La ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan a commencé à plancher sur ses dossiers, définissant ses priorités, du moins pour un premier temps de son mandat. Même si sa position favorable au mariage civil a provoqué les foudres de Dar el-Fatwa, Raya el-Hassan, qui préfère ne pas aborder ce dossier devant la presse, ne reculera pas devant les tâches difficiles qui se présenteront. Et ce sont des dossiers bien lourds pour lesquels elle a opté dans un premier temps. Lors d’une rencontre avec L’Orient-Le Jour, elle a annoncé ses objectifs pour les mois à venir, confiant avoir besoin de deux ou trois mois pour tenir tous les dossiers de son ministère, l’un des plus difficiles du gouvernement.
Sur le plan sécuritaire, la ministre veut accroître la coopération entre les services de sécurité sous son contrôle, à savoir les Forces de sécurité intérieure et la Sûreté générale. Une tâche qu’aucun ministre n’a réussie auparavant. Également sur le plan de la sécurité, elle compte poursuivre la lutte contre le terrorisme. Sur le plan social, trois dossiers lui tiennent à cœur : la situation dans les prisons, les droits de l’homme et les libertés, ainsi que la lutte contre la violence domestique.
« Pour l’instant, le ministère de l’Intérieur restera en charge des prisons. Il faut plancher sur la prison centrale de Roumieh, celles des provinces, les prisons des femmes, les espaces consacrés aux mineurs, dont certains partagent les cellules des adultes. Certes, des projets ont été exécutés par mes prédécesseurs, mais beaucoup reste à faire. Il faut protéger les adolescents, réhabiliter les prisonniers afin qu’ils s’intègrent dans la société une fois sortis et éviter ainsi les récidives », explique-t-elle à L’Orient-Le Jour. « La communauté internationale, notamment l’Union européenne, est prête à aider dans ce cadre », poursuit-elle.
Raya el-Hassan veut lever des fonds pour ses projets. C’est dans ce cadre qu’elle est en train de s’entretenir avec les ambassadeurs accrédités au Liban. Elle veut aussi se réunir avec les représentants de la société civile, qui jouent un rôle sur le terrain dans les prisons, mais aussi en ce qui concerne les dossiers de la violence domestique ou de la sécurité routière. Ces deux thèmes figurent aussi parmi ses priorités sociales. « Il est inadmissible que les gens meurent encore sur les routes. Rien qu’au cours des deux dernières années, trois mères que je connais ont perdu leurs enfants. La loi existe, il faut l’appliquer ! » note-t-elle.
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« Rien n’est jamais parfait »
« J’ai été très claire dès le premier jour de mon mandat sur la violence domestique. Il n’y aura pas d’indulgence envers les coupables. Les femmes sont encouragées à rapporter les violences. Des progrès ont été effectués dans ce cadre, mais une question cruciale manque encore, c’est la mise en place de centres d’accueil pour les femmes qui veulent quitter le domicile conjugal pour se protéger de la violence domestique. Des efforts seront donc faits dans ce sens », poursuit-elle.
Œuvrera-t-elle à faire adopter la loi sur la nationalité en permettant aux Libanaises mariées à des étrangers d’octroyer la nationalité à leurs enfants, et cela même si le projet de loi exclut les Libanaises mariées à des Palestiniens ? « Dans la vie, rien n’est jamais parfait. On ne peut avoir avoir tout ce qu’on veut. Il faut prendre et donner. Il faut travailler à arrondir les angles », répond-elle, confiant que cela s’applique aussi bien à la vie politique qu’à la vie professionnelle ou la vie privée. « D’ailleurs, c’est l’une des notions que j’inculque à mes enfants. Le bonheur n’est jamais parfait », confie-t-elle.
Également en ce qui concerne le volet social, elle planchera sur le dossier des droits de l’homme et de la liberté, à commencer par la liberté de manifester.
Que ferait-elle de la torture en prison ou lors des interrogatoires ? « Je vais entamer des réunions avec les parties concernées. Nous avons signé des conventions contre la torture, des lois existent. Il faut qu’elles soient respectées », estime-t-elle. Comment traitera-t-elle le bureau de la lutte contre la cybercriminalité qui arrête de plus en plus de personnes qui postent leurs opinions sur les médias sociaux ? Raya el-Hassan ne fournit pas de réponse à ce sujet car elle ne s’est pas encore entretenue avec les personnes en charge de ce bureau.
Âgée de 52 ans, remplissant un second mandat de ministre, Raya el-Hassan, bûcheuse et discrète, ne veut pas faire des promesses qu’elle ne tiendra pas. D’ailleurs, c’est dans la discrétion et avec beaucoup d’efficacité qu’elle avait rempli sa première fonction officielle. Ministre des Finances de 2009 à 2011, elle avait œuvré pour la coopération entre son ministère et celui de l’Économie, et cela malgré les dissensions politiques et les divergences de points de vue de l’époque. Elle avait aussi fait adopter des lois pour encourager le travail des PME. Cette période avait aussi ses déceptions. « L’équipe du ministère était plongée dans le travail quand le gouvernement a démissionné », se souvient-elle.
