Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a reconnu samedi la présence de tunnels à la frontière entre le Liban et Israël, refusant toutefois de dire s'ils avaient été creusés par le parti chiite, et ironisant sur le délai qu'a mis l'armée israélienne pour découvrir ces coursives souterraines. Évoquant par ailleurs brièvement la crise gouvermementale au Liban, Hassan Nasrallah a exclu toute ingérence de l'Iran et de la Syrie dans ce dossier.
S'exprimant pour la première fois, lors d'une interview de plus de trois heures à la chaîne al-Mayadine, sur la question des tunnels et l'opération "Bouclier du Nord" lancée par l’État hébreu début décembre, Hassan Nasrallah a préféré "ne pas s'engager à dire qui avait creusé les tunnels", invoquant le principe de ce qu'il a appelé "l'ambiguïté constructive". Il a souligné "ne pas avoir été étonné que les Israéliens aient découvert les tunnels, mais plutôt par le temps qu'il leur a fallu pour les trouver. Expliquant qu'un de ces tunnels avait été creusé avant la guerre de juillet 2006 et s'étendait "jusqu'en Palestine occupée", il a qualifié "d'échec des services de renseignement israéliens le fait qu'il n'ait pas été découvert pendant près de 13 ans". Le dignitaire chiite a affirmé que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a "rendu de grands services au Hezbollah" en lançant son opération contre les tunnels au Liban-Sud, notamment en "instillant la peur" parmi les colons israéliens installés le long de la frontière.
"Une partie de notre plan pour la prochaine guerre est d'entrer en Galilée, ce dont nous sommes capables avec la volonté de Dieu", a encore déclaré le chef du Hezbollah, qui a souligné qu'en cas d'opération contre Israël, le Hezbollah ne se contenterait pas de passer via les tunnels. "Comment le général Gadi Eizenkot, expert militaire, peut-il penser que le Hezbollah se cacherait à l'intérieur de tunnels, dans un espace réduit, pour pénétrer en Galilée, dans un espace géographiquement très étendu ?" s'est-il interrogé. "Si nous décidons d'entrer en Galilée, ils ne sauront pas d'où nous arriverons", a-t-il déclaré, ironisant sur la possibilité pour les combattants du parti chiite d'envahir le nord d'Israël sur des motocyclettes. Il a insisté sur le fait que "l'opération israélienne contre les tunnels n'annule en rien une éventuelle action en Galilée".
"J'ai beaucoup ri quand j'ai entendu Netanyahu annoncer la fin de l'opération "Bouclier du Nord", a-t-il encore affirmé, comment peuvent-ils savoir qu'ils ont trouvé tous les tunnels ?". Il a, dans ce cadre, indiqué que "tous les objectifs que Netanyahu voulait atteindre en lançant son opération ont échoué, entre autres semer la zizanie entre les différentes parties libanaises. Il n'a réussi qu'à trouver et détruire certains des tunnels, et peut-être même pas tous".
"Aux côtés de l'armée libanaise et de l’État"
Par ailleurs, le chef du Hezbollah a expliqué que son silence, au cours des deux derniers mois, n'était pas dû à des problèmes de santé, comme cela avait été rapporté dans les médias, mais à une volonté d'attendre la fin de l'opération "Bouclier du Nord", qu'il a qualifiée "d'énorme opération médiatique" israélienne, afin de ne pas entrer dans cette campagne israélienne.
Début décembre, Israël avait lancé à sa frontière-nord l'opération "Bouclier du Nord", visant à trouver et détruire des tunnels qui devaient servir au Hezbollah pour enlever ou assassiner des soldats ou des civils israéliens, et s'emparer d'une frange du territoire israélien en cas d'hostilités. Après plusieurs semaines d'excavations le long de la frontière, l'armée israélienne avait indiqué avoir repéré et détruit à l'explosif six tunnels, tous de plusieurs dizaines de kilomètres de long. Parallèlement à cette opération, l’État hébreu poursuit ses travaux de construction d'un mur composé de hauts blocs de béton, dont l'objectif à terme pour l’État hébreu est de couvrir les 130 kilomètres de frontière séparant les deux pays, et d'empêcher toute incursion terrestre du Hezbollah sur son territoire. Mais selon les autorités libanaises, les blocs de béton placés par l'armée israélienne passent sur certains points se trouvant du côté libanais de la frontière, ce qui a amené Beyrouth à déposer plainte contre Tel-Aviv devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
Concernant ce mur, Hassan Nasrallah a affirmé "se tenir aux côtés de l'armée libanaise et de l’État" et que "la résistance n'intervient pas dans le tracé de la frontière". Hassan Nasrallah a en outre affirmé "être prêt à discuter de la stratégie de défense du Liban, sans aucune condition, ni délai".
