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Économie - Décryptage

Budget 2019 : les objectifs fixés sont-ils réalistes ?

Plusieurs observateurs doutent de la fiabilité et de la faisabilité du projet de loi de finances.


Le ministère libanais des Finances. Photo d’archives C.Hd

Alors que les députés s’apprêtent à examiner en détail, la semaine prochaine, le projet de budget de 2019 adopté le 27 mai dernier en Conseil des ministres, les objectifs comptables fixés par le gouvernement soulèvent plusieurs interrogations quant à leur faisabilité. « Les chiffres du budget sont irréalistes et incomplets », dénonçait encore hier l’ancien député Robert Fadel lors d’une conférence de presse du Bloc national. La semaine dernière, c’était le leader des Kataëb et député Samy Gemayel qui accusait le gouvernement d’avoir « triché sur les chiffres du budget ».

En cause, les estimations de la croissance économique, de l’inflation et du déficit public sur lesquelles se base l’exécutif pour prévoir un ratio déficit public/PIB à 7,5 % pour l’année 2019. Ce qui lui permet d’envoyer « un signal positif » aux donateurs de la conférence de Paris (dite CEDRE en avril 2018) sur son intention de respecter l’engagement pris en termes de réduction du déficit public sur les cinq années à venir, pour reprendre les termes du communiqué émis par l’ambassade de France au Liban saluant l’adoption du projet de budget en Conseil des ministres.


(Lire aussi : Budget 2019 : la commission des Finances tiendra neuf séances la semaine prochaine)


• Sur la croissance

Le projet de budget table en effet sur une croissance du PIB de 1,21 % pour l’année en cours, alors que celle-ci n’a pas dépassé les 0,2 % en 2018, selon la Banque mondiale. Le gouvernement justifie cette estimation en misant sur une reprise de l’activité économique portée essentiellement par le secteur touristique : « Les attentes sont positives. Les professionnels nous confirment que les taux de réservation des hôtels pour la période estivale sont encourageants, et nos consulats font état d’une hausse accrue des demandes de visa », assure Nadim Mounla, le conseiller spécial du Premier ministre Saad Hariri. « Nous prévoyons aussi que les mesures de lutte contre l’évasion fiscale, et surtout contre la contrebande, prévues dans le projet de budget nous permettront d’agrandir la taille de l’économie formelle et donc le PIB officiel », poursuit-il. M. Mounla évalue la taille du secteur informel à 15-20 % du PIB, tandis que l’Administration centrale de la statistique (ACS, rattachée à la présidence du Conseil des ministres) l’estime à 30 % du PIB.

Mais plusieurs économistes et hommes politiques remettent en cause la fiabilité de cette estimation de croissance. « Nous pensons qu’il est très probable que la croissance soit négative en 2019. Hormis le secteur touristique qui se porte bien, tous les indicateurs évoluent négativement : le commerce de détail, l’immobilier, la demande de crédit... Et l’indicateur synthétique de la BDL est à -4,3 % au premier trimestre de 2019, son plus bas depuis sa création en 1993 », alerte un observateur extérieur au Liban sous le couvert de l’anonymat. Une crainte partagée par l’économiste Kamal Hamdan, mais aussi par les conseillers économiques du CPL et du Hezbollah, qui affirment que la croissance sera soit nulle, soit négative en 2019.

Pire encore, selon plusieurs sources concordantes, le gouvernement se serait en réalité basé sur un taux de croissance du PIB à 1,75 %, et non à 1,21 % comme il le mentionne dans le rapport introductif accompagnant le projet de budget. « En partant d’un déficit à 4,53 milliards de dollars et d’un ratio déficit/PIB à 7,5 %, tels qu’estimés par le gouvernement, on parvient donc à un PIB nominal d’environ 60 milliards de dollars, donc à une croissance réelle (en corrigeant l’impact de l’inflation, NDLR) nettement supérieure à 1,21 % », explique l’observateur extérieur précité. Interrogée par L’Orient-Le Jour sur ce point, la conseillère économique de Saad Hariri, Hazar Caracalla, répond que l’estimation de croissance du gouvernement « est alignée sur celle du FMI, qui demeure une estimation prudente ».