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Lire, écrire, comprendre et assimiler
Raya el-Hassan a aussi des plans pour les municipalités. Elle compte encourager les projets de développement. « Cela devrait commencer par le ministère des Finances, qui devra débloquer les fonds consacrés aux municipalités. Sur le plan pratique, nous commencerons par mettre en place des bureaux de plainte à la disposition des citoyens dans les mohafazat pour identifier les problèmes. Nous encouragerons également la coopération entre les diverses parties », dit-elle. Cela mènera à terme à la décentralisation.
La nouvelle ministre de l’Intérieur ne met pas les chariots devant les bœufs. Elle est méticuleuse, méthodique, perfectionniste. « Je dois lire, écrire, comprendre, assimiler. Je fais cela depuis mes années universitaires », raconte-elle. « Actuellement, je travaille dix à douze heures par jour. Les samedis, je fais une demi-journée car je dois revoir et assimiler tous les dossiers de la semaine écoulée », poursuit-elle. « Avec ce ministère, j’apprends peut-être tous les jours 7 000 nouvelles informations. Il faut que je les retienne, que je réfléchisse à ce que j’ai appris. Il me faut donc du calme, que je trouve tous les matins de 5h30 à 6h30. L’espace d’une heure, je repasse en revue, mentalement, tout ce que j’ai appris la veille », confie-t-elle.
Raya el-Hassan a compris que depuis toujours, les femmes devaient travailler beaucoup plus que les hommes pour se prouver. Elle veut aussi être à la hauteur de la confiance que le chef du gouvernement Saad Hariri a placée en elle. C’était le cas avec le ministère des Finances, c’est aussi le cas actuellement. La misogynie était beaucoup plus prononcée au ministère des Finances où certains se permettaient de faire des remarques mal placées. Ce n’est pas le cas au ministère de l’Intérieur. « Jusqu’à présent, tout se passe sans couac, peut-être parce que les personnes qui relèvent du ministère de l’Intérieur viennent d’institutions militaires où, quelle que soit la hiérarchie, elle est respectée », estime-t-elle.
La misogynie, elle l’a sentie aussi en famille, quand son frère est parti très jeune aux États-Unis. « À chacun de ses retours au Liban, ma mère le traitait comme un prince. D’ailleurs, ma sœur et moi l’avons surnommé – pour le taquiner – prince », dit-elle, assurant cependant que c’est grâce à ses parents qu’elle est devenue la femme qu’elle est aujourd’hui. « Mon père était ingénieur et ma mère directrice au ministère du Tourisme. Ils nous ont inculqué la valeur du travail assidu qui mène à la réussite et ils nous ont toujours encouragés à être indépendants », dit-elle.
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L’injustice de la guerre
Raya el-Hassan est également très sensible à l’injustice. D’ailleurs, c’est pour cela qu’elle travaillera sur le dossier des droits de l’homme. « Quand tu grandis dans la guerre, tu ne peux qu’être victime d’injustice. La guerre du Liban a éclaté quand j’avais 9 ans. Nous habitions au 12e étage d’un immeuble de Mousseitbé. Nous n’avions ni courant électrique ni eau durant les combats. Je portais des jerricans d’eau et je montais à pied jusqu’à l’appartement. La nuit, nous dormions dans la cage d’escalier. On ne peut pas être insensible à l’injustice quand on a grandi sous les bombes, et je pense que ma génération est résiliente parce qu’elle a vécu la guerre », déclare-t-elle.
Elle croit aussi dur comme fer que chacun peut à son niveau opérer un changement. D’ailleurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles elle aime la vie politique car elle estime que le rôle qu’elle joue peut changer les choses. « Les Libanais de l’étranger se plaignent d’être loin du pays, et ceux qui résident ici se plaignent parce qu’ils y vivent. Les Libanais méritent de vivre dans un pays où ils se sentent bien, et ceux qui sont à l’étranger méritent de rentrer. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut améliorer les choses », dit-elle. « Je n’aime pas l’attitude défaitiste, les personnes qui baissent les bras, qui disent “Je n’écoute plus les nouvelles ou je ne lis plus les journaux”, ceux qui ne se sentent pas concernés par ce qui se passe. Après tout, nous sommes tous responsables de ce pays », souligne-t-elle.
Mariée à un médecin, Raya el-Hassan a trois filles âgées de 25, 23 et 14 ans. Aujourd’hui, lors de la séance du Conseil des ministres, elle démissionnera de sa fonction de présidente chargée du développement de la zone économique spéciale de Tripoli, qu’elle occupe depuis 2013. Elle a déjà mis le projet sur les rails en signant une série de contrats et en levant des fonds.
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17 h 07, le 21 février 2019