(Lire aussi : La déclaration musclée de Le Drian : un message français au Hezbollah ?)
"Des missiles pouvant atteindre Haïfa ou Tel Aviv"
Le leader chiite a, dans ce contexte, prévenu que le Hezbollah "répondrait à toute attaque contre des Libanais ou assassinat de membres" de son parti au Liban ou en Syrie". S'adressant directement à Benjamin Netanyahu, le chef du Hezbollah l'a appelé à "faire attention en ce qui concerne ses agissements persistants" en Syrie. "Ne fais pas d'erreur de jugement et n'entraîne pas la région vers une guerre ou un affrontement majeur", a-t-il averti. "A tout moment, la décision peut être prise, par la direction syrienne et l'axe de la résistance, de gérer autrement les agressions israéliennes", a encore mis en garde le leader chiite.
Des frappes israéliennes ont eu lieu en début de semaine en Syrie, faisant 21 morts, en majorité "iraniens", selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Elles ont visé des entrepôts de missiles ou de munitions tenus par les forces iraniennes et leurs alliés près de Damas, et des centres de la défense anti-aérienne du régime syrien aux abords de la capitale et dans le sud du pays, selon l'OSDH.
S'exprimant dans ce contexte sur le sujet des missiles balistiques de précision qui, selon le Premier ministre israélien, étaient produits en plusieurs endroits de la banlieue-sud de Beyrouth, Hassan Nasrallah a affirmé que le parti chiite "possède assez de missiles de précision pour, en cas de guerre, frapper toutes les cibles que nous voulons". Il a ajouté que "la résistance possède des missiles pouvant atteindre des cibles à 40 kilomètres de profondeur en Israël et pouvant toucher Haïfa ou Tel-Aviv".
Plus tôt cette semaine, lors d'une réunion avec le président français Emmanuel Macron, son homologue israélien Reuven Rivlin avait considéré "les usines de missiles de haute précision du Hezbollah au Liban comme la plus grande menace pour sa sécurité et agirait pour les anéantir s’il le jugeait approprié".
(Lire aussi : Israël soumet à Macron les cartes des tunnels du Hezbollah à la frontière)
La "+version trumpienne+ du projet américain" en Syrie
Le numéro un du Hezbollah a par ailleurs donné sa lecture du retrait américain de Syrie, annoncé mi-décembre par le président américain, Donald Trump. "Il s'agit d'une nouvelle stratégie américaine, une +version trumpienne+ du projet américain", a-t-il déclaré, qualifiant cette décision "d'échec et de défaite" des États-Unis. "Les États-Unis acceptaient de retirer leurs troupes à condition que l'Iran se retire également de Syrie, mais les Iraniens ont refusé, affirmant qu'ils étaient là à la demande des autorités syriennes", a-t-il poursuivi.
Il a souligné que c'est ce retrait des troupes américaines qui a permis "l'ouverture" diplomatique des pays arabes envers la Syrie. Dans ce contexte, il a souligné qu'avant sa visite à Damas, le président soudanais Omar el-Béchir avait "reçu le feu vert de l'Arabie saoudite". Le président soudanais "apportait à Bachar el-Assad une lettre dans laquelle il était demandé à Damas de réclamer lui-même sa réintégration au sein de la Ligue arabe", a indiqué le leader chiite. "La réponse d'Assad était claire : il n'est pas sorti de la Ligue, c'est à ceux qui lui ont demandé de partir de l'inviter à revenir. La Syrie reviendra au sein de la Ligue en toute dignité", a-t-il affirmé.
La Syrie du président Bachar el-Assad avait été suspendue de la Ligue en 2011 après le début de la révolte contre son régime et qui a été réprimée dans le sang, se transformant en guerre civile ravageant ce pays jusqu'à ce jour. Les pays arabes ne sont toujours pas parvenus à un consensus autour de la réintégration de Damas au sein de la Ligue. L'Irak s'est récemment montré favorable à ce retour et les Émirats arabes unis ont rouvert en décembre leur ambassade à Damas, après avoir coupé en 2012 leurs relations diplomatiques avec le régime. L'Arabie saoudite, poids lourd régional opposé à Damas, semble encore réticente à une normalisation avec la Syrie et à sa réintégration au sein de l'organisation panarabe.
