L’installation de la statue de Hafez el-Assad, dimanche dernier, à Deraa. Photo Zouhir al-Shimale
En mars 2011, ils avaient démoli la statue de celui dont ils osaient à peine prononcer le nom. Huit ans plus tard, la statue de l’ancien président syrien Hafez el-Assad a regagné sa place à Deraa, le berceau du soulèvement contre le régime de Damas. Pour célébrer l’événement, l’État avait donné aux écoles et aux fonctionnaires un jour férié, dimanche dernier (le dimanche étant un jour ordinaire en Syrie, où le vendredi est chômé). C’est une tout autre réaction qu’il a toutefois récoltée. Des dizaines de personnes ont manifesté leur colère dans les rues de la ville le 10 mars, suite à ce qu’elles considèrent comme un affront. La photo de l’installation du monument en bronze à l’effigie du père de l’actuel président Bachar el-Assad et des vidéos de manifestants scandant « La Syrie est à nous et non pas à la maison des Assad » ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux. Des protestations contre ce qu’ils estiment être le retour d’un « passé inopportun », qui vient entacher l’accord dit de « réconciliation » entrepris par le régime, sous la houlette de son parrain russe, depuis la reconquête de la province en juillet dernier après une offensive éclair mais dévastatrice. Les opposants avaient alors eu le choix entre quitter la région pour rejoindre Idleb, le dernier bastion de l’opposition, ou accepter l’offre d’amnistie. Symboliquement, la reprise de Deraa par les forces de Bachar el-Assad a été un coup dur porté à l’insurrection. « Quand ils ont vu la statue érigée de nouveau, les gens de Deraa se sont sentis insultés. Ils ont pensé à ce jour où ils l’avaient vue tomber, mais aussi à tous les martyrs de la révolution », confie Houssam* via WhatsApp, un activiste originaire de la ville, qu’il a quittée en montant dans les bus verts en partance pour Idleb. Il est aujourd’hui réfugié en Turquie. « Remettre la statue quelques jours avant la date anniversaire symbolique du début de la révolution, le 15 mars, a provoqué l’ire des gens », raconte de son côté Abou Mohammad, un habitant du camp palestinien de Deraa.
Jour magnifique
Le chef de l’opposition syrienne en exil, Nasr Hariri, a salué, dimanche sur Twitter, le courage des manifestants. « Après des années de torture, de souffrance, d’assassinats, de déplacement et de destruction, le printemps syrien fleurit de nouveau », a-t-il écrit. Lundi, des centaines de personnes sont descendues dans les rues de Tafas, petite ville au nord de Deraa, aux chants des slogans de la première heure, et ce en dépit de la présence des forces de police. « Je me souviens du jour où la statue de Hafez est tombée comme d’un jour magnifique », décrit Abou Mohammad, qui a été blessé par des balles tirées par les forces armées contre les manifestants. Après huit années de souffrance, d’espoir et de désillusions, il croit entrevoir aujourd’hui une résurgence de la résistance populaire dans la région. Il n’a pas participé aux manifestations récentes par crainte d’être arrêté. « Je poursuis mes études en zones sous contrôle du régime », confie-t-il. Avec le retour du régime dans la région, le climat de peur a regagné les foyers, les habitants craignant de s’étendre trop longtemps sur la situation auprès de journalistes étrangers, et ce même anonymement. Toutes les personnes contactées habitant à Deraa, excepté Abou Mohammad, ont refusé de répondre à nos questions par peur de représailles. Derrière le mécontentement survenu suite à l’érection de la statue se cachent des problématiques plus complexes que dénoncent les activistes : la politique de répression poursuivie par Damas et son incapacité à respecter les termes de l’accord de réconciliation. « L’accord de réconciliation n’est que mensonges, car la politique de répression du régime se poursuit », fustige Abou Mohammad. « De manière générale, l’accord était fragile : les arrestations se sont poursuivies, quoique à un rythme lent, mais elles se sont poursuivies, le régime n’a pas fourni de services ni reconstruit comme il était supposé le faire. Certaines zones sont très marginalisées et les Russes n’interviennent pas beaucoup pour résoudre les problèmes, sauf lors de remises des armes », explique via WhatsApp Abou Ghiath, membre du Bureau de documentation des martyrs de Deraa, une organisation de défense des droits de l’homme. Originaire de la ville, il est réfugié en Europe depuis deux ans, d’où il continue d’opérer.
