Samir Geagea et Elie Hobeika. Photo d'archives OLJ
Il y a 32 ans, le 15 janvier 1986, les forces loyales à Samir Geagea et au chef de l'Etat de l'époque, Amine Gemayel, délogent de la tête des Forces libanaises Elie Hobeika, qui avait signé trois semaines plus tôt à Damas un accord avec le mouvement Amal de Nabih Berry et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, destiné à mettre fin à la guerre civile qui avait éclaté 11 ans plus tôt. Cet Accord tripartite, qui a mis le feu aux poudres au sein des FL, a été rejeté par M. Geagea et plusieurs leaders chrétiens, considérant qu'il donnait des pouvoirs au régime syrien sur le Liban.
Retour sur cette guerre interne qui avait débuté un an plus tôt entre l'appareil politique des Kataëb et les FL et dont les prémices sont apparues après l'élection du fondateur des FL, Bachir Gemayel, à la présidence de la République, le 23 août 1982.
L'après-Bachir
A la veille son assassinat le 14 septembre 1982, Bachir Gemayel, qui avait réuni deux ans plus tôt sous la bannière des Forces libanaises, de gré ou de force, toutes les autres milices chrétiennes qui affrontaient les fedayine palestiniens et le Mouvement national (rassemblement des partis et forces palestino-progressistes sous la houlette de Kamal Joumblatt, NDLR), nomme Fady Frem à la tête des Forces libanaises et son bras droit, Fouad Abou Nader, chef d’état-major des FL, tous deux membres fondateurs de la troupe d'élite des Forces libanaises, les "BG" (Béjin, les initiales phonétiques de Pierre Gemayel, père de Bachir).Fady Frem, pour le 40ème jour de l'assassinat de Bachir Gemayel, le 25 octobre 1982. Photo d'archives OLJ
Sous la direction de Fady Frem, les FL subissent de très lourdes pertes durant la guerre de la Montagne qui oppose en 1983 chrétiens et druzes après le retrait de l'armée israélienne. A la tête de ses hommes, Samir Geagea tente de défendre Deir el-Qamar, face aux combattants druzes de Walid Joumblatt. Des milliers de chrétiens sont massacrés et fuient en masse.
Les divergences stratégiques entre les Forces libanaises sur le terrain et l'appareil politique des Kataëb apparaissent à ce moment-là.
Cette défaite militaire fait vaciller le commandement de Fady Frem, critiqué par le président Amine Gemayel, élu à la tête de l'Etat après l'assassinat de son frère. En 1984, des élections internes sont convoquées au sein des FL. Elles sont remportées par Fouad Abou Nader, petit-fils du fondateur des Kataëb, Pierre Gemayel, et très proche d'Amine Gemayel.
Fouad Abou Nader. Photo d'archives OLJ
Geagea et Hobeika renversent la table
Certains chefs de guerre FL voient d'un très mauvais œil le cadenassage de la milice par le parti Kataëb et le rapprochement opéré par le président Gemayel avec Damas. Parmi eux, Elie Hobeika, chef des services de renseignement des FL, et Samir Geagea, chef militaire de la région de Jbeil en ce début d'année 1985. Dans cette région, M. Geagea contrôle notamment le barrage de Barbara, qui commande l'accès aux ports clandestins où transitent armes et marchandises. Le président Gemayel ordonne la suppression de ce barrage. Samir Geagea refuse d'obtempérer. Le 11 mars, le bureau politique des Kataëb vote son exclusion. Après cette décision, Samir Geagea tient une conférence de presse incendiaire dans laquelle il s'en prend à Amine Gemayel. Le lendemain, une colonne blindée de miliciens FL, conduits par Samir Geagea, Elie Hobeika et Karim Pakradouni, qui se disent garants de la cause originelle des FL, part de Jbeil et s'empare de Beyrouth-Est.
Karim Pakradouni, Samir Geagea et Elie Hobeika. Photo tirée du site officiel des Forces libanaises
Fouad Abou Nader refuse d'entrer dans une logique de guerre fratricide. Les partisans du président Amine Gemayel désarment sans beaucoup de résistance. Le chef des FL laisse la place au triumvirat qui a lancé l'"intifada". Dans les faits, Samir Geagea prend la tête des FL, et son bras droit Elie Hobeika, responsable de la liaison avec l'armée israélienne, la place de numéro deux.