(Lire aussi : Moody’s pas vraiment convaincue par le projet de budget pour 2019)


• Sur le déficit public

Le projet de budget table sur un déficit public à 4,53 milliards de dollars, en prévoyant des dépenses publiques à 17,14 milliards de dollars et des recettes publiques à 12,61 milliards de dollars.

- Or s’agissant des recettes publiques, elles augmenteraient de 9 % par rapport à 2018, selon plusieurs sources concordantes ayant eu accès aux comptes publics de décembre 2018, « qui sont déjà disponibles au ministère des Finances et dans certaines ambassades, mais qui n’ont pas encore été publiés officiellement ni transmis aux députés », s’est indigné hier Robert Fadel. Selon lui, « les recettes ont été gonflées de 1 000 milliards de livres (663 millions de dollars) dans le budget de 2019, tout comme elles l’avaient été de 1 200 milliards de livres (796 millions de dollars) dans le budget de 2018 ». Rejoignant les réserves exprimées par Samy Gemayel la semaine dernière, Robert Fadel a indiqué craindre que les mesures fiscales prévues dans le projet de budget se traduisent par une baisse des recettes plutôt que par une hausse, « comme cela a été le cas en 2018 (par rapport à 2017, date à laquelle de nouvelles taxes ont été adoptées) ». Par exemple, « les revenus issus de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux ont baissé de 30 % en 2018 en glissement annuel, malgré le fait que le taux avait été relevé de 15 à 17 % en 2017 », illustre Kamal Hamdan.

En cause, une situation économique difficile. « Nous doutons de la fiabilité de l’objectif car il est très compliqué d’augmenter les recettes dans un contexte de croissance nulle. Les nouvelles taxes entraîneront une hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat », considère l’observateur extérieur.

Autant de réticences balayées par Nadim Mounla : « Les mesures fiscales prévues dans le budget de 2019 sont ciblées et seront prélevées directement, à l’instar de l’impôt sur les pensions de retraite ou de la taxe sur la valeur des importations. » « Contrairement aux mesures fiscales votées en 2017, leur collecte sera donc plus facile à assurer et les prévisions de recettes se révéleront plus précises », assure également Abdel Halim Fadlallah, président du Centre de consultations pour les études et la documentation du Hezbollah.

- En ce qui concerne les dépenses publiques, prévues dans le projet de budget de 2019, plusieurs sources concordantes ont indiqué à L’Orient-Le Jour que celles-ci ont été sous-estimées. D’autant plus que les données sur le décaissement des dépenses sur les premiers mois de l’année 2019 ne sont pas disponibles.

Pour les transferts à Électricité du Liban, « ils ont atteint 2 700 milliards de livres en 2018, et le projet de budget de 2019 les prévoit à 2 500 milliards de livres. Ce n’est pas réaliste de penser que ces transferts vont baisser car la demande va augmenter, les tarifs vont stagner (une augmentation est prévue en 2020 par le plan Boustani, NDLR) et que le prix moyen du fioul va, dans le meilleur des cas, stagner à 65-70 dollars le baril », fait remarquer la source extérieure au Liban.

De même pour le service de la dette : « Le paiement des intérêts (sans prendre en compte le principal) est passé de 7 521 milliards de livres en 2017 à 8 656 milliards de livres en 2018, soit une hausse de 8,4 %. Dans le projet de budget de 2019, il est estimé 8 214 milliards de livres. Ce n’est pas réaliste car, d’une part, le stock de la dette va forcément augmenter puisque le déficit public n’est pas résorbé, et, d’autre part, car le taux d’intérêt moyen connaît une tendance à la hausse. Donc il est très peu probable que ce poste de dépenses stagne ou baisse », relève la même source.

Le projet de budget de 2019 prend en considération l’opération d’échange de titres prévue entre le ministère des Finances, la Banque du Liban et potentiellement les banques commerciales, portant sur des bons du Trésor à taux réduits (à 1 %) d’une valeur de 11 000 milliards de livres libanaises, soit plus de 7,2 milliards de dollars. « Les banques n’accepteront pas de souscrire à de tels titres, et ce sera donc à la BDL de le faire, alors que celle-ci a vu ses réserves en devises baisser de 10 milliards de dollars en un an. Nous ne ferons que transférer le coût de la dette du budget de l’État au budget de la BDL, qui demeure aussi une entité publique », a dénoncé Robert Fadel. Interrogé à ce sujet, Nadim Mounla a indiqué que « les négociations étaient toujours en cours et que l’État ne contraindra pas les banques à souscrire à ces bons du Trésor ».