(Pour mémoire : Assad a gagné sa guerre, mais la paix est encore loin)
Plus rien à perdre
Selon Abou Mahmoud al-Haurani, porte-parole de l’association Hauran libre, du nom de la région s’étendant dans les gouvernorats de Quneitra, Soueida et Deraa, également contacté par L’Orient-Le Jour, plus de 500 personnes auraient été arrêtées par les forces du régime à Deraa depuis le mois d’août, malgré le déploiement de la police militaire russe. « La plupart sont des civils qui n’ont jamais participé à des opérations militaires contre le régime », précise-t-il. « Selon les habitants, les Russes se comportent bien avec eux et les incitent à dénoncer toute exaction des chabihas », précise Houssam. La reconquête du Sud syrien par le régime a été plus rapide et moins destructive que les précédentes offensives contre les fiefs des rebelles. Selon le dernier rapport du Crisis Group, « Lessons from the Syrian State’s Return to the South », l’une des raisons déterminantes qui expliquent cette issue rapide est que les commandants rebelles, dans de nombreux endroits, ont choisi d’accepter les accords de reddition (taswiyat) négociés par la Russie, qui ont restitué les zones qu’ils contrôlaient à l’autorité nominale du gouvernement syrien, et ont permis aux combattants de conserver leurs armes légères. La ville de Tafas ainsi que certains quartiers de Deraa où se sont retrouvés les manifestants ne sont pas soumis au contrôle de l’armée du régime ni des Russes. « Le régime n’a donc imposé aucune répression ni effectué d’arrestations, mais il y a de quoi craindre que cela arrive à l’avenir. Beaucoup de manifestants n’ont plus rien à perdre », relève Abou Ghiath. « Là-bas, ils ont encore leurs armes, et ils n’ont peur de rien », ajoute Houssam.
Fabriquer des statues
En vertu de l’accord signé avec les groupes armés, les institutions de l’État s’étaient engagées à reprendre leur travail dans la région. Plus de six mois plus tard, rien ne semble avoir été fait. « Le régime dépense des millions pour fabriquer des statues au lieu de fournir des services à la population. C’est ce qui les a fait se sentir humiliés et manifester dans les rues », ajoute Abou Ghiath. « Le régime ne parvient même pas à assurer les services de base, tels que l’eau et l’électricité, c’est bien le moment de venir installer ses idoles ! » fustige Abou Mohammad. Le camp palestinien où il vit a été détruit à plus de 80 %. « Nous sommes abandonnés de tous. Nous ne recevons aucune aide, ni de l’État, ni de l’Unrwa (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine), ni de l’OLP ou d’autres factions », déplore le jeune père de famille.
Selon les activistes, les manifestations contre le régime dans la région devraient se poursuivre, notamment vendredi, date symbolique marquant les huit ans de la révolution. Dans la région de Deraa, mais aussi à Afrine, ville du Nord-Ouest syrien sous contrôle turc, où un mouvement révolutionnaire pour la jeunesse a appelé les zones libérées à manifester en soutien à la population de Deraa. Après avoir fait part de son hésitation à rejoindre les protestataires par peur de représailles du régime, Abou Mohammad se rétracte. « Je me fiche de mes études ou de mon avenir. Je descendrai dans la rue quoi qu’il arrive, et inchallah nous ferons retomber la statue de Hafez et tous les symboles du régime », conclut-il.
* Les noms et prénoms ont été modifiés pour des raisons de sécurité
Les assads : on leur crache dans la figure, ils disent qu'il pleut! L'avenir retiendra quand même les statues mais aussi l'Histoire tout comme celles des tyrans d'antan. On voit peu de gens s'émerveiller devant les statues de Caligula et plus de gens qui s'offusquent de son histoire. Bassita.
21 h 11, le 13 mars 2019