Les réunions successives – qui devraient se prolonger jusqu’au week-end – du Conseil des ministres pour étudier le projet de loi sur le budget visent à donner aux Libanais le sentiment d’un effort exceptionnel de la part de leurs responsables. Il n’y a jamais eu auparavant des réunions aussi intensives consacrées à l’examen du budget. Ce rythme est destiné d’une part à calmer les esprits enfiévrés par toutes les rumeurs catastrophiques véhiculées dans les médias et d’autre part à envoyer le plus rapidement possible le projet de loi au Parlement, alors que le jeûne du ramadan commence la semaine prochaine et qu’en même temps, la communauté internationale montre des signes d’impatience.
Mais en dépit de ces efforts, le malaise populaire persiste et si chaque camp a désormais ses experts économiques qui défendent sa vision, les quelques rares indépendants affirment que le projet 2019 ressemble énormément à celui de 2018 avec juste quelques améliorations superficielles et des coupures budgétaires minimes, alors qu’il aurait fallu procéder ou initier de véritables réformes. Pour ces spécialistes économiques, les bases mêmes du système économique qui a permis aux leaders confessionnels de consolider leur pouvoir sur les différentes communautés et sur les institutions publiques ne sont pas ébranlées. Ce qui signifie que le Conseil des ministres devrait cette année faire quelques économies, sans toutefois donner l’impulsion pour des changements structurels qui permettraient de relancer l’économie du pays au cours des prochaines années. Il s’agirait donc en quelque sorte de mesures de survie, non de changements réels, qui ne feront que retarder les véritables échéances au lieu de chercher à les traiter.
Les spécialistes économiques qui ne relèvent d’aucun parti ou camp politique précisent à cet égard que le projet en train d’être examiné par le Conseil des ministres comporte de petites améliorations sans plus. Selon eux, cette approche superficielle est probablement due à plusieurs facteurs : d’abord la crainte des grands changements, ensuite la volonté de maintenir le système actuel et enfin à une certaine incompétence. Exactement comme cela s’est passé pour la nouvelle échelle des salaires adoptée en août 2017 qui a été basée sur une mauvaise estimation des chiffres et qui s’est avérée bien plus coûteuse que prévu.
D’ailleurs, le plus curieux, toujours selon les spécialistes économiques indépendants, c’est qu’au Liban, il n’y a pas de chiffres exacts, mais des approximations. Chaque responsable donne un chiffre concernant le nombre total des fonctionnaires et, jusqu’à présent, nul n’a répondu à la demande du président de la commission parlementaire des Finances Ibrahim Kanaan de faire un état des lieux complet des différentes administrations pour voir où se situent les postes vacants et où ont été embauchés les fonctionnaires en surplus.
Mais le plus grave, estiment les spécialistes, c’est que le projet présenté, comme l’action gouvernementale en général, manque de vision globale. L’idée directrice est de parer au plus pressé, pour permettre au Liban de profiter des crédits et des projets promis dans le cadre de la conférence CEDRE (qui sont une priorité pour le Premier ministre Saad Hariri) sans aller au-delà, vers un véritable plan de relance économique.
Pourtant, c’est bien ce que le président de la République avait demandé. Il est apparemment le seul à avoir une vision globale non seulement de l’économie mais aussi de la situation en général. Pour le chef de l’État, et il n’a cessé de le répéter dans tous les discours qu’il a prononcés à des tribunes internationales, la région traverse actuellement une période particulièrement délicate, au cours de laquelle l’administration américaine cherche à régler une fois pour toute le conflit israélo-palestinien à travers ce qui a été appelé « le deal du siècle ». Comme la plupart des pays arabes n’ont plus les moyens de s’opposer à ce projet, il ne reste plus aux Américains qu’à chercher à affaiblir ceux qui pourraient le faire, notamment l’Iran et ses alliés dans la région. Le Liban est directement concerné par ce plan américain d’abord, parce que le règlement du conflit israélo-palestinien selon la vision américaine passe par l’implantation des réfugiés palestiniens dans les pays d’accueil, et ensuite parce que le Hezbollah constitue une force qui pourrait menacer la réalisation du fameux deal. Dans leurs estimations, les Américains avaient prévu un recul dans la popularité du Hezbollah qui se traduirait à travers les élections législatives, tout comme ils avaient prévu que le Hezbollah, et avec lui les Iraniens et les Russes, s’enliseraient dans les sables mouvants syriens. Mais rien de tel n’a eu lieu et, finalement, il leur reste la menace des sanctions économiques avec lesquelles les Américains veulent affaiblir ceux qui pourraient s’opposer à leurs projets et à leurs plans pour la région. C’est pourquoi le chef de l’État appelait à faire attention à une volonté internationale d’en finir avec la cause palestinienne, au détriment des intérêts arabes, en utilisant l’arme économique. Or le Liban est fragilisé par un système qui favorise la corruption, par les divisions confessionnelles et surtout par la présence sur son sol de plus d’un million et demi de déplacés syriens avec l’interdiction d’entamer un processus de retour, tant que le régime actuel est en place à Damas.
Face à cette menace réelle qui pèse sur l’ensemble de la région, il aurait sans doute fallu des mesures d’exception. Mais la plupart des forces politiques, représentées d’ailleurs au Parlement et au gouvernement, continuent à se comporter en ne tenant compte que de leurs intérêts propres... Toutefois, les discussions ne sont pas encore terminées, en Conseil des ministres et encore moins au Parlement. Ce qui laisse encore la porte ouverte au changement.
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commentaires (6)
Une seule phrase de cet article résume parfaitement la situation de notre pays: "...mais la plupart des forces politiques, représentées d'ailleurs au Parlement et au gouvernement, continuent de se conporter en ne tenant compte que de leurs intérêts propres..." Y-compris le premier responsable du Liban, qui est censé être au-dessus de la mêlée ! Irène Saïd
Irene Said
15 h 04, le 03 mai 2019