Donnant son avis sur la tenue, dimanche dernier à Beyrouth, du sommet économique de la Ligue arabe, le leader chiite salué les décisions qui ont été prises lors de cette réunion concernant les réfugiés syriens et qualifié "d'excellentes" les déclarations politiques qui y ont été faites, notamment sur la situation de Jérusalem. "Les discours du chef de l’État, Michel Aoun, et du ministère des Affaires étrangères, Gebran Bassil, concernant le retour de la Syrie au sein de la Ligue étaient également très importants", a-t-il souligné, saluant également "les propos de M. Bassil concernant la réponse qui doit être trouvée à la question de la disparition de l'imam Moussa Sadr". "Il ne s'agit pas d'une affaire uniquement chiite, il s'agit d'une affaire nationale", a-t-il indiqué.
L'organisation du sommet de Beyrouth avait été marquée par le boycott de l'événement par les autorités libyennes, après des menaces lancées par le mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry, qui reproche aux Libyens de ne pas enquêter sur la disparition de l'imam Moussa Sadr, en 1978 à Tripoli.
(Lire aussi : Oman ferait le go-between entre Israël et le Hezbollah)
"Aucune ingérence extérieure dans la formation du gouvernement"
Évoquant enfin la crise gouvernementale, Hassan Nasrallah a affirmé que "l'Iran et la Syrie n'ont rien à voir avec la formation du cabinet. "Selon moi, il n'y a aucune ingérence extérieure en ce qui concerne la mise sur pied du cabinet", a-t-il déclaré, soulignant l'importance pour le Liban de "former le plus rapidement un gouvernement" et assurant que le Hezbollah a "facilité les tractations depuis le premier jour".
Le Liban est sans gouvernement depuis les élections législatives organisées il y a plus de huit mois. Après avoir buté sur plusieurs obstacles, comme le poids de représentation des différentes formations politiques chrétiennes ou druzes, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, doit aujourd'hui faire face à de nouvelles complications, et notamment "l'obstacle sunnite", né de la demande de la Rencontre consultative, un groupe de six députés sunnites non affiliés au Courant du Futur de M. Hariri, et bénéficiant du soutien décisif du Hezbollah, d'obtenir un portefeuille ministériel.
"Rien n'a changé en ce qui concerne nos relations, nos contacts, notre entente avec le Courant patriotique libre (CPL, aouniste)", a en outre affirmé Hassan Nasrallah. "Absolument rien ne peut entacher la confiance établie avec le président Michel Aoun", a-t-il ajouté, soulignant que cette relation avait été renforcée par "les prises de position, publiques ou non, du président Aoun lors de la guerre de juillet 2006". Il a affirmé avoir une relation "amicale et de confiance" avec le chef du CPL, Gebran Bassil, soulignant toutefois qu'"être alliés ne signifie pas que nous sommes un seul parti. Il est normal qu'il y ait des divergences d'opinions".
Lire aussi
Quel est le véritable rapport de force entre Israël et l’Iran en Syrie ?
Hale : La présence d’une milice en dehors du giron de l’État est « inacceptable »
Les manœuvres israéliennes et la riposte libanaise, le décryptage de Scarlett HADDAD
Il veut quoi alors le Hezbollah? Juste défendre le Liban d'une agression Israélienne? A t'il défendu le Liban contre l'invasion de l'armée syrienne? On pense que le Hezbollah est là pour nous protéger. Mais contre qui exactement? Ceux qui nous menacent vraiment, sont ceux qui n'ont jamais reconnu l'Etat Libanais. Ce sont aussi ceux que nous avions accueilli et qui ont plus tard essayé de faire du Liban la nouvelle Palestine. Le Hezbollah n'est pas là pour protéger le Liban mais pour protéger des intérêts régionaux et communautaires. Seule l'armée libanaise doit et peut protéger le Liban surtout si on lui donne les moyens. Le Liban du Nord au Sud n'appartient ni au Hezbollah ni à quiconque. Il n'appartient qu'aux libanais.
15 h 55, le 28 janvier 2019