aborder et de garder le message vivant au cœur de la vie quotidienne des gens. Tout au long de mon parcours à CSB, j’ai appris que je pouvais faire passer la mode au niveau supérieur et transmettre un message à travers le vêtement. J’ai également choisi le prêt-à-porter car il peut être porté à différentes occasions. Les messages que je souhaite transmettre par le biais de mes vêtements et collections de mode sont des messages sur lesquels je souhaite sensibiliser en permanence. Je voudrais que les gens transmettent ces messages tant dans leur vie quotidienne qu’au cours de nombreux événements quotidiens.

Comment s’est développée l’idée de votre collection de diplôme ?

Le thème de cette collection évolue autour de la structure corrompue de ce pays, toute de violence, de destruction et de violation des principes. Je me suis interrogé sur la solution qu’on pourrait apporter à ce désastre structurel et ses ramifications. J’ai décidé d’y faire face à travers la satire. J’ai imaginé un monde où chaque individu serait connecté, à travers une puce, à une « puce matricielle » qui récompenserait ou punirait leurs actes. Ma vision était constituée d’un code de quatre couleurs, chacune représentant une certaine énergie : rouge pour la joie, noir pour le besoin de changement, olive pour la sagesse et la stabilité, blanc pour la pureté et la transparence. Mon dernier modèle était d’un blanc troublé, symbole de l’impossibilité de rêver de transparence et de pureté tant qu’aucune action n’est entreprise pour y parvenir. La solution est dans la prise d’initiatives et non dans la passivité du rêve.

Les illustrations / broderies étaient des projections du chaos dans lequel nous vivons. Elles véhiculaient des images d’êtres peu attrayants, sourires narquois et membres envahissants. Ces êtres ressemblaient aux facteurs de corruption que nous avons appris à reconnaître. Je les ai utilisés pour montrer comment ces images de corruption étaient partout et dans tout, en particulier à travers les tenues blanches sur lesquelles elles ont laissé, à mon avis, un impact clair et mémorable.

Plutôt illustrateur ou plutôt styliste ?

Je joue les deux rôles, en fait, simultanément. Chacune de mes compétences nourrit l’autre. En tant que styliste, je suis continuellement à la recherche d’une manière de transmettre un certain message ou une inspiration. Mes illustrations m’aident à le visualiser.

Vous avez collaboré avec Ali Chahrour sur les costumes de sa chorégraphie « Leil ». Quelles ont été les difficultés de cette expérience ?

Que vous a-t-elle apporté ?

Transmettre un concept qui n’était pas forcément le mien a constitué pour moi toute une nouvelle expérience. En même temps, j’essayais d’intégrer mon propre concept dans les costumes de scène réalisés pour Ali Chahrour. Il y avait un défi à concevoir des costumes qui devaient refléter à la fois la personnalité de chaque danseur et l’idée générale du chorégraphe. Il y avait un autre défi qui consistait à faire en sorte que les costumes soient puissants sans faire de l’ombre aux autres éléments de la mise en scène (éclairage, scénographie…). Il a fallu pour cela travailler non plus en solo, mais en collaboration continue avec toute l’équipe en prenant en compte les souhaits et la vision de chacun.

Parlez-nous de votre collaboration avec Santiago…

Les responsables de Santiago m’ont approché parce qu’ils aimaient mes illustrations et la manière dont je les intégrais dans mes modèles. J’ai été motivé de travailler pour eux parce que leurs modèles sont très féminins et que j’aime cette féminité du vêtement.

… avec Black Velvet

J’ai eu envie d’appliquer ma méthode au costume, à l’uniforme. J’ai créé des illustrations, des gribouillages que j’ai appliqués à des tailleurs-pantalons, non plus en broderies comme j’ai coutume de le faire, mais cette fois en imprimant les tissus. J’ai surtout voulu me concentrer sur une ligne purement esthétique, sans message spécifique. Quelque chose de nouveau et dans la tendance.

Quelle est votre vision de la mode des prochaines années ?

La mode est en évolution continue. Elle est mieux comprise par le public comme support de messages, comme une manière d’attirer l’attention sur les problèmes de notre époque et même comme moyen d’expression de soi. Je voudrais contribuer à ce que les gens perçoivent le vêtement non seulement comme un objet de mode et de couture, mais aussi comme un moyen puissant de transmettre quelque chose.

Qu’est-ce qui vous stimule ?

Les relations, la famille, la beauté des liens entre familles. La beauté et la difficulté des relations humaines. La manière dont naissent l’amour et l’amitié.

Votre projet en cours ?

Je travaille actuellement sur ce qu’on pourrait appeler une marque « d’art de vivre ». Il s’agit d’un ensemble de projets pour lesquels je souhaiterais collaborer avec des concepteurs d’objets, de produits, de meubles et de luminaires de manière à ce qu’il en ressorte un ensemble reflétant notre identité en tant que créateurs beyrouthins. J’aimerais ainsi utiliser la méthode avec laquelle je crée moi-même mes collections pour concrétiser cette idée.



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c'est beau

Eddy

10 h 28, le 14 août 2019

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Commentaires (1)

  • c'est beau

    Eddy

    10 h 28, le 14 août 2019

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