La rupture entre le commandement militaire des Forces libanaises et l'appareil politique Kataëb est consommée. En mars, les premiers affrontements entre les deux camps éclatent, notamment dans le Metn.
Néanmoins, l'entente entre les "putschistes" Samir Geagea, Elie Hobeika et Karim Pakradouni ne dure que quelques semaines.
Hobeika le "prosyrien"
Pour Elie Hobeika, l'équilibre des forces sur le terrain montre que la Syrie est en position de force. Il ouvre donc des canaux de communication secrets avec Damas, notamment avec le vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, chargé du dossier libanais au sein du régime syrien. Samir Geagea est en désaccord total avec l'ouverture d'un dialogue avec la Syrie. Le 9 mai, Elie Hobeika prend la tête d'un conseil exécutif des FL. Samir Geagea est considéré comme dissident.
Après des mois de discussions, Elie Hobeika, Nabih Berry et Walid Joumblatt, qui dirigent les trois principales milices libanaises, signent le 28 décembre 1985 lors d'une cérémonie officielle à Damas l'Accord tripartite qui prévoit la fin de l'état de guerre dans un délai d'un an, garantit la présence militaire syrienne au Liban, instaure de relations privilégiées avec la Syrie et définit dans le détail de nouvelles structures institutionnelles pour le Liban, défavorables aux chrétiens.
Walid Joumblatt, Nabih Berry, Abdel Halim Khaddam et Elie Hobieka, à Damas, le 28 décembre 1985. Photo d'archives OLJ
Les Kataëb du président Amine Gemayel, l'Église maronite et Samir Geagea expriment leur vive opposition à cet accord. Malgré les efforts de conciliation de Karim Pakradouni, Geagea place Hobeika dans sa ligne de mire. Objectif : reprendre la tête des Forces libanaises.
La Une de L'Orient-Le Jour, le 29 décembre 1985.
Le coup de force de Geagea
Les tout premiers jours de 1986, les hommes de Geagea lancent une offensive armée contre les combattants de Hobeika dans le Kesrouan et le Metn. Le 13 janvier, quelques heures après une visite du président Amine Gemayel à Damas au cours de laquelle il signifie à son homologue syrien Hafez el-Assad qu'il ne ratifiera pas l'accord tripartite, les hommes de Hobeika attaquent les positions des milices Kataëb. Les combattants pro-Geagea ripostent deux jours plus tard. Le 15 janvier, ils lancent la "deuxième intifada" et attaquent le quartier général de Hobeika dans le quartier de la Quarantaine. Assiégé, Elie Hobeika est obligé de se rendre. Le 16 janvier, il est exfiltré par le commandant en chef de l'armée libanaise, le général Michel Aoun, et quitte le Liban pour la France, puis Damas, avant de revenir à Zahlé, dans la Békaa. Ces combats font environ 200 morts et plusieurs centaines de blessés.
L'accord tripartite s'effondre. Samir Geagea prend définitivement la tête des FL, évince les pro-Hobeika et nomme Pakradouni numéro deux.
A Zahlé, Elie Hobeika, qui bénéficie du soutien de la Syrie et de ses affidés, prépare sa revanche. Il lorgne sur Beyrouth-Est. Ses hommes donnent l'assaut fin septembre 1986, mais ils sont mis en déroute une unité de l'armée libanaise et par les hommes de Samir Geagea qui devient le chef incontesté des Forces libanaises. Elie Hobeika, lui, fonde la parti Waad.
