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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Quel est le véritable rapport de force entre Israël et l’Iran en Syrie ?

Il est important de déconstruire trois analyses réductrices qui sont pourtant très répandues.

Des civils israéliens debout à côté d’une sculpture en métal sur les hauteurs du Golan occupé. Amir Cohen/Reuters

La guerre se joue désormais à visage découvert. Pour la première fois, Israël a revendiqué quasi simultanément l’attaque dans la nuit de dimanche à lundi contre des cibles iraniennes en Syrie. Les frappes aériennes, qui ont visé des entrepôts et des centres de renseignements et d’entraînement des gardiens de la révolution, étaient une réponse à un missile sol-sol tiré depuis la Syrie contre l’État hébreu, qui faisait lui-même suite à des raids israéliens en pleine journée. Cette escalade israélo-iranienne peut déjà permettre de tirer trois constats : le conflit entre les deux ennemis n’est pas terminé en Syrie ; il n’est pas neutralisé par les décisions russes et/ou américaines ; et il peut encore prendre une autre envergure. L’occasion de déconstruire plusieurs analyses réductrices, assez répandues au Liban, qui répondent surtout à une logique de propagande et/ou à du wishful thinking.


– L’idée qu’Israël serait en train de subir une défaite majeure dans la région

Cette analyse, largement propagée par les partisans de l’axe irano-syrien, repose sur l’idée que l’État hébreu a échoué dans sa volonté de faire tomber le régime syrien et de faire partir les Iraniens. Face à la victoire militaire du régime et au renforcement de cet axe, Israël serait dans une position délicate, d’autant plus depuis l’annonce du retrait américain de Syrie. Cette vision du rapport de force omet volontairement de rappeler qu’Israël n’a jamais vu d’un bon œil la chute du régime syrien, avec qui les lignes rouges étaient claires et qui se contentait de slogans dans sa lutte contre « l’impérialisme sioniste », préférant le diable qu’il connaît à un possible diable inconnu. C’est la montée en puissance de l’Iran et de ses obligés, dont le Hezbollah, qui a constitué la principale préoccupation des Israéliens en Syrie. C’est dans le but de repousser les forces iraniennes de la frontière du Golan occupé que les Israéliens ont secrètement fourni des armes légères aux rebelles dans le Sud syrien, avant de passer un accord avec les Russes garantissant le retrait iranien du Sud contre une acceptation du retour du régime dans la région.

Isolé depuis l’annonce du futur retrait américain de Syrie, l’État hébreu semble déterminé à vouloir montrer qu’il n’en est pas pour autant affaibli. Ni moins déterminé. Les Israéliens ont en effet multiplié les frappes depuis cette annonce après une période de relative accalmie, mais en rompant avec leur logique de non-revendication comme pour prouver qu’ils ne sont pas limités par cette nouvelle donne et pour envoyer un message d’avertissement à Moscou qu’ils ne vont pas renoncer à frapper. Israël se retrouve certes aujourd’hui face à un adversaire qui a développé ses capacités opérationnelles et qui peut désormais attaquer depuis plusieurs fronts, mais il n’est pas pour autant question de parler d’équilibre stratégique et encore moins de défaite.


(Lire aussi : Les principaux raids israéliens en Syrie)


– L’idée que l’Iran va être contraint de quitter la Syrie en raison du contexte régional

Cette analyse relève pour l’instant, au mieux, d’un wishful thinking, plutôt diffusé par les courants prosaoudiens et/ou pro-américains. Elle suggère que l’avenir de Téhéran en Syrie va être réglé par un grand accord russo-américain permettant de partager la région en zones d’influences dont l’Iran serait exclu. S’il est vrai que la présence iranienne n’est complètement acceptée par aucun acteur régional, y compris Moscou, les Iraniens sont aujourd’hui suffisamment ancrés en Syrie pour que leur éventuel retrait apparaisse assez irréaliste pour le moment. Pour plusieurs raisons. Les Américains, malgré une rhétorique extrêmement belliciste, ont clairement montré qu’ils n’avaient pas l’intention de se confronter aux Iraniens sur le terrain, ni même d’empêcher la consolidation du corridor chiite reliant Téhéran à la Méditerranée via l’Irak, la Syrie et le Liban. Les Israéliens ont des objectifs radicaux – le retrait des forces iraniennes de Syrie – mais des moyens limités, puisqu’ils se contentent de frappes aériennes dans un contexte diplomatique qui n’est pas à leur avantage. Les Saoudiens et leurs alliés misent sur le fait qu’un rétablissement des relations avec Damas pourrait rapprocher la Syrie du giron arabe et l’éloigner de l’Iran. Cette politique a déjà montré ses limites par le passé et semble minimiser l’importance du lien stratégique qui unit les deux pays et qui dépasse la simple logique d’influence. Les Russes, enfin, partagent avec les Iraniens un objectif stratégique d’affaiblissement des Américains dans la région. Non seulement ils n’ont pas intérêt à s’opposer frontalement à l’Iran dans ce contexte, même s’ils cherchent à encadrer son rôle, mais ils n’en ont pas non plus forcément les moyens alors qu’ils souhaitent limiter le coût de leur opération en Syrie.

Téhéran traverse certes une phase délicate en Syrie, ce qui limite son champ d’action, mais il développe une stratégie d’intégration durable qu’un accord diplomatique ou des frappes aériennes ne devraient pas suffire à contrecarrer.


(Pour mémoire : Avec le raid israélien en Syrie, le conflit prend une nouvelle tournure, estime la presse libanaise)


– L’idée que tout dépend de la Russie et des États-Unis

Si la guerre syrienne a mis en évidence une certitude sur le plan géopolitique, c’est la capacité des puissances moyennes à poursuivre leur propre agenda sans tenir compte des grandes puissances. Le temps de la guerre froide, dans le sens de l’alignement sur l’un des deux blocs, est terminé. Personne n’est maître absolu sur le terrain syrien. Sûrement pas les États-Unis qui n’ont jamais souhaité s’y investir véritablement depuis le début du conflit en 2011. Mais pas la Russie non plus qui, bien qu’étant la puissance dominante dans le pays, doit tout de même tenir compte des ambitions, parfois concurrentielles, entre tous les autres acteurs régionaux et même locaux. La bataille israélo-iranienne met ce constat en évidence. Les Russes ont promis il y a 6 mois aux Israéliens que les Iraniens allaient s’éloigner de la frontière, évoquant même la distance de 100 km. Soit les Russes ont bluffé, soit ils n’ont pas les moyens de tenir cette promesse, mais il est clair que les Iraniens sont toujours présents aux abords de Damas et, probablement, plus au Sud encore. De la même façon, après l’incident du 17 septembre dernier, où l’armée syrienne avait abattu un avion russe après un raid israélien, beaucoup avaient considéré que Moscou ne permettrait plus à l’État hébreu d’intervenir en Syrie. Force est de constater que ce n’est pas le cas, bien qu’Israël se restreigne aujourd’hui d’intervenir dans la « maison russe » en Syrie. Est-ce que Moscou se satisfait d’une situation où Israël affaiblit régulièrement son partenaire iranien ou est-ce qu’il n’a pas d’autres choix que de laisser faire pour éviter l’escalade ? La Russie semble en tous cas se conforter dans ce rôle d’arbitre, qui essaye d’encadrer les hostilités pour éviter que ses intérêts soient menacés. En découle une guerre d’usure entre Israéliens et Iraniens, qu’aucun des deux ne semble aujourd’hui totalement en mesure de gagner.


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commentaires (11)

Rapport des forces = force de l'Iran / force d'Israël = grosses déclarations / grosses armes = 0

Wlek Sanferlou

00 h 04, le 23 janvier 2019

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Commentaires (11)

  • Rapport des forces = force de l'Iran / force d'Israël = grosses déclarations / grosses armes = 0

    Wlek Sanferlou

    00 h 04, le 23 janvier 2019

  • la seule chose a craindre est que l'Iran donne l'ordre a Hezballah de repondre a partir du Liban aux attaques Israeliennes qui les touchent en syrie Ce sera une guerre ou le Liban qui n'est pas partie pris dans ce conflit payera le plus comme d'habitude Que Israel veut que Assad reste est evident car la frontiere du Golan n' a jamais ete plus calme qu'avec Bachar Mais quand pourrons nous etre mis a l'ecart des problemes des autres voisins et lointain voisins? LIBAN D'ABORD veut vraiment dire a tous de nous laisser en paix et si ils veulent s'entretuer qu'ils le fassent sans nous. nous , nous voulons la paix et la prosperite pour nous et nos enfants pas des guerres qui ne nous concernent pas