Autant de réserves qui remettent en question la fiabilité des chiffres prévus dans le projet de budget de 2019, et donc l’objectif de ramener le déficit public à 7,5 % du PIB pour l’année en cours. En effet, Standard & Poor’s (S&P) estime que ce ratio sera à 10 % en 2019, tandis que Fitch table sur 9 %. Les donateurs de la CEDRE ont, quant à eux, demandé à la mission du FMI (attendue au Liban vers le 18 juin dans le cadre des consultations annuelles au titre de l’article IV) de prendre connaissance du budget afin de vérifier sa sincérité, sa crédibilité et sa faisabilité.

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commentaires (5)

Waouw, excellent papier, de plus lisible même pour les néophytes et qui prend en compte tous les avis autorisés !

Marionet

15 h 20, le 08 juin 2019

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Commentaires (5)

  • Waouw, excellent papier, de plus lisible même pour les néophytes et qui prend en compte tous les avis autorisés !

    Marionet

    15 h 20, le 08 juin 2019

  • Il est primordial d’insuffler de l'optimisme au lieu de descendre en feu ce projet de budget. Maintenant on passe à la phase de l'action. Dites Inchallah parce que plus personne ne peut faire quoique ce soit pour changer en profondeur ce budget. La place des critiques était en amont pas en aval. Maintenant les dès sont jetés.

    Shou fi

    11 h 35, le 08 juin 2019

  • A la lecture de cet article, bien étayé, on ne sait plus qui croire ou quoi penser. En revanche, on est sûr d’une chose, notre pouvoir d’achat va certainement baisser car nous allons être imposés d’avantage et devrons payer plus de taxes. Les simples citoyens que nous sommes comprendront tout de suite que la conséquence sera un ralentissement de l’économie puisque moins de consommation. Mais tous les ‘savants’ dont les noms sont cités dans cette article sauront faire de belles phrases pour prouver le contraire car en tous cas il n’y a personne qui leur demandera des comptes le jour venu

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 05, le 08 juin 2019

  • JE SUIS... OISEAU DE MAUVAIS AUGURE ?... LE SEUL A REPETER QUE CE PROJET DE BUDGET VA ECHOUER CAR BATI SUR DES MESURES D,INTENTION PLUTOT QUE SUR DES MESURES CONCRETES ET AU COMPTANT. EDL, SECTEURS PUBLICS, AEROPORT ET PORTS, TRAFICS DE TOUTES SORTES, ACCAPAREMENT DU LITTORAL, DEPENSES PUBLIQUES ETC... ETC... ETC... TOUT DOIT ETRE ASSAINNI ET CONTROLE. UN TRAVAIL D,HERCULE URGENT POUR QUE LES MINCES MESURES POINT SUFFISANTES AIENT QUELQUE MAIGRE RENDEMENT. LES DONATEURS ET LES INVESTISSEURS NE SONT PAS DES SOCIETES DE BIENFAISANCE. UNE DES TRES RARES MESURES CONCRETES EST L,AUGMENTATION A 10PCT DE LA TAXE SUR LES DEPOTS BANCAIRE, MESURE QUI VA AFFECTE NEGATIVEMENT LES TRANFERS DE LA DIASPORA VERS LES BANQUES LIBANAISES. POUR CLOTURER JE REPETE QUE CE PROJET DE BUDGET AVEC SES MESURES ET REFORMES EST UN PROJET DE LA BLAGUE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 01, le 08 juin 2019

  • Le vrai indicateur que le budget n'est pas réaliste repose sur le fait qu'on entend plus parler du budget alors que des politiciens en repris leurs querelles intestinales. Très peu se mettent au travail et les magistrats sont en grève. Nous sommes en Juin 2019 et l'exécutif n'explique pas comment compenser les six mois perdus de l'année. La baisse du deficit budgétaire est basée sur l'augmentation des recettes de l'état sauf que le pouvoir d'achat des Libanais est en baisse... depuis 2011. La croissance frôle le 1% alors que l'inflation sur les douze derniers mois est de 4%. Les comptes ne sont pas bon.

    Zovighian Michel

    03 h 54, le 08 juin 2019

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