Samir Geagea (au centre) et Elie Hobeika (à droite), lors de la cérémonie du 49ème anniversaire des Kataëb, en 1985. Photo d'archives OLJ
Destins contrastés
En 1989, les FL de Samir Geagea sont la cible de la "guerre d'élimination" lancée par le général Michel Aoun, nommé à la tête d'un gouvernement militaire par le président Amine Gemayel à la fin de son mandat. Cette période de combats fratricides meurtriers dans les zones chrétiennes dure plus d'un an et divise durablement le camp chrétien.Les désaccords de fond entre les deux hommes sur le lancement de la "guerre de libération" contre l’armée syrienne le 14 mars 1989 et l’accord de Taëf, signé le 22 octobre de la même année, puis la dissolution de la milice, ordonnée par Michel Aoun le 31 janvier 1990, finissent de consacrer la rupture entre les deux camps qui se disputent la légitimité de la rue chrétienne.
Lorsque, le 13 octobre 1990, les troupes syriennes de Hafez el-Assad occupent le palais présidentiel de Baabda, Elie Hobeika, rangé aux côtés de l'armée syrienne contre Michel Aoun, forme un convoi pour évacuer la famille de ce dernier vers l'ambassade de France.
Alors qu'Elie Hobeika poursuit une carrière ministérielle, Samir Geagea, lui, entre en prison. Courtisé par Damas, le chef des Forces libanaises, devenues une formation politique, refuse d'entrer au gouvernement. Le parti des FL est alors dissous en 1994. Un mois plus tard, Samir Geagea est arrêté, accusé d’avoir assassiné quatre personnalités politiques, dont l’ancien Premier ministre, Rachid Karamé, en 1987, et le leader du Parti national libéral, Dany Chamoun, ainsi que sa famille, en 1990. Il est condamné à trois peines de mort commuées en prison à vie. Samir Geagea est le seul chef de milice à avoir été emprisonné après le conflit. Il est placé en isolement total, dans une cellule de 6 mètres carrés au sous-sol du ministère de la Défense. Il ne sortira qu'en juillet 2005, après l'adoption d'une loi d'aministie et la révolution du Cèdre qui a abouti au retrait des troupes syriennes
Elie Hobeika, lui, connaît une fin tragique. Le 24 janvier 2002, une voiture piégée explose sur son passage à 9h40, à 150 mètres de son domicile de Hazmieh. L'ancien milicien devait faire des révélations sur les massacres perpétrés dans le quartier de Sabra et le camp de réfugiés palestiniens de Chatila en septembre 1982. Selon le témoignage d'hommes politiques belges, Elie Hobeika devait témoigner deux jours plus tard à Bruxelles, à l'occasion d'une plainte déposée contre Ariel Sharon à Bruxelles par des survivants des massacres. Dans un livre, l'ancien garde du corps de M. Hobeika, Robert Hatem, alias "Cobra", met en cause la Syrie.
Aujourd'hui, le parti Waad est dirigé par le fils d'Elie Hobeika, Joe Hobeika, qui a pris la suite de sa mère Gina. Samir Geagea est, lui, toujours à la tête des Forces libanaises qui constituent l'un des deux partis les plus populaires de la scène chrétienne.
Dans la même rubrique
Au Liban, 40 ans de réconciliations pour tourner la page de la guerre
Indépendance du Liban : Khoury et Solh, le pacte des nationalismes
L'accord de Taëf, trois semaines de négociations pour un texte fondateur et controversé
Le 13 octobre 1990, la Syrie délogeait Michel Aoun de Baabda...
La guerre libanaise de 1958, un conflit aux multiples facettes
Solh, Karamé, Salam et Hariri : ces dynasties de Premiers ministres
Quand une série de Premiers ministres se cassaient les dents sur la formation du cabinet
Lorsque le Liban avait deux gouvernements...
Quand le gouvernement libanais nommait des députés...
Il y a 32 ans, le 15 janvier 1986, les forces loyales à Samir Geagea et au chef de l'Etat de l'époque, Amine Gemayel, délogent de la tête des Forces libanaises Elie Hobeika, qui avait signé trois semaines plus tôt à Damas un accord avec le mouvement Amal de Nabih Berry et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, destiné à mettre fin à la guerre civile qui avait éclaté 11...
commentaires (7)
Et avec ce carnage fratricide les chrétiens ont perdu le pouvoir .Depuis on a un président de la République sans fonctions . Triste histoire .
Antoine Sabbagha
21 h 17, le 15 janvier 2019