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Moyen Orient et Monde - Interview

Ghalioun : Le régime syrien n’est plus que l’ombre de lui-même

Pour l’ancien chef de file de l’opposition syrienne, les dissensions entre les opposants ont été aggravées par l’intervention des puissances arabes et étrangères qui poursuivaient des objectifs contradictoires.


Photo d’archives de l’activiste syrien Burhan Ghalioun, exilé en France. Herwig Prammer/Reuters

Burhan Ghalioun a été le premier président du Conseil national syrien, la principale coalition de l’opposition, lors de sa formation en octobre 2011, alors que le soulèvement populaire contre le régime de Bachar el-Assad commençait à se transformer en conflit armé. Cet intellectuel exilé en France, professeur de sociologie politique à la Sorbonne, s’était opposé à la militarisation du soulèvement et avait tenté de fédérer les différentes composantes de l’opposition (islamistes, nationalistes, libéraux...). Aujourd’hui, son constat est amer : l’opposition, minée par ses divisions internes mais surtout par les divergences entre ses différents parrains étrangers, a été pratiquement neutralisée, et la partie en Syrie est jouée presque exclusivement par les puissances étrangères.

Il y a huit ans, éclatait un soulèvement populaire pacifique en Syrie, qui s’est poursuivi pendant six mois avant de se militariser et de plonger le pays dans une guerre multiforme. Pourquoi en est-on arrivé là ? Est-ce en raison de la militarisation du mouvement de protestation ? De la tactique du régime qui a joué la carte jihadiste ? De l’absence d’un soutien international ?

Noyer les revendications politiques démocratiques dans une multitude de revendications ethniques, confessionnelles, régionalistes et même de type extrémiste était la seule voie qui se présentait au régime syrien pour éviter l’affrontement politique et justifier la répression sanglante de la révolte. Pour ce faire, il n’avait qu’une seule option : militariser sa réponse à l’extrême en adoptant la solution militaire et policière, et en mettant les mouvements de protestation dans l’obligation de répondre à la violence par la violence ou d’accepter leur défaite.

Il a été aidé en cela par les organisations jihadistes dont il a libéré bon nombre de membres deux mois après l’éclatement de la révolution, par l’échec des initiatives arabes et internationales dans la recherche d’une solution politique et, enfin, par les interventions étrangères en faveur du régime ainsi qu’en faveur de certaines forces politiques de l’opposition. Mais l’excès de violence pratiquée par les forces militaires et sécuritaires y a été pour beaucoup.

Vous avez été le premier président du Conseil national syrien, pouvez-vous revenir aujourd’hui sur votre expérience, et notamment sur les divisions qui ont provoqué l’implosion de l’opposition syrienne ?

Je pense que la stratégie du régime syrien de pousser vers une guerre civile dévastatrice était imparable, vu les multiples moyens mis en œuvre et le niveau de violence qu’elle a engendrée. Sous cette pression inhumaine, il était normal que les réponses des mouvements protestataires et les réactions des militants diffèrent beaucoup. Mais l’inertie de la communauté internationale et les intérêts divergents des pays engagés à côté de la révolution ont eu aussi un grand impact.

Dans votre nouveau livre à paraître, vous évoquez les tensions entre les Frères musulmans et le reste de l’opposition lorsque vous avez pris la direction du Conseil national syrien. À quel point les divergences entre les différents parrains de l’opposition, notamment les pays du Golfe et la Turquie, l’ont affaiblie ?

L’opposition était déjà très faible dans toutes ses composantes. Il n’y avait pas vraiment d’organisations politiques structurées. Il s’agissait de groupements informels d’intellectuels et d’activistes qui manifestaient une certaine solidarité dans les grands événements, sans aucune base sociale réelle ou implantation populaire. Le groupe le plus organisé, les Frères musulmans, était détruit à l’intérieur du pays et forcé de vivre en exil. Les dissensions au sein de ces groupements étaient manifestes et l’hostilité entres les chefs, les générations, les tendances divergentes paralysaient déjà l’opposition avant le soulèvement de mars 2011. Les longues négociations que ces groupements ont entamées pour se mettre d’accord sur un agenda et un comité de coordination pour soutenir les manifestations populaires ont échoué. La concurrence entre islamistes et laïcistes n’a jamais cessé, et ce depuis le début, mais elle s’est exprimée d’une façon plus forte au fur et à mesure que la victoire semblait s’éloigner. Chacun cherchait à jeter la responsabilité de l’échec sur l’autre. Il n’y a aucun doute que ces dissensions ont été aggravées par l’intervention et la manipulation des puissances arabes et étrangères qui étaient elles-mêmes très divisées et qui poursuivaient des objectifs contradictoires. Au lieu d’aider l’opposition syrienne à surmonter ses handicaps, elles ont cherché à les exploiter pour réaliser leurs propres intérêts. Ainsi le soulèvement populaire n’a pu trouver aucune aide de la part de l’opposition, et sa confiscation était plus facile par les différents groupes islamistes et non islamistes, locaux, régionaux et internationaux.



(Lire aussi : Assad e(s)t le chaos, le commentaire d'Anthony SAMRANI)


Y a-t-il encore une opposition syrienne crédible ? Est-elle associée aux différentes propositions de règlement, s’il y en a ?

L’opposition, comme l’ensemble des Syriens, est pratiquement neutralisée et ne joue aujourd’hui aucun rôle car la partie est jouée presque exclusivement par les puissances étrangères, régionales et internationales, qui se disputent le partage d’intérêts et de zones d’influence, sans beaucoup d’espoirs de pouvoir arriver à un compromis. En effet, l’absence d’une partie syrienne indépendante et capable d’imposer le point de vue des intérêts syriens ne s’est jamais fait sentir avec autant d’urgence qu’aujourd’hui. D’ailleurs, la fin de la tragédie syrienne passe par l’émergence de cette force qui reste jusqu’à présent en gestation.

Quelles perspectives pour la Syrie maintenant ? Le régime a-t-il gagné ou bien la nouvelle Syrie est-elle dirigée par les Russes ou les Iraniens ?

Personne ne peut gagner dans ce qui devient une guerre de terre brûlée et où personne, aucune puissance, ne peut imposer sa domination. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la guerre n’arrive pas à trouver une conclusion. Toutes les parties y ont investi beaucoup, matériellement et surtout politiquent et stratégiquement, sans avoir aucun espoir d’en sortir indemnes. Toutes sont coincées et en premier lieu le régime syrien, qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Huit ans après le déclenchement de la révolution syrienne, peut-on dire qu’elle a échoué ?

Tout dépend de notre conception de la révolution et de ses causes, ainsi que de la conception des révolutions arabes de cette décennie. Je pense que les peuples arabes sont arrivés à la juste conclusion que s’ils ne réussissent pas à faire sauter le verrou des régimes mafieux, corrompus et irresponsables, ils seront condamnés, non pas à une mort politique avec perte des libertés et des droits seulement, mais à un déclin économique, social et culturel fatal. C’est pourquoi je crois que les vagues de révoltes dans les pays arabes vont se succéder et se radicaliser, quelle que soit l’issue de ces dernières révolutions dites du printemps arabe. La raison en est que ces types de régimes politico-sociaux que nous connaissons sont irréformables, et que les conditions de vie économiques et sociales ne cesseront de se détériorer, de sorte que seule la liquidation des régimes mafieux ouvre la voie de l’espérance. Les peuples ont perdu le premier round mais ils ne reculeront pas. Ils n’ont aucune autre alternative pour se préserver et échapper à l’asphyxie et à la mort.

Comment voyez-vous l’avenir de la Syrie ? Peut-elle rester unie, avec l’exacerbation des tensions communautaires et ethniques ?

Le Machrek est un carrefour de civilisations et de cultures depuis toujours. La société syrienne est plurielle, multiconfessionnelle et multiethnique depuis des millénaires, elle ne l’est pas devenue aujourd’hui. Les Syriens ont toujours su gérer leur diversité et ont appris à cohabiter dans la paix et la dignité. L’exacerbation des tensions communautaires et ethniques est le résultat d’une politique délibérée d’un pouvoir répressif et contesté qui n’a de chance d’exister contre la volonté de la majorité de la population que par l’adoption de la devise bien connue : diviser pour mieux régner. Si la paix était restaurée, ainsi que la démocratie et l’État de droit, les choses rentreraient dans l’ordre très vite, et les populations vont retrouver leurs règles et cultures de coexistence séculaires. La dictature des Assad est certainement la dernière des dictatures en Syrie. Toutes les communautés sont aujourd’hui immunisées, celles qui se sont rangées du côté du pouvoir paria comme celles qui l’ont combattu. Le Machrek est déjà trop divisé, il ne supportera pas plus d’effritements. La multiplication des micro-États le sortira complètement de la sphère de civilisation et de la modernité. De toutes les façons, la Syrie finira par sortir victorieuse.





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Burhan Ghalioun a été le premier président du Conseil national syrien, la principale coalition de l’opposition, lors de sa formation en octobre 2011, alors que le soulèvement populaire contre le régime de Bachar el-Assad commençait à se transformer en conflit armé. Cet intellectuel exilé en France, professeur de sociologie politique à la Sorbonne, s’était opposé à la...

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Ca jette surtout de l'ombre sur ceux qui misaient sur sa disparition...depuis combien d'années déja?

Tina Chamoun

20 h 26, le 15 mars 2019

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Commentaires (1)

  • Ca jette surtout de l'ombre sur ceux qui misaient sur sa disparition...depuis combien d'années déja?

    Tina Chamoun

    20 h 26, le 15 mars 2019

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