La guerre se joue désormais à visage découvert. Pour la première fois, Israël a revendiqué quasi simultanément l’attaque dans la nuit de dimanche à lundi contre des cibles iraniennes en Syrie. Les frappes aériennes, qui ont visé des entrepôts et des centres de renseignements et d’entraînement des gardiens de la révolution, étaient une réponse à un missile sol-sol tiré depuis la Syrie contre l’État hébreu, qui faisait lui-même suite à des raids israéliens en pleine journée. Cette escalade israélo-iranienne peut déjà permettre de tirer trois constats : le conflit entre les deux ennemis n’est pas terminé en Syrie ; il n’est pas neutralisé par les décisions russes et/ou américaines ; et il peut encore prendre une autre envergure. L’occasion de déconstruire plusieurs analyses réductrices, assez répandues au Liban, qui répondent surtout à une logique de propagande et/ou à du wishful thinking.
– L’idée qu’Israël serait en train de subir une défaite majeure dans la région
Cette analyse, largement propagée par les partisans de l’axe irano-syrien, repose sur l’idée que l’État hébreu a échoué dans sa volonté de faire tomber le régime syrien et de faire partir les Iraniens. Face à la victoire militaire du régime et au renforcement de cet axe, Israël serait dans une position délicate, d’autant plus depuis l’annonce du retrait américain de Syrie. Cette vision du rapport de force omet volontairement de rappeler qu’Israël n’a jamais vu d’un bon œil la chute du régime syrien, avec qui les lignes rouges étaient claires et qui se contentait de slogans dans sa lutte contre « l’impérialisme sioniste », préférant le diable qu’il connaît à un possible diable inconnu. C’est la montée en puissance de l’Iran et de ses obligés, dont le Hezbollah, qui a constitué la principale préoccupation des Israéliens en Syrie. C’est dans le but de repousser les forces iraniennes de la frontière du Golan occupé que les Israéliens ont secrètement fourni des armes légères aux rebelles dans le Sud syrien, avant de passer un accord avec les Russes garantissant le retrait iranien du Sud contre une acceptation du retour du régime dans la région.
Isolé depuis l’annonce du futur retrait américain de Syrie, l’État hébreu semble déterminé à vouloir montrer qu’il n’en est pas pour autant affaibli. Ni moins déterminé. Les Israéliens ont en effet multiplié les frappes depuis cette annonce après une période de relative accalmie, mais en rompant avec leur logique de non-revendication comme pour prouver qu’ils ne sont pas limités par cette nouvelle donne et pour envoyer un message d’avertissement à Moscou qu’ils ne vont pas renoncer à frapper. Israël se retrouve certes aujourd’hui face à un adversaire qui a développé ses capacités opérationnelles et qui peut désormais attaquer depuis plusieurs fronts, mais il n’est pas pour autant question de parler d’équilibre stratégique et encore moins de défaite.
(Lire aussi : Les principaux raids israéliens en Syrie)
– L’idée que l’Iran va être contraint de quitter la Syrie en raison du contexte régional
Cette analyse relève pour l’instant, au mieux, d’un wishful thinking, plutôt diffusé par les courants prosaoudiens et/ou pro-américains. Elle suggère que l’avenir de Téhéran en Syrie va être réglé par un grand accord russo-américain permettant de partager la région en zones d’influences dont l’Iran serait exclu. S’il est vrai que la présence iranienne n’est complètement acceptée par aucun acteur régional, y compris Moscou, les Iraniens sont aujourd’hui suffisamment ancrés en Syrie pour que leur éventuel retrait apparaisse assez irréaliste pour le moment. Pour plusieurs raisons. Les Américains, malgré une rhétorique extrêmement belliciste, ont clairement montré qu’ils n’avaient pas l’intention de se confronter aux Iraniens sur le terrain, ni même d’empêcher la consolidation du corridor chiite reliant Téhéran à la Méditerranée via l’Irak, la Syrie et le Liban. Les Israéliens ont des objectifs radicaux – le retrait des forces iraniennes de Syrie – mais des moyens limités, puisqu’ils se contentent de frappes aériennes dans un contexte diplomatique qui n’est pas à leur avantage. Les Saoudiens et leurs alliés misent sur le fait qu’un rétablissement des relations avec Damas pourrait rapprocher la Syrie du giron arabe et l’éloigner de l’Iran. Cette politique a déjà montré ses limites par le passé et semble minimiser l’importance du lien stratégique qui unit les deux pays et qui dépasse la simple logique d’influence. Les Russes, enfin, partagent avec les Iraniens un objectif stratégique d’affaiblissement des Américains dans la région. Non seulement ils n’ont pas intérêt à s’opposer frontalement à l’Iran dans ce contexte, même s’ils cherchent à encadrer son rôle, mais ils n’en ont pas non plus forcément les moyens alors qu’ils souhaitent limiter le coût de leur opération en Syrie.
Téhéran traverse certes une phase délicate en Syrie, ce qui limite son champ d’action, mais il développe une stratégie d’intégration durable qu’un accord diplomatique ou des frappes aériennes ne devraient pas suffire à contrecarrer.
(Pour mémoire : Avec le raid israélien en Syrie, le conflit prend une nouvelle tournure, estime la presse libanaise)
– L’idée que tout dépend de la Russie et des États-Unis
Si la guerre syrienne a mis en évidence une certitude sur le plan géopolitique, c’est la capacité des puissances moyennes à poursuivre leur propre agenda sans tenir compte des grandes puissances. Le temps de la guerre froide, dans le sens de l’alignement sur l’un des deux blocs, est terminé. Personne n’est maître absolu sur le terrain syrien. Sûrement pas les États-Unis qui n’ont jamais souhaité s’y investir véritablement depuis le début du conflit en 2011. Mais pas la Russie non plus qui, bien qu’étant la puissance dominante dans le pays, doit tout de même tenir compte des ambitions, parfois concurrentielles, entre tous les autres acteurs régionaux et même locaux. La bataille israélo-iranienne met ce constat en évidence. Les Russes ont promis il y a 6 mois aux Israéliens que les Iraniens allaient s’éloigner de la frontière, évoquant même la distance de 100 km. Soit les Russes ont bluffé, soit ils n’ont pas les moyens de tenir cette promesse, mais il est clair que les Iraniens sont toujours présents aux abords de Damas et, probablement, plus au Sud encore. De la même façon, après l’incident du 17 septembre dernier, où l’armée syrienne avait abattu un avion russe après un raid israélien, beaucoup avaient considéré que Moscou ne permettrait plus à l’État hébreu d’intervenir en Syrie. Force est de constater que ce n’est pas le cas, bien qu’Israël se restreigne aujourd’hui d’intervenir dans la « maison russe » en Syrie. Est-ce que Moscou se satisfait d’une situation où Israël affaiblit régulièrement son partenaire iranien ou est-ce qu’il n’a pas d’autres choix que de laisser faire pour éviter l’escalade ? La Russie semble en tous cas se conforter dans ce rôle d’arbitre, qui essaye d’encadrer les hostilités pour éviter que ses intérêts soient menacés. En découle une guerre d’usure entre Israéliens et Iraniens, qu’aucun des deux ne semble aujourd’hui totalement en mesure de gagner.
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Rapport des forces = force de l'Iran / force d'Israël = grosses déclarations / grosses armes = 0
00 h 04, le 23 janvier 2019