    LA VERITE

    16 h 20, le 22 janvier 2019

  • Malheureusement l'Iran est en Syrie et il restera , pauvre Liban

    Eleni Caridopoulou

    13 h 24, le 22 janvier 2019

  • Je pense que le mot "déconstruire" que Mr Samrani a choisi ne l'a pas été de façon fortuite . L'idée qu'un embargo , sanctions boycott etc... pourraient miner les efforts d'une volonté nationale est inadéquate , faut rappeler que l'Iran NPR est sous ce régime depuis plus de 40 ans , si les effets devaient se faire sentir , il y a longtemps que cela se serait su . La stratégie de L'Iran n'est en rien comparable aux dépenses énormes du camp des comploteurs bensaouds et autres israéliens, qui eux pourraient imploser , , celle de l'Iran consiste en comptant sur des forces locales déterminées et efficaces , faisant peu cas de biens matériels terrestres . La Chine , le Viet Nam ont donné par le passé la leçon, que la Corée du Nord applique après des décennies de ce genre de régime qui s'est avéré inefficace , au point où un clown américain cherche aujourd'hui une voie de sortie honorable pour lui . Un facteur est oublié , non pas le nerf de la guerre , qui se trouve dépassé, en ce qui concerne les peuples armés de DIGNITE ET DU SENS DE L'HONNEUR . VOILA CE QUE CERTAINS PEUPLES ONT PERDU ET D'AUTRES ONT GARDE.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 18, le 22 janvier 2019

  • l'Iran, privée d'accès aux marchés de capitaux, subit de plein fouet un embargo financier qui est en train de détruire l'économie et la fibre expansionniste de l'intérieur. Comme un cancer. La question n'est pas du tout si on peut éjecter l'Iran de Syrie. La question est si l'Iran qu'on connait depuis 1978 pourra supporter encore longtemps les pénuries, l'inflation et la décroissance. en bref, la plus terrible des maladies nationales: la stagflation. Historiquement, sans alliés de poids, sans réserves de changes importantes et sans moteur de croissance interne aucun régime ne pourra y faire face sans concessions. l'Iran a bluffé l'administration Obama une fois. sans profit. qui reste-t-il ?

    Lebinlon

    12 h 13, le 22 janvier 2019

  • Je crois qu'on oublie vite que " l'argent est le nerf de la guerre " et la victoire sera toujours du cote des riches..le divin n'intervient jamais.

    Houri Ziad

    12 h 07, le 22 janvier 2019

  • C'est quand on parle d'équilibre entre ces 2 forces que je conclue une défaite, pour le moment, du bloc israel et tout ce qui gravite autour, comprenez l'Europe l'Amérique et les bensaouds. Cela me rappelle en 2006 , après 33 jours d'une guerre entre 2 forces considérées comme ne jouant pas dans les mêmes catégories, le "plus fort" se réjoui d'un " match nul ". Les israéliens ne font JAMAIS le calcul des pertes ennemis dans leur décision d'attaquer, MAIS en bon comptable ils évaluent les pertes internes sur leur sol usurpé, voilà pourquoi dans le passé ils declenchaient des guerres sans crier gare, AUJOURD'HUI C'EST FINI TOUT ÇA, LES DESTRUCTIONS SE FERONT CHEZ EUX DANS LEURS RUES LEURS ÉCOLES LEURS CHAMBRES À COUCHER. ÇA DONNE À RÉFLÉCHIR POUR UN TRAITÉ QUE VA DEVOIR NÉGOCIER L'AMÉRIQUE AVEC LA RUSSIE SUR ORDRE DISRAEL, COMME EN 2006 AU LIBAN RÉSISTANT.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 15, le 22 janvier 2019

  • La guerre est partie pour perdurer pour de longues années encore...

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 47, le 22 janvier 2019

  • ON NE PEUT VRAIMENT PAS PARLER DE RAPPORT DE FORCE. L,UN EST PRESENT SUR TERRE ET MANQUE D,APPUI DU CIEL ET L,AUTRE EST PRESENT DANS LE CIEL ET MANQUE D,APPUI TERRESTRE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 17, le 22 janvier 2019

  • D’un point de vu tactique je veux bien qu’on dise que l’equati Est partagé, cela-dit sur le plan stratégique, n’oublions pas que les puissances de la région, et notamment israel avec à ses côtés les USA, ont l’ambition non cachée de contenir l’Iran dans la région depuis longtemps, de l’isoler de son axe, etc.. Partant de là, en comparant la situation d’aujourdui à celle de 2011, force est de constater que l’Iran est bien plus implanté dans tous les pays où elle a été combattue qu’auparavant. Ainsi l’Iran se pose en menace numéro 1 pour israel sur le long terme, car effectivement militairement les israéliens peuvent se permettre d’égratigner les Iraniens de temps à autre, mais geopolitiquement et diplomatiquement, l’Iran est bien parti pour rester, et c’est a ce niveau la que la victoire est.

    Chady

    08 h 44, le 22 janvier 2019

  • Félicitations : Excellent article, explication idéale pour les férys de géopolitique , et de géostratégie , un must pour les étudiants en sciences-po .

    Chucri Abboud

    08 h 35, le 22 janvier